mercredi 19 mai 2010

L'INNOCENCE D'YVAN COLONNA : FAITS ET ARGUMENTS

Suite 4

erratum (re) : il semble décidément que j'aie des difficultés avec l'orthographe du nom de Nicolas Sarkozy !

C – LES PROCES :
Du 2 juin au 11 juillet 2003 a lieu le procès de ce qu'on a appelé le commando Erignac au terme duquel des peines lourdes ont été appliquées (de 15 ans à la perpétuité). Le 4 juillet, donc avant la fin, Yvan Colonna est arrêté à Olmetu. Puisqu'il était accusé d'être le tueur du préfet, la logique aurait voulu qu'il soit placé dans le même box que les autres accusés afin d'être jugé avec ses supposés complices. Et si son dossier n'était pas prêt, il suffisait de suspendre le temps nécessaire le procès en cours. Qu'on ne l'ait pas fait est significatif en soi. Pour en comprendre la portée, il faut se souvenir (voir plus haut) de la répugnance avec laquelle les juges d'instruction ont accepté d'organiser les confrontations avec ses accusateurs de la première heure qu'Yvan demandait. On ne voulait pas que ces hommes-là se rencontrent publiquement. Pourquoi ? A l'évidence parce que cette confrontation aurait fait sauter en éclats l'image négative que les enquêteurs avaient donnée d'Yvan et que sa cavale avait contribué à renforcer.
Le supposé membre principal du commando sera donc jugé à part. Quatre années plus tard ! Quatre années passées en prison préventive. Le procès aurait pu avoir lieu un an plus tôt, les dossiers étaient bouclés. Mais il est vrai qu'entre temps se déroulait une certaine campagne présidentielle... Allait-on risquer de la polluer avec ce procès ?

Le procès en première instance aura donc lieu du 12 novembre au 13 décembre 2007 devant une cour d'assises spécialement constituée (le jury est composé de 7 juges professionnels désignés et non de citoyens ordinaires tirés au sort). La Cour est présidée par Dominique Coujard.
Auparavant, en mars 2007, se déroule le procès consécutif à la plainte d'Yvan Colonna contre Nicolas Sarkozy pour viol de la présomption d'innocence (rappelons qu'au soir de l'arrestation d'Yvan, N.sarkozy avait déclaré dans un meeting : « la police française vient d'arrêter l'assassin du préfet Erignac, Yvan Colonna). Au terme du procès, le plaignant est débouté. Les juges estiment que les propos de Nicolas Sarkozy « suscitent une impression certaine de culpabilité » mais qu'ils ne présentent pas Colonna comme l'auteur du crime. Sans commentaire.
Le procès en appel se déroule, lui aussi, devant une cour d'assises spécialement constituée du 9 février au 27 mars. Il est présidé par Didier Wacogne.

Dans les deux procès où Yvan est l'accusé, les avocats généraux et les présidents de cour incarnent l'appareil judiciaire. Examinons-les.

1 – LES AVOCATS GENERAUX :
On ne leur reprochera pas d'avoir requis contre l'accusé : c'est leur fonction. Ils sont même là, au nom de la société, pour tenter de mettre en lumière ce qui fait tomber le prévenu sous le coup de la loi. Cela dit, voici quelques remarques et interrogations.
Au premier procès, on a pu noter l'absence de réaction des deux avocats généraux tout au long des débats. Ils n'ont quasiment jamais de question à poser. C'est au point que le président lui-même semble s'en étonner : dix jours après le début du procès, il les interpelle : « Le ministère public, toujours pas de question ? ». Ce silence pose problème dans la mesure où tout se passe comme si les débats n'avaient pas lieu, comme si la position des avocats généraux avait été établie à l'avance. Dans leurs réquisitoires, ils parleront comme si rien n'avait été dit au cours des débats. Ainsi, par exemple, l'avocat général Yves Jannier dira-t-il dans son réquisitoire : « Monsieur Colonna, si vous n'avez rien à vous reprocher, pourquoi ne pas nous dire ce que vous faisiez les 5 et 6 février 1998 ? » C'est proprement incroyable : Yvan Colonna s'est expliqué avec précision sur son emploi du temps. On a vu qu'il y a de nombreux témoins pour le corroborer. Yves Jannier ne les a pas entendus.
Il y a plus grave : Yves Jannier appuie son argumentation sur des contre-vérités. A propos du commando Erignac, il affirme le 12 décembre 2007 : « six de cette armée des ombres ont mis en cause le septième. Ils ont tous balancé Yvan Colonna ». Sur la réalité des accusations, qu'on relise ce que j'écris dans la rubrique « Accusations ». Bien sûr, l'avocat général préfèrerait, pour sa démonstration, qu'il y ait unanimité contre Yvan Colonna. Seulement, ce n'est pas le cas. Et ce détail n'est pas indifférent. Voilà pourquoi il éprouve le besoin de distordre la vérité.
Ajoutons pour mémoire, mais en admettant que c'est de bonne guerre, qu'il fait comme si les assassins avérés étaient des êtres loyaux et fiables et l'accusé le dernier des pervers. Il fait mine de s'étonner qu'aucun des membres du commando ne se soit levé pour laver Yvan de l'accusation des autres (ce qui par parenthèse revient à admettre qu'ils ne l'ont pas tous accusé et que lui, l'avocat général, n'a pas dit la vérité quand il a prétendu le contraire).
Un dernier mot sur Yves Jannier. Huit jours après le procès, il reçoit la promotion qu'il demandait : il est nommé à la tête de la section antiterroriste du Parquet sur proposition de Rachida Dati, garde des sceaux.

