mercredi 3 novembre 2010

Les cinq avocats d'Yvan Colonna

J'ai regardé l'émission de Sylvie Fradin sur Planète-justice ce mardi 2 novembre. C'était un documentaire d'une grande sincérité sur les cinq avocats d'Yvan Colonna. Ils parlent de leur travail d'avocats, de leurs émotions, de leurs indignations. Ils expriment leur certitude de voir l'innocence d'Yvan reconnue un jour. En filigrane, ils disent leur colère devant le cynisme de l'appareil judiciaire antiterroriste mobilisé pour conduire jusqu'au bout cette affaire dans laquelle un innocent est sacrifié sur l'autel de la "raison" d'Etat. J'aurais personnellement aimé que cela fût dit avec clarté. Je ne crois pas du tout que des affirmations sur le caractère équitable du premier procès ( le Président Coujard était plus subtil que le Président Wacogne, c'est tout) ou spéculant sur la sérénité de la justice à l'occasion du procès en appel aient aidé en quoi que ce soit.
Mais c'est le sixième avocat interrogé en fin d'émission, Me Lemaire, dont je voudrais surtout relever les propos.
Me Lemaire est l'avocat de la famille Erignac. Il se permet sur la déontologie de ses cinq confrères des jugements infamants. Les avocats d'Yvan sont assez grands pour se défendre s'ils le jugent utile mais je trouve l'attitude de leur contempteur d'une rare inélégance. Est-ce si surprenant ?...
Venons-en plutôt aux arguments développés.

Les CINQ avocats d'Yvan Colonna : Me Lemaire glisse perfidement qu'on n'a pas besoin de cinq défenseurs quand on est innocent. C'est un argument de pure démagogie qui escamote deux choses : en première instance, les avocats des parties civiles étaient au nombre de SEPT ; cinq défenseurs ne sont pas de trop contre la ligue de la police et des juges d'instruction antiterroristes, des tribunaux d'exception et de l'appareil d'Etat.
Me Lemaire n'a pas manqué de nous resservir le couplet du malheur de la veuve du Préfet Erignac. J'ai toujours été abasourdi par cet argument. Est-ce parce que quelqu'un a subi un terrible et incontestable préjudice qu'il lui faut, pour trouver la paix, le sacrifice d'un innocent ? En condamnant cet innocent au prix d'un déni de justice manifeste, veut-on s'assurer qu'il y aura dans l'autre plateau de la balance une charge de malheur aussi lourde ? Curieuse conception de la justice rendue au nom du peule ! Elle a semblé gêner tous les journalistes qui apparaissent dans l'émission.
La reconstitution. Me Lemaire n'en voit pas l'intérêt puisque trois semaines après l'assassinat une reconstitution a été organisée avec les témoins. Il ne voit pas (ou feint de ne pas voir) que depuis dix ans bien des faits nouveaux sont apparus dont l'arrestation du commando. Et dont surtout le coup de théâtre du procès en appel au cours duquel Me Simeoni a démontré que la REALITE des enregistrements téléphoniques contredit la mécanique du scénario officiel. Que faut-il de plus à Me Lemaire ? Il nous dit que les membres du commando ont refusé de participer et que sans eux on ne peut rien reconstituer. Rappelons lui que cela ne représente jamais que deux personnes (A.Ferrandi et P.Alessandri), qu'on peut toujours (cela se fait sans arrêt) remplacer les protagonistes défaillants par des acteurs qui jouent leur rôle,et qu'au cours du procès en appel, P. Alessandri est revenu sur son refus. Mais surtout, la reconstitution aurait le grand mérite de montrer que l'attentat avait forcément mobilisé plus de deux (ou trois si on inclut Y.C.) personnes et que donc l'enquête menée a été inepte. Mais c'est justement cela qu'il ne fallait pas mettre en lumière. D'où toutes les manoeuvres pour éviter un acte de justice habituel et nécessaire en pareil cas. On pourrait ajouter, accessoirement, que la reconstitution sur le lieu exact où le préfet est assassiné ( il est en train de monter sur un trottoir dont la dénivellation exige deux marches) rend encore plus impérieuse l'élucidation sur la taille du tueur qui était nécessairement en contrebas.
Mais venons-en à l'affirmation majeure de Me Lemaire interrogé sur l'éventualité de l'innocence d'Yvan Colonna : il n'a pas le moindre doute parce que les preuves contre lui sont accablantes. On ne cesse de nous ressasser, depuis des années, ces fameuses "preuves accablantes". Il semble que l'adjectif se suffise à lui-même puisque les journalistes accablés eux aussi par le poids de l'argument évitent de demander quelles elles sont. Mais justement, il faut le demander ce que sont ces fameuses preuves. Car elles sont inexistantes. Tellement inexistantes que Roger Marion, patron à l'époque de la DNAT ou l'avocat général Jean-Claude Kross ne savent, en dernier recours, que tabler sur leur "intime conviction". Tellement inexistantes que les enquêteurs ont, pour renforcer leur dossier, caviardé des procès-verbaux favorables à l'accusé ou même eu recours à des contre-vérités flagrantes. Si Yvan Colonna est coupable et si les preuves en sont si "accablantes", pourquoi trafiquer le dossier ? Un lambeau de phrase de Me Lemaire suggère que ces preuves accablantes résident dans les accusations de quelques uns des membres du commando et de certaines de leurs épouses. Seulement ces accusations ont toutes été retirées. Au cours du dernier procès, Pierre Alessandri a expliqué de façon crédible pourquoi elles avaient été proférées. Et surtout, ces accusations étaient tellement contradictoires qu'elle tombaient d'elles-mêmes.
Le dossier Colonna est donc tellement vide, qu'il n'aurait jamais dû venir devant une quelconque juridiction. Mais, en France, sans aucune preuve d'aucune sorte, on peut, au nom de la raison d'Etat et de la lutte antiterroriste, condamner quelqu'un à la peine la plus lourde du code pénal. Avant Badinter, Y.Colonna aurait été condamné à la peine de mort. Sans aucun doute.

