lundi 17 mai 2010

L'INNOCENCE D'YVAN COLONNA : FAITS ET ARGUMENTS

suite 2

III - LES ACTEURS DE L'AFFAIRE COLONNA

Si on veut que les deux verdicts qui ont condamné Yvan Colonna à la perpétuité soient irrécusables, il faut que les gens qui ont mené l'enquête, l'instruction et les procès soient au-dessus de tout soupçon. On va voir que c'est loin d'être le cas.

A – L'ENQUÊTE :

1/ La cheville ouvrière de l'enquête et des interrogatoires est le commandant Lebbos. Un grand honnête homme ! Les avocats de la défense ont pu rappeler que :
Il battait sa femme. Elle le quitte sans laisser d'adresse. Au nom de la procédure Erignac, il signe une réquisition enjoignant à France-Télécom de retrouver ses coordonnées téléphoniques. Il signe la réquisition du nom de son subordonné (Franck Azaïs) en vacances. C'est donc un faux et un détournement de procédure au profit d'une affaire privée.
Il remarque une jeune femme qu'il trouve à son goût, Martine Mimaud. Il signe une nouvelle réquisition toujours au nom de Franck Azaïs pour avoir son adresse. La procédure Erignac est détournée au profit d'une histoire de fesses. Azaïs s'aperçoit que son nom a été utilisé à son insu. Il se plaint auprès de sa hiérarchie. Résultat : c'est lui qui est mis au placard !
Lebbos est pris en flagrant délit de vol au BHV.
La condamnation de Castela et Andriuzzi est annulée en appel parce que leurs avocats ont pu montrer qu'elle reposait sur un PV antidaté rédigé par Lebbos.
Décembre 2007, Lebbos est condamné à 6 mois de prison avec sursis.
2009 : procès en appel. Devant la perspective d'être « cuisiné » à nouveau à la barre, le hardi gardien de la loi préfère se faire porter pâle. Avant l'ouverture du procès, il envoie un certificat médical au Président Wacogne rédigé par un psychologue. Serait-il en déprime ? Les remords auraient-ils affaibli sa résistance ? Mais le déroulement du procès conduit Yvan Colonna à faire le choix de récuser ses avocats et de quitter la salle d'audience. Dès lors les séances se déroulent et ronronnent entre gens de bonne compagnie. Voilà le commandant Lebbos qui retrouve miraculeusement sa santé psychique et il vient, frais comme l'oeil, assurer à la barre qu'il a toujours respecté la déontologie du policier. Il n'y a plus personne pour lui poser les questions qui fâchent. Surtout pas le Président Wacogne.