Jean-Claude Kross. Il est l'un des deux avocats généraux du procès en appel. Quelques mois plus tard, prenant sa retraite, il publie ses mémoires. A cette occasion il est interviewé par Adrien Cadorel, un journaliste de Métro qui lui parle du procès Colonna et lui fait observer que le dossier ne contenait aucune preuve contre l'accusé. Réponse de Jean-Claude Kross, avocat général : « C'est vrai. Mais j'avais l'intime conviction de sa culpabilité ». On peut, à l'extrême rigueur, admettre que les membres du jury se prononcent sur la base de leur intime conviction (encore que s'agissant de la peine maximale on puisse s'interroger sur le bien-fondé de ce fonctionnement) mais l'avocat général ? N'est-il pas là pour montrer que l'accusé est coupable ? S'il n'en a pas les moyens, comment peut-il requérir la peine maximale ?

2 – LES PRESIDENTS DE COUR.
Le Président Coujard préside la Cour d'Assises spécialement constituée. Il apparaît comme un homme courtois à l'égard de l'accusé. C'est bien, mais...
On va s'apercevoir rapidement qu'il ne tient pas la balance égale entre la défense et l'accusation, loin de là. A aucun moment il ne pousse les enquêteurs dans leurs retranchements. A aucun moment, il ne leur demande les preuves qui fondent leurs accusations. A aucun moment il ne rappelle que c'est à l'accusation d'apporter la preuve de la culpabilité. En revanche, il demande à Y.Colonna de prouver son innocence : « il faut nous apporter des éléments », lui dit-il.
A contrario, il s'efforce de jeter le discrédit sur les témoins à décharge. Le cas le plus grave concerne Paul Donzella, ce restaurateur de Cargèse qui affirme que Yvan Colonna dînait dans sa pizzeria le soir de l'attentat contre la gendarmerie de Pietrosella. C'est un témoignage capital. Car si Y. Colonna n'était pas à Pietrosella, on ne voit pas pourquoi il aurait été à Ajaccio pour tuer le préfet. Donzella à lui tout seul jette à terre toute la mécanique imaginée par l'accusation. Donzella passe à la fin du procès, tout à fait en fin de journée. Il a résisté aux banderilles de l'accusation et de la partie civile. C'est alors que le président Coujard laisse filer un fou rire qui va gagner progressivement la cour puis la salle. Cela va durer suffisamment de temps pour que, du témoignage de Donzella, on ne retienne que cet incident de séance et non pas le contenu. C'est proprement scandaleux et indigne d'un juge équitable.
Mais faut-il s'en étonner ? Le président Coujard a déjà laissé paraître son parti-pris contre Y.Colonna. Dix jours avant la fin du procès, il dit à l'accusé : «  Nous fondons notre intime conviction à partir de la raison ». Tout est à critiquer dans cette affirmation. Le « nous » d'abord qui implique que le Président se sent appartenir au clan de l'accusation et n'est pas au-dessus des parties entre lesquelles il devrait tenir la balance égale. Ensuite, la « raison » invoquée montre qu'il s'agit bien de raisonnements qui ont servi à échafauder une théorie et non pas d'une réalité objective étayée par des faits. Il en fait d'ailleurs à plusieurs reprises l'aveu involontaire en utilisant le terme de « scénario » qui évoque bien une fiction. « L'intime conviction », enfin. Dix jours avant la fin du procès, le président avoue avoir une intime conviction défavorable à l'accusé. Comment pourrait-il donc avoir une attitude équitable ?
On ne s'étonnera pas dès lors de son refus de procéder à la reconstitution demandée par la défense. Mais comme c'est un homme habile, il biaise : il va accepter un transport sur place qui ne montrera rien du tout et pour cause.
Ici, une remarque à propos du refus de la reconstitution. On le justifie en général par le refus des membres du commando d'y participer. Ce n'est une bonne raison qu'en apparence. D'abord parce que ce refus ne concerne que les deux protagonistes du crime : Ferrandi et Alessandri (les autres complices ne sont pas sur place) et qu'en fin du procès en appel Alessandri a levé son opposition. Ensuite et surtout parce qu'en pareil cas, on fait intervenir des gens qui se mettent à la place des accusés (voir à ce sujet les propos du juge Bruguière). En l'occurence, cela aurait largement suffi pour montrer que le scénario (justement !) de l'accusation ne tient pas debout. N'importe qui, sur les lieux du crime, peut comprendre qu'un attentat de cette importance ne peut pas avoir été le fait de deux ou de trois hommes. Si on avait convoqué les très nombreux témoins qui ont vu des choses et des gens suspects le soir du drame, on aurait compris que le scénario de la police est inepte. On aurait compris qu'il y avait bien plus de complices sur place (voir plus loin) que l'accusation ne veut le reconnaître. Voilà la véritable raison pour laquelle il fallait à tout prix refuser la reconstitution. Le Président Coujard a accepté de jouer ce jeu-là.

