jeudi 20 mai 2010

L'INNOCENCE D'YVAN COLONNA : FAITS ET ARGUMENTS

suite 5

IV - LES PISTES « OUBLIEES »

J'ai eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises dans les pages qui précèdent : tout se passe comme si on avait enquêté, instruit et jugé « à charge » et seulement « à charge ». Comme si on n'avait retenu que ce qui pouvait convaincre l'opinion de la culpabilité d'Yvan Colonna et faire donc admettre les verdicts infligés. J'ai bien dit l'opinion. Car pour ceux qui connaissent intimement le dossier, on ne voit pas comment ils pourraient croire une seconde à cette culpabilité. C'est en ce sens que l'affaire Colonna est une affaire d'Etat.
Malgré les efforts des juges et des policiers les éléments à charge ne pèsent pas lourd.
Il y avait si peu de choses dans ce plateau d'une possible culpabilité, qu'on a dû « négliger » voire escamoter, souvent au prix d'incroyables contorsions, toute une série de faits, de détails, de témoignages qui seraient allés tout naturellement dans le plateau de l'innocence.
N.B. Deux questions qui n'ont que les apparences du bon sens mais ont fait des ravages dans l'opinion seront traitées dans un chapitre à part : pourquoi s'est-il enfui ? pourquoi ses copains l'ont-ils accusé ?

1 – Des détails et des indices négligés :
Rappelons-en quelques uns en vrac.
- A Pietrosella, on a retrouvé une trace d'ADN sur l'un des morceaux de scotch qui ont servi à baillonner les gendarmes enlevés. Elle ne correspondait à aucun des membres connus du commando. Nul ne s'était avisé de chercher à qui d'autre elle pouvait appartenir. Me Simeoni, à la fin du premier procès, a demandé et obtenu qu'on vérifie au moins si c'était l'ADN d'Yvan Colonna. Et non, vérification faite in extremis, ce n'était pas l'ADN d'Yvan Colonna. A qui d'autre, alors ? Cette question n'a pas intéressé les juges.
- Après l'assassinat du préfet, un courrier de revendication a été posté le lundi 9 février à Borgo (près de Bastia). On a retrouvé une autre trace d'ADN sur l'une des enveloppes. Cette trace n'a jamais été exploitée.
- Le lendemain de l'assassinat, le samedi 7 février, au moment où Yvan est censé être à Ajaccio chez les Ferrandi, Alain Ferrandi l'appelle chez sa compagne, Pierrette Serrerri. Pourquoi ? Indice jamais exploité.
- Maranelli prétend que, l'après-midi de l'assassinat, il a conduit Yvan « à une adresse » dans Ajaccio. Là « quelqu'un » lui aurait remis l'arme du crime. Les enquêteurs n'ont pas cherché à en savoir davantage sur ce « quelqu'un » et cette « adresse ».
- Le « scénario » de l'assassinat repose en grande partie sur ce que révèle l'enregistrement des communications par téléphone mobile (heure d'appel, durée de l'appel, numéro appelant, numéro appelé et borne téléphonique activée) sur la situation des uns et des autres. Pour la police, à telle heure, Ferrandi était à tel endroit, Maranelli à tel autre, etc. Ces indications ont été complétées par les révélations de Maranelli en garde à vue. Or, au cours du procès en appel, Me Simeoni qui a vérifié le dossier de la téléphonie est en mesure de prouver que ce dossier ne dit pas ce qu'on lui à fait dire sur l'emplacement des membres du commando à tel ou tel moment avant l'assassinat. C'était tout le scénario officiel qui s'effondrait. Ce coup de théâtre n'a entraîné aucune réaction de la part des juges de la cour d'assises.

2 - Des actes de procédure qui traînent les pieds :
Rappelons pour mémoire la longueur des délais qui séparent le moment où Yvan demande à être confronté à ses accusateurs (ce qui est de droit) et le moment où il sera effectivement confronté. Il est arrêté le 4 juillet 2003. Il est confronté à ses accusateurs le 29 novembre 2005 : 29 mois plus tard !
Octobre 2004 : Pierre Alessandri dans une lettre à la juge Le Vert s'accuse d'être le tueur. Un peu plus tard, pour preuve de sa bonne foi, il indique que le second revolver dérobé à Pietrosella n'a pas été jeté à la mer comme il l'avait affirmé et qu'il peut conduire à l'endroit où il est caché. Le juge Thiel, concerné par cette partie de l'enquête attendra le mois de février de l'année suivante pour procéder à la perquisition proposée. On trouvera effectivement l'arme à l'endroit annoncé.

3 – Des actes de procédure refusés :
Ne revenons pas sur la reconstitution sur place maintes fois demandée par Yvan Colonna et ses avocats et toujours refusée. Indiquons en revanche que les témoins oculaires du crime n'ont jamais été confrontés ni à Ferrandi ni à Alessandri.
Cédric Le Prévost est l'un de ces témoins oculaires. Il a vu, le soir du crime deux hommes « se poster » dans une rue adjacente. Il affirme être certain de ne pas reconnaître Yvan Colonna comme l'un de ces deux hommes. A Me Simeoni qui lui demande s'il a été confronté à Yvan Colonna, il répond : « non, jamais. »

4 – Des actes de procédure plus que suspects :
Un exemple. Chaque interrogatoire donne lieu à un procès-verbal signé par tous les participants. Les membres du commando affirment que les interrogatoires n'ont pas été étanches comme ils auraient dû l'être et que l'on a fait pression sur les uns à partir des supposées déclarations des autres. On constate que pour certains accusés, les procès-verbaux d'interrogatoire ne sont que des copiés-collés d'autres P.V correspondant à d'autres accusés. Identiques jusqu'aux fautes d'orthographe ! Si cela ne signifie pas une participation active de la police dans le contenu des déclarations, qu'est-ce que cela peut signifier d'autre ?


