mercredi 3 novembre 2010

Les cinq avocats d'Yvan Colonna

J'ai regardé l'émission de Sylvie Fradin sur Planète-justice ce mardi 2 novembre. C'était un documentaire d'une grande sincérité sur les cinq avocats d'Yvan Colonna. Ils parlent de leur travail d'avocats, de leurs émotions, de leurs indignations. Ils expriment leur certitude de voir l'innocence d'Yvan reconnue un jour. En filigrane, ils disent leur colère devant le cynisme de l'appareil judiciaire antiterroriste mobilisé pour conduire jusqu'au bout cette affaire dans laquelle un innocent est sacrifié sur l'autel de la "raison" d'Etat. J'aurais personnellement aimé que cela fût dit avec clarté. Je ne crois pas du tout que des affirmations sur le caractère équitable du premier procès ( le Président Coujard était plus subtil que le Président Wacogne, c'est tout) ou spéculant sur la sérénité de la justice à l'occasion du procès en appel aient aidé en quoi que ce soit.
Mais c'est le sixième avocat interrogé en fin d'émission, Me Lemaire, dont je voudrais surtout relever les propos.
Me Lemaire est l'avocat de la famille Erignac. Il se permet sur la déontologie de ses cinq confrères des jugements infamants. Les avocats d'Yvan sont assez grands pour se défendre s'ils le jugent utile mais je trouve l'attitude de leur contempteur d'une rare inélégance. Est-ce si surprenant ?...
Venons-en plutôt aux arguments développés.

Les CINQ avocats d'Yvan Colonna : Me Lemaire glisse perfidement qu'on n'a pas besoin de cinq défenseurs quand on est innocent. C'est un argument de pure démagogie qui escamote deux choses : en première instance, les avocats des parties civiles étaient au nombre de SEPT ; cinq défenseurs ne sont pas de trop contre la ligue de la police et des juges d'instruction antiterroristes, des tribunaux d'exception et de l'appareil d'Etat.
Me Lemaire n'a pas manqué de nous resservir le couplet du malheur de la veuve du Préfet Erignac. J'ai toujours été abasourdi par cet argument. Est-ce parce que quelqu'un a subi un terrible et incontestable préjudice qu'il lui faut, pour trouver la paix, le sacrifice d'un innocent ? En condamnant cet innocent au prix d'un déni de justice manifeste, veut-on s'assurer qu'il y aura dans l'autre plateau de la balance une charge de malheur aussi lourde ? Curieuse conception de la justice rendue au nom du peule ! Elle a semblé gêner tous les journalistes qui apparaissent dans l'émission.
La reconstitution. Me Lemaire n'en voit pas l'intérêt puisque trois semaines après l'assassinat une reconstitution a été organisée avec les témoins. Il ne voit pas (ou feint de ne pas voir) que depuis dix ans bien des faits nouveaux sont apparus dont l'arrestation du commando. Et dont surtout le coup de théâtre du procès en appel au cours duquel Me Simeoni a démontré que la REALITE des enregistrements téléphoniques contredit la mécanique du scénario officiel. Que faut-il de plus à Me Lemaire ? Il nous dit que les membres du commando ont refusé de participer et que sans eux on ne peut rien reconstituer. Rappelons lui que cela ne représente jamais que deux personnes (A.Ferrandi et P.Alessandri), qu'on peut toujours (cela se fait sans arrêt) remplacer les protagonistes défaillants par des acteurs qui jouent leur rôle,et qu'au cours du procès en appel, P. Alessandri est revenu sur son refus. Mais surtout, la reconstitution aurait le grand mérite de montrer que l'attentat avait forcément mobilisé plus de deux (ou trois si on inclut Y.C.) personnes et que donc l'enquête menée a été inepte. Mais c'est justement cela qu'il ne fallait pas mettre en lumière. D'où toutes les manoeuvres pour éviter un acte de justice habituel et nécessaire en pareil cas. On pourrait ajouter, accessoirement, que la reconstitution sur le lieu exact où le préfet est assassiné ( il est en train de monter sur un trottoir dont la dénivellation exige deux marches) rend encore plus impérieuse l'élucidation sur la taille du tueur qui était nécessairement en contrebas.
Mais venons-en à l'affirmation majeure de Me Lemaire interrogé sur l'éventualité de l'innocence d'Yvan Colonna : il n'a pas le moindre doute parce que les preuves contre lui sont accablantes. On ne cesse de nous ressasser, depuis des années, ces fameuses "preuves accablantes". Il semble que l'adjectif se suffise à lui-même puisque les journalistes accablés eux aussi par le poids de l'argument évitent de demander quelles elles sont. Mais justement, il faut le demander ce que sont ces fameuses preuves. Car elles sont inexistantes. Tellement inexistantes que Roger Marion, patron à l'époque de la DNAT ou l'avocat général Jean-Claude Kross ne savent, en dernier recours, que tabler sur leur "intime conviction". Tellement inexistantes que les enquêteurs ont, pour renforcer leur dossier, caviardé des procès-verbaux favorables à l'accusé ou même eu recours à des contre-vérités flagrantes. Si Yvan Colonna est coupable et si les preuves en sont si "accablantes", pourquoi trafiquer le dossier ? Un lambeau de phrase de Me Lemaire suggère que ces preuves accablantes résident dans les accusations de quelques uns des membres du commando et de certaines de leurs épouses. Seulement ces accusations ont toutes été retirées. Au cours du dernier procès, Pierre Alessandri a expliqué de façon crédible pourquoi elles avaient été proférées. Et surtout, ces accusations étaient tellement contradictoires qu'elle tombaient d'elles-mêmes.
Le dossier Colonna est donc tellement vide, qu'il n'aurait jamais dû venir devant une quelconque juridiction. Mais, en France, sans aucune preuve d'aucune sorte, on peut, au nom de la raison d'Etat et de la lutte antiterroriste, condamner quelqu'un à la peine la plus lourde du code pénal. Avant Badinter, Y.Colonna aurait été condamné à la peine de mort. Sans aucun doute.

On ne mesure pas bien combien le prétexte de la lutte - légitime - contre le terrorisme est un moyen d'étrangler peu à peu les libertés individuelles et, en fin de compte, la démocratie. C'est pourquoi l'action des cinq avocats d'Yvan Colonna dépasse de très loin la défense d'un homme. Ce sont nos droits fondamentaux qui sont en cause. Si Yvan Colonna était définitivement condamné ce serait une maille de plus des conquêtes de la République qui aurait filé.