lundi 24 mai 2010

L'INNOCENCE D'YVAN COLONNA : FAITS ET ARGUMENTS

Suite 6


V – LA PERSONNALITE D'YVAN COLONNA


Ce qu'on peut savoir, deviner et comprendre de la personnalité d'Yvan Colonna lui donne-t-il plutôt le profil d'un assassin ou celui d'un homme honnête ? C'est une question importante.
Yvan Colonna serait tout à fait opposé à ce que je vais écrire maintenant, non pour le contenu mais pour le principe. Il aurait sans doute le sentiment d'être l'insecte que l'entomologiste examine à la loupe. Je comprends cette réticence et l'irritation provoquée. Mais je ne puis faire autrement que ce que je fais pour au moins deux raisons : d'une part, je ne vois pas de quel droit je garderais pour moi ce que je sais et qui démontre l'innocence d'Yvan et le fonctionnement scandaleux de nos institutions (en ce sens, l'affaire Colonna dépasse largement la personne d'Yvan Colonna) ; d'autre part, beaucoup de gens veulent savoir pour se faire une opinion et c'est eux qu'il faut gagner.

En ce moment, Yvan Colonna et cinq personnes accusées de l'avoir aidé pendant sa cavale comparaissent devant le tribunal correctionnel de Paris. Le premier pour détention d'armes (il avait une grenade défensive et un chargeur sans pistolet dans son sac quand il a été arrêté), les autres pour association de malfaiteurs en vue de préparer des actes terroristes et recel de l'auteur ou du complice d'un crime puni d'au moins dix ans d'emprisonnement.
Notons qu'Yvan ayant fait appel devant la Cour de Cassation il est présumé innocent et l'on comprend mal la tenue de ce procès aujourd'hui puisqu'on ne peut pas juridiquement le considérer comme « l'auteur » ou le « complice » du crime en question.

Le ton du procès commencé depuis deux jours devant un tribunal correctionnel est nettement plus détendu que les deux précédents devant des cours d'assises spéciales. Tout se passe comme s'il était évident que les gens qui sont au banc des accusés n'étaient pas de redoutables terroristes liés par une organisation de fer. La belle personnalité de Patrizia Gattaceca y est sans doute pour beaucoup. Elle a fait le choix d'assumer ses actes avec simplicité et détermination : elle ne peut qu'entraîner la sympathie. Ils apparaissent ainsi comme des gens d'abord mûs par des sentiments d'humanité. La courageuse solidarité dont ils ont fait preuve avec naturel fait honte à l'individualisme de notre monde desséché. Je les connais presque tous. Ils m'ont aidé considérablement quand je cherchais de la documentation pour écrire ce qui allait devenir LE ROMAN DE Ghjuvanni STEPHAGESE. D'ailleurs, les aveux que vient de faire André Colonna d'Istria sur la réalité de sa participation et qui relèvent d'un sens très poussé de l'honneur et du courage, corroborent ce que je raconte de façon déguisée mais qui dit des choses essentielles sur Yvan, sur les gens qui l'ont soutenu, sur la façon dont ils pensent et agissent. Cela n'a rien à voir avec toutes les sottises ou crapuleries qui ont été dites ou écrites. Ce que j'ai raconté de la cavale et qui n'a jamais été dit nulle part ( y compris pour ce qui est de certaines anecdotes piquantes) est donc vrai sur le fond parce que j'ai eu accès aux bonnes sources.

La présidente du tribunal correctionnel adopte un ton agréable. Que pense-t-elle au fond d'elle-même de la gravité des faits reprochés aux prévenus ? La suite le dira.
Elle parle à Yvan comme à une personne normale et non comme à un dangereux malfaiteur.
Leur échange me semble très révélateur de la personnalité de l'accusé. En voici un extrait rapporté par Sylvie Véran du Nouvel Observateur (qui semble, elle aussi, avoir été touchée par la grâce tant le ton qu'elle utilise tranche avec celui de ses chroniques consacrées aux deux procès précédents).

La Présidente : - Quelles sont vos occupations en prison ?
Y C : - Tout va bien !
La Présidente : - Vous faites quelque chose ? Vous prenez des cours ?
YC : - Non, je fais du sport.
La Présidente : - Vous avez des visites ? Celles de votre compagne ?
YC : - Oui.