5 – Cachez ces complices que je ne saurais voir :
Nous touchons là au point névralgique des défaillances de l'appareil judiciaire.
Depuis l'arrestation des six membres du commando Erignac en mai 99 et la mise en cause d'Yvan Colonna, tout se passe comme si l'appareil antiterroriste ne voulait plus entendre parler d'autre chose : sept accusés et la coupe est pleine.
Mais voilà : la réalité et les témoins disent autre chose.
Dès l'assassinat, de nombreux témoins se présentent à la police pour faire état de faits ou de gens suspects ayant attiré leur attention dans le quartier du Kallistè avant et tout de suite après le meurtre.
- Un témoin affirme avoir remarqué juste avant le crime un homme parlant dans un talkie-walkie et qui, se sentant découvert, est allé se cacher dans l'ombre. C'est le seul talkie-walkie dont il soit question ce soir-là. L'utilisation de cet appareil n'a de sens que si quelqu'un d'autre en a un aussi. Comme ce n'est pas l'un des membres connus du commando, il faut bien que ce soit quelqu'un d'extérieur. Quelqu'un qui sait parfaitement, lui, que les téléphones mobiles laissent des traces...
D'autres témoins ont repéré d'autres personnes, à pied ou en voiture (une voiture rouge qui, après avoir attendu, moteur allumé, a suivi celle du préfet dès qu'il est arrivé dans le quartier ; une 205 blanche qui, à peine quelques instants après le forfait, démarre de façon si spectaculaire qu'un passant relève son numéro, un numéro qui se révèlera trafiqué, puis se fait remarquer encore par une conduite forcenée aux environs de l'aéroport). Si on additionne ces gens suspects, on arrive à une douzaine d'individus. Quand on se rend sur place, quand on voit la configuration du quartier, qu'on pense que les tueurs ne savaient pas par où le préfet allait arriver, on se dit qu'il fallait au moins deux équipes et des guetteurs pour être assuré de réussir l'attentat.
- J'ai déjà évoqué le coup de théâtre de la déposition de Didier Vinolas au procès en appel. Cette déposition indique deux complices « dans la campagne » dont les noms n'auraient jamais été révélés.
- Si on veut bien relire objectivement les dépositions des membres du commando au cours des procès en première instance puis en appel , on comprendra qu'ils font allusion à des complices non connus. Mais cela, personne n'a voulu le voir. On a préféré faire la part belle aux paroles amphigouriques d'Alain Ferrandi (« tu es un homme d'honneur. Si tu y avais été, tu l'aurais dit. Tu ne l'as pas dit, donc tu n'y étais pas ») qui ne signifiaient pas forcément ce qu'on a voulu leur faire dire. Ferrandi disculpe Yvan et lui rend même hommage. Mais il le fait à contrecoeur. Pas forcément pour les raisons qu'on a dites compte tenu de sa personnalité.
-Quoi qu'il en soit, le même Ferrandi utilise des formules tout aussi sybillines mais finalement plus révélatrices et que personne n'a relevées : A propos du commando, il dit « je ne vous donnerai pas les noms ni qui a fait quoi », et encore « Yvan Colonna n'est pas celui qui faisait partie du groupe ».
A Me Simeoni qui lui demande « Y a-t-il d'autres membres du commando non identifiés qui courent encore ? », Ottaviani répond de son côté : « c'est à la justice de le dire ».
Toutes ces réponses n'ont de sens que si l'on admet qu'il y a des complices non identifiés. Des complices qui n'ont jamais été dénoncés par ceux qui ont été arrêtés. Et on voudrait nous faire croire que le commando accuserait Yvan par rancune parce qu'il ne se serait pas dénoncé et qu'il laisserait impunément courir les autres. Où est la logique ?
Au procès en appel, les membres du commando sont encore plus explicites. Ferrandi, pressé de questions par Yvan finit par lâcher :  « Il est évident que des gens n'ont pas été arrêtés... » ou encore « Nous étions plus nombreux au sein du groupe ». De son côté, Versini reconnaît : « Il y avait d'autres gens sur l'action. Il fallait les protéger. Toi, tu étais en cavale... »
Ce que dit Versini est très clair : il y a des complices qu'il fallait protéger. Comme Yvan était en cavale, il était provisoirement à l'abri. On pouvait donc le charger pour couvrir les autres.
On verra plus loin ce que dit Pierre Alessandri.



CONCLUSION :
On aura compris que les acteurs du système antiterroriste s'arc-boutent pour des raisons mystérieuses sur la culpabilité de Colonna quitte à tordre les faits, à commettre un déni de justice, à être sourds, aveugles à tout ce qui pourrait signifier autre chose. Dans ces conditions, toute dérive de procédure, tout manquement aux règles et aux principes du droit français et européen sont autant de preuves « en creux » de l'innocence d'Yvan Colonna. On n'enquête pas sur tel indice, on ne procède pas à telle confrontation ou à la reconstitution, quitte à violer la loi, parce qu'on sait pertinemment que la thèse de la culpabilité en serait disqualifiée. Quand un fonctionnaire, dans le cadre de ses fonctions, commet des actes contraires aux règles auxquelles il est normalement soumis, cela s'appelle une forfaiture. Le comportement des policiers et des magistrats qui ont conduit cette affaire amène à se demander s'ils ne tombent pas sous le coup de cette accusation.

à suivre... demain : V - LA PERSONNALITE D'YVAN COLONNA

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