On ne mesure pas bien combien le prétexte de la lutte - légitime - contre le terrorisme est un moyen d'étrangler peu à peu les libertés individuelles et, en fin de compte, la démocratie. C'est pourquoi l'action des cinq avocats d'Yvan Colonna dépasse de très loin la défense d'un homme. Ce sont nos droits fondamentaux qui sont en cause. Si Yvan Colonna était définitivement condamné ce serait une maille de plus des conquêtes de la République qui aurait filé.

lundi 13 septembre 2010

Et Yvan Colonna, Monsieur le Président de la CNCDH ?

Fin juillet, le Président de la Commission Nationale Consultative aux Droits d l'Homme publiait dans le Figaro une lettre qui s'indignait des atteintes aux droits de l'homme dont auraient été victimes Madame Bettencourt et Monsieur Woerth. J'ai cru devoir attirer son attention sur le cas d'Yvan Colonna. A ce jour, je n'ai pas eu de réponse à ma lettre. En voici donc le texte.


Roland LAURETTE
Ecrivain
21 avenue Julien 06100 NICE


à Monsieur Yves REPIQUET
Président de la Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme


Objet : « Le respect sur notre propre sol de principes dont nous défendons (...) l'universalité ».


Monsieur le Président,

Je découvre un article que vous avez publié, il y a un mois, dans le Figaro. Votre nomination par le premier ministre à la tête de la CNCDH donne un poids incontestable à votre prise de position. Vous y attirez l'attention de tous sur les graves dangers qui pèsent en ce moment sur « les droits qui garantissent la dignité humaine ».
L'affaire qui vous émeut et vous meut a effectivement défrayé la chronique « sur la place du village global (où) trône le cyberpilori ». On l'a appelée l'affaire Woerth-Bettencourt. Elle vous donne l'occasion de rappeler quelques principes essentiels :