Le Président Wacogne : La présidence de Didier Wacogne a été si grossièrement scandaleuse et partiale que le parquet s'en est ému : quelques jours après le procès, on apprenait que le magistrat ne présiderait plus de cour d'assises. En attendant il avait tout de même accompli le travail pour lequel il avait été nommé par le premier président de la cour d'appel, lui-même nommé par le président de la République.
Les coups de théâtre du procès en appel étant encore dans les mémoires, on se contenera de rappeler ici les principaux reproches que l'on peut adresser au président.
- il ne communique pas à la défense toutes les informations qu'il possède. Ainsi, il ne révèlera que le 27 février le refus du commandant Lebbos de venir à la barre des témoins. Il devait être entendu le 4 mars. Lebbos est un témoin capital pour juger de la façon dont l 'enquête a été conduite (voir plus haut). Il a fourni un certificat médical daté du 4 février (5 jours avant le début du procès).
De son côté, Didier Vinolas (ancien secrétaire général de la préfecture d'Ajaccio au moment de l'assassinat) dont l'audition va créer un véritable choc, avait fait savoir au président Wacogne, dès la fin janvier, qu'il comptait faire des révélations importantes. Le président garde l'information pour lui. Il prétendra ne pas avoir lu son courrier.
Ces rétentions d'information sont de nature à gêner le travail de la défense.
- Les refus du président :
Refus de renvoyer le procès malgré le choc des révélations de Vinolas.
Refus de nouvelles investigations sur les deux complices « dans la nature » désignés par ces révélations au prétexte que les deux personnes étaient déjà connues des enquêteurs et qu'elles n'étaient pas intéressantes. Pas intéressantes, en effet ! Qu'on en juge. On avait découvert chez l'un des vêtements de gendarmerie dérobés à la gendarmerie de Pietrosella. Et l'autre était propriétaire d'une 205 blanche semblable à cette voiture qui, garée tout près du lieu du crime, a démarré en trombe dès l'attentat commis...
Refus d'ordonner un supplément d'enquête.
Refus d'organiser la reconstitution devenue pourtant si nécessaire au dévoilement de la vérité.

On évoquera pour mémoire quelques comportements étranges. A Joseph Colombani (voir le chapitre sur les témoins), il lance un méprisant « Vous vous présentez donc comme le témoin idéal ». Au moment où Maranelli va craquer sous le feu des questions des avocats, le président intervient pour qu'on change de sujet. Il n'a aucune question à poser à Marie-Ange Contart qui a pourtant vu l'assassin à deux mètres. En revanche il accable de questions au autre témoin qui n'a rien vu.
Il n'a rien à dire non plus à Me Simeoni qui prouve en audience que tout ce qui a été dit sur le dossier de la téléphonie était erroné. Un président de cour soucieux de vérité aurait convoqué des experts, ordonné un supplément d'enquête... Didier Wacogne, lui, passe à une autre question.

à suivre... Demain : IV – DES PISTES ECARTEES

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