2/ Très rapidement, l'enquête est confiée à la DNAT dirigée par Roger Marion.
Dès le soir de l'assassinat, c'est le SRPJ d'Ajaccio dirigé par le commissaire Démétrius Dragacci qui opère.
Dragacci commet quelques erreurs techniques regrettables (Dès 23h, il fait laver à grande eau le trottoir où le préfet est tombé à 21h05 ; il ne fait pas enclore un espace de sécurité assez grand si bien que les 400 spectateurs du concert auquel se rendait le préfet piétinent la rue et les trottoirs en sortant du Kallistè, faisant sans doute disparaître des indices précieux ; il ne fait pas relever les numéros d'immatriculation des voitures dans un périmètre suffisant, si bien qu'on va perdre par exemple la trace d'une fourgonnette suspecte garée devant le Kallistè depuis la fin de l'après midi et qui disparaîtra ensuite : on sait que dans des opérations de cette envergure il y a toujours des complices en planque dans des véhicules banalisés)... Mais Dragacci a deux intuitions majeures dont l'histoire montrera à quel point elles étaient judicieuses. Si on lui avait laissé finir son travail le commando Erignac aurait été arrêté bien plus tôt. Dragacci estime en effet tout de suite que cet assassinat est le fait d'un commando nationaliste à la dérive. Par ailleurs, il comprend que ses membres forcément disséminés dans le quartier ou même la ville ont communiqué entre eux. Ils n'ont pu le faire qu'à l'aide de téléphones portables. Il fait donc relever (« vitrifier ») le soir même tous les appels téléphoniques enregistrés par les bornes téléphoniques d'Ajaccio entre 20h et 21h30. Ce dossier ne sera exploité qu'environ dix mois plus tard. Or c'est lui qui permettra de confondre les coupables.
Mais Roger Marion obtient du ministre de l'Intérieur de l'époque, Jean-Pierre Chevènement, que l'enquête soit confiée au service qu'il dirige, la Direction Nationale Antiterroriste, la DNAT. Chevènement bien mal inspiré, mais il est vrai que sur cette affaire il accumulera les erreurs ( la nomination du Préfet Bonnet entre autres, l'homme des paillottes), liquidera Dragacci et nommera le chef d'un service mis en place par Charles Pasqua en 1986 et dont les accointances politiques sont parfaitement limpides (il suffit de voir les carrières politiques d'un grand nombre de membres des structures antiterroristes).
Le premier soin de Roger Marion est de faire table rase du travail de Dragacci. Ce qui donne l'occasion de dire combien toute cette affaire - et donc le déroulement de l'enquête - a été polluée par les rivalités entre services (ainsi par exemple, Roger Marion se débrouillera pour faire dessaisir la gendarmerie de l'enquête sur l'attaque de la gendarmerie de Pietrosella. Pour cela il mettra sous les yeux du juge chargé de l'instruction de cette affaire, le juge Thiel, un mot un peu critique du colonel Mazères. Résultat, le juge Thiel chargé d'instruire l'attentat de Pietrosella dessaisit la gendarmerie au profit de la DNAT. Pourquoi le fait-il ? Parce que le colonel Mazères le trouve un peu mou ? Si c'est la bonne explication, il faut en déduire que le juge Thiel fait passer les questions d'amour-propre avant l'intérêt du service. Ou bien le fait-il parce que la gendarmerie enquête à ce moment-là sur ce qu'on appelle les réseaux Pasqua et leur implication dans l'attentat de Pietrosella ? On comprendra que si c'était cela la bonne explication, elle serait infiniment plus grave que la précédente).
Roger Marion, donc.

PISTES ET LEURRES SUCCESSIFS :
Il va se lancer d'abord sur ce qu'on appellera « la piste agricole ». Pourquoi ? Les diverses opérations qui préparent l'assassinat du préfet Erignac vont de l'attaque de la gendarmerie de Pietrosella, le 6 septembre 1997, à l'attentat de la rue Colonnel Colonna d'Ornano le 6 février 1998 en passant par des attentats à l'explosif à Strasbourg ou à Vichy. Elles ont été revendiquées par deux séries principales de communiqués. La première est composée de déclarations non signées (c'est la raison pour laquelle on parlera du « commando sans nom » ou « des anonymes ») mais dont l'authenticité ne fait pas de doute puisque chacune d'elles comporte des détails connus des seuls enquêteurs et des auteurs des attentats. La seconde est composée de déclarations signées Sanpieru. Le but évident de ces communications est de faire porter les soupçons sur un militant nationaliste du syndicalisme agricole corse : Marcel Lorenzoni. La manoeuvre est tellement grossière qu'elle crève les yeux. Cela n'empêchera pas Roger Marion de faire immédiatement arrêter Lorenzoni, et, à la suite, plusieurs centaines de militants nationalistes du monde agricole. Beaucoup d'entre eux seront gardés plusieurs mois en préventive. Pour être finalement tous relâchés : la fameuse piste agricole s'est révélée comme un leurre tendu pour égarer l'enquête, un leurre dans lequel le « fin limier », le « premier flic de France » a foncé tête baissée. Après quoi, notre superflic a foncé sur la « piste des intellectuels » : Jean Castela et Vincent Andriuzzi, professeurs en Haute Corse. On a vu plus haut qu'ils ont été relaxés en appel. Deuxième fausse piste donc. Deuxième grave erreur de Roger Marion, l'homme qui fonce dans tous les leurres. Mais la piste Colonna, cette fois, promis, juré, c'est la bonne, ce n'est pas un troisième leurre mis là pour éviter de chercher les vrais coupables !