Ces trois réponses d'Yvan pourraient paraître anodines. Elles sont en réalité profondément symptomatiques de ce qu'il est. A la question sur ses occupations, il a l'air de répondre à côté. En fait, il dit des choses très fortes.
Cette réponse établit des distances. De mon point de vue, elle dit à la présidente : « Nous ne sommes pas dans un salon où nous parlerions à égalité. C'est votre justice qui m'a mis là où je suis alors que je suis innocent. Vous n'allez pas maintenant faire semblant d'avoir de la compassion pour moi et moi je ne vais pas faire comme si je pouvais me plaindre à vous et vous faire des confidences».
La suite des réponses est, de la même façon, une fin de non recevoir. Ainsi, par exemple, quand il dit « Non, je fais du sport », il ne dit pas la vérité. Au vrai, Yvan travaille plusieurs langues, il lit énormément ( des ouvrages qui portent sur le combat des peuples opprimés, sur l'écologie, sur l'économie ; il lit des ouvrages de littérature générale, de poésie, notamment). Pourquoi cache-t-il cela ? Par fierté. S'il disait de lui des choses qui seraient forcément perçues comme valorisantes, il aurait le sentiment de faire le beau dans l'espoir d'avoir un sucre. Un « sucre » qui ne viendrait pas de toute façon. Yvan pense que le système judiciaire qu'il subit est « aux ordres ». Il ne lui fait aucune confiance. Il ne s'humiliera donc pas devant lui. Il protestera mais ne se plaindra pas. Je ne suis pas certain que beaucoup de ceux qui lui sont hostiles supportent bien cette fierté dont ils seraient incapables et qui les renvoie à leur propre veulerie.
Comme on comprend que cet homme-là soit parti en cavale. Il n'a pas voulu se soumettre de lui-même à une police qui parlait de le ramener « mort ou vif » ni à une Justice dans l'équité de laquelle il n'avait aucune confiance. La suite lui a tellement donné raison !
Devant une représentante de cet appareil judiciaire, si policée soit-elle, il ferme, courtoisement mais fermement, la porte d'un dialogue possible sur le seul domaine dont il garde à peu près la maîtrise : la vie intime de son esprit.
Le propre de la prison est de priver le détenu de toute capacité à agir sur et pour sa propre vie et celle des siens. Il ne peut plus être maître de son destin. Alors, ce qu'il peut préserver, Yvan en défend l'accès, farouchement. Ses occupations le regardent et ne regardent que lui. Il ne se confiera pas et surtout pas à quelqu'un dont l'intérêt qu'il témoigne est vraisemblablement de pure forme.
Quand il répond « Tout va bien », on peut entendre : « Votre système a voulu m'abattre mais il n'a pas entamé ma capacité de résister : je tiens le coup. Bien que je sois innocent, on m'a condamné à la peine la plus lourde avec la complicité des chiens de garde du système. Je continuerai à me battre autant de temps qu'il le faudra. »
Yvan Colonna est, on le comprend donc, un homme d'une force morale et psychique exceptionnelle. La solitude du berger, la culture acquise, le sentiment de solidarité avec les victimes d'un monde injuste, les années de prison imméritée l'ont aguerri. C'est pour cela qu'il peut affirmer : « Tout va bien ».

Ce qui caractérise Yvan, donc, c'est cette pudeur farouche, cet esprit de résistance inflexible, ce sentiment intraitable de sa propre dignité. C'est un homme incapable de compromis, à plus forte raison de compromission. Il n'aliénera pas une once de sa dignité, il ne courbera pas l'échine quoi qu'il puisse lui en coûter. C'est aussi cela qui a paru insupportable à ceux qui ont enquêté sur lui ou instruit son procès.
Les preuves en sont multiples. Dès les premières auditions des juges d'instruction, toutes les réponses qu'il a pu faire pour affirmer son innocence ont été durement traitées comme des mensonges. Voici sa réaction : si, quoi que je dise, vous considérez que c'est un mensonge, autant que je me taise.
Et il se tait effectivement pendant près de deux ans. Il n'acceptera de parler aux juges Le Vert et Thiel que lorsqu'il estimera que ses conditions de détention provisoire sont redevenues normales, de sorte qu'il puisse, en particulier, bénéficier des visites de sa famille. Comme tout le monde.
On se souvient qu'au procès en appel, quand il estimera que la preuve est faite que la cour qui le juge est de parti pris et « aux ordres », il refusera de servir d'alibi à ce jeu truqué et refusera de comparaître désormais, quitte à passer le temps des audiences dans une souricière qui « sent la pisse ».
Quand il arrive à Fleury-Mérogis, il est convoqué dans le bureau du directeur. Celui-ci, lui dit en substance : vous êtes un détenu considéré comme dangereux. Je vous aurai à l'oeil. Je veillerai personnellement à ce que vous ne troubliez pas le bon ordre de cette prison. M'avez-vous compris ?
Yvan ne répond pas. L'autre répète : m'avez-vous compris ? Et comme Yvan persiste dans son silence, le directeur lui demande pourquoi il ne répond pas. Alors, Yvan lui dit : Vous aves quelque chose à me demander et vous me laissez les menottes aux poignets. Tant que je serai menotté, je ne répondrai pas.
Le directeur accède alors à cette demande. Dès qu'il est démenotté, Yvan dit : Je suis en prison mais je suis innocent, cela sera montré tôt ou tard. Quand j'affirme que je suis innocent, vous n'êtes pas obligé de me croire. Cependant, innocent ou coupable, je reste un homme. C'est pourquoi, j'entends être traité comme un homme. Si le personnel de la prison me respecte, je le respecterai à mon tour. S'il ne me respecte pas, je ne le respecterai pas.
Banco ! s'exlame le directeur. Banco ! répond Yvan.
A partir de là, les relations entre le prisonnier et le personnel pénitentiaire seront toujours très correctes.
Autre qualité : la maîtrise de soi. Une anecdote vaut mieux qu'un discours.
Pendant qu'il est en cavale à Olmetu, un soir, il va au restaurant avec un accompagnateur. Dans ce restaurant, il y a une tablée de policiers qui fêtent je ne sais plus trop quel événement. Pendant que le compagnon d'Yvan leur parle pour détourner leur attention, Yvan s'installe tranquillement à une table près d'eux. Ils passeront la soirée côte à côte.

Si Yvan Colonna était l'assassin que certains prétendent, s'il s'était enfui parce qu'il avait perpétré un forfait, s'il avait nié sa participation alors que ses complices ont été arrêtés, ce qui le caractériserait, ce serait la brutalité, la lâcheté, la déloyauté, le cynisme. Cet homme-là n'aurait pas de scrupule. Pour lui, tout aurait été bon pour tromper le public et pour sauver sa peau.
Cet homme-là aurait accepté sans regret l'exfiltration qui lui a été proposée à plusieurs reprises. Il se serait expatrié et aurait recommencé sa vie ailleurs.
Cet homme-là aurait vu d'un bon oeil que des ouvrages soient écrits sur son affaire surtout s'ils plaidaient en sa faveur.
Qu'en est-il en réalité ?
Sur la brutalité : Yvan Colonna lit les poètes, notamment Nazim Hikmet, ce poète de la douceur et de l'amour mais qui a préféré passer une grande partie de sa vie en prison plutôt que de renoncer à ce qu'il croyait juste. Yvan, le Corse n'était même pas chasseur. Il a été secouriste et il a risqué sa vie pour tenter de sauver un nageur allemand imprudent. Il consacrait ses temps libres à aider les jeunes de son village qui jouaient au foot...
Sur la lâcheté : c'est une injure qui revient souvent (sur le thème : dénonce-toi si tu es un homme) dans la bouche de madame Erignac et dans celle de ses avocats. Comme si un innocent allait avouer qu'il est coupable pour le simple plaisir d'avoir l'air courageux ! De fait, la façon dont il a tenu tête à ses accusateurs, sa détermination inflexible sont tout ce qu'on voudra sauf de la lâcheté.
Sur la déloyauté et le cynisme : Tous ceux qui le connaissent parlent unanimement de qualités contraires.
Mais l'auteur du roman qui donne les « clés de l'affaire Colonna » peut dire ici son expérience. Une quinzaine de journalistes et d'essayistes se sont proposés pour raconter cette affaire. Yvan Colonna leur a opposé une fin de non recevoir à tous. Malgré cela, quelques ouvrages sont parus, de tonalités et d'intentions diverses :
Les Bergers, roman policier. J.P. Larminier. Ed. Albiana 2006
Les dessous de l'affaire Colonna, enquête menée par deux journalistes : A. Albertini et F. Charpier
Presses de la Cîté 2007
Le Procès Colonna, B.D. Tignous et Paganelli. 12bis 2008
Claude Erignac et Yvan Colonna : deux victimes pour une « affaire d'Etat ». J.P. Larminier. Ed. Jeanne d'Arc. 2008
Le Roman de Ghjuvanni Stéphagèse, clés pour l'affaire Colonna, roman. R. Laurette. l'Harmattan 2009
L'affaire Colonna, une bataille de presse. G. Amaté. Ed. Bayol 2009

S'agissant de mon roman qui est le seul des ouvrages parus construit sur la seule innocence de l'accusé, Y. Colonna a rappelé publiquement (lettre à Corse-Matin) qu'il n'avait jamais donné son accord pour sa parution. Je me suis déjà expliqué ailleurs sur les péripéties qui ont marqué la genèse de ce roman. Je n'y reviendrai pas ici. La prise de position d'Yvan Colonna montre deux choses :
- La pudeur extrême qui le caractérise et que j'ai déjà évoquée plus haut explique l'horreur éprouvée quand on parle de lui (mais des milliers d'articles ont été écrits sur lui, la plupart étant bien peu bienveillants)
- C'est un élément de plus pour témoigner de son innocence. Car il est bien évident que s'il était coupable et voulait nier cette culpabilité, Yvan aurait favorisé la diffusion d'un roman qui lui est si favorable.

P.S. Elle montre aussi que ce roman n'est pas une oeuvre de commande. Mais pas plus qu'il n'a rempli un contrat, l'écrivain n'a cédé devant quelque veto que ce soit. Il a fait, en toute indépendance, ce qu'il croit juste.

à suivre... demain : VI – AUTRES QUESTIONS et CONCLUSION

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