COUPS TORDUS :
Au procès de première instance, Marion déclarera devant la Cour à propos d'Yvan Colonna : « Ce sont les déclarations concordantes qui le désignent ». On a vu plus haut ce qu'il fallait penser de cette concordance. Il ajoute : « Les aveux du commando sont sincères, vérifiés et corroborés par des détails de l'enquête ». Quels détails ? Nous n'en saurons jamais rien. Certainement pas en tout cas le rapport du RAID sur la filature et les écoutes téléphoniques dont Yvan Colonna a été l'objet pendant plusieurs mois. Ce rapport est déclaré disparu. (Il ne reparaîtra qu'à la fin du procès en appel quand l'accusé et ses avocats auront quitté le prétoire). On y reviendra plus loin. Ce rapport prouve deux choses : pendant plusieurs mois, Yvan Colonna vit comme un homme qui n'a rien à se reprocher car on pense bien que si la filature et les écoutes avaient révélé la moindre chose supecte, cela aurait été surexploité par les enquêteurs. Peut-on imaginer que s'il avait été coupable, sur plusieurs mois, il ne se serait jamais trahi si peu que ce soit ? Ce vide est lui est donc tout à fait favorable. Voilà pourquoi on fait disparaître le rapport. Celui-ci prouve autre chose : la DNAT a menti quand elle a prétendu que le nom d'Yvan Colonna lui était inconnu avant que Maranelli ne l'évoque pour la première fois en garde à vue. Ce mensonge (corroboré par le livre de Amaury de Hauteclocque, chef du Raid, paru en 2009) laisse penser qu'en garde à vue, le nom d'Yvan Colonna était « dans les tuyaux », comme on dit, et a bien été soufflé aux membres du commando comme ceux-ci l'affirment. Pourquoi mentir, sinon ?
Il est vrai qu'un autre détail de l'enquête a de quoi surprendre : Mathieu Filidori est l'un des responsables du syndicat agricole corse. Il a été arrêté et placé en garde à vue puis en détention provisoire. La police va retrouver dans sa propriété des bâtons de dynamite. C'est fâcheux pour lui. Mais voilà, cette dynamite est cachée dans un sac plastique provenant d'une grande surface qui n'existe pas sur l'île. Un témoin certifie que les hommes de Roger Marion ont caché eux-mêmes ces explosifs pour compromettre Filidori. Si c'est vrai, en voilà des méthodes de voyoux !
Roger Marion a été convoqué par Claude Guéant à l'Elysée quelques jours avant le procès. Mais on va nous affirmer -sans rire – que Marion avait demandé à rencontrer le secrétaire général de l'Elysée parce qu'il avait reçu des menaces « avec l'accent corse » sur son portable. Comme c'est crédible ! Vous êtes flic, vous recevez des menaces et votre première réaction est d'aller vous plaindre à l'Elysée. Qui peut croire une chose pareille ? D'autres sources prétendent que Roger Marion rendu amer par sa fin de carrière avait menacé de ne pas être très affirmatif sur la culpabilité de Colonna. C'est là que l'Elysée qui semble beaucoup tenir à cette culpabilité aurait convoqué et convaincu Marion de rester dans le bon chemin. Celui qui allait lui permettre de partir à la retraite avec le titre de préfet ?

AU BOUT D'UNE ENQUÊTE INTERMINABLE ET QUI A MOBILISE DES MOYENS CONSIDERABLES, QUE RESTE-T-IL DONC ? Beaucoup d'erreurs, de dysfonctionnements et de ratés qui disent crûment ce qu'il faut penser de l'assurance et de la morgue avec lesquelles certains responsables policiers viennent témoigner à la barre ou parader dans des conférences de presse. Mais surtout, aucune preuve d'aucune sorte. Et, on le verra plus loin, bien des pistes inexplorées. Ceci explique le recours systématique et pitoyable de la part de Roger Marion, entre autres, à l'intime conviction. Je rappelle que le citoyen et le contribuable n'ont que faire de l'intime conviction du policier qui affirme : « cet homme est coupable !». Le policier est payé pour apporter des preuves, pas pour tartiner ses sentiments personnels.

A suivre... Demain : « B - L'INSTRUCTION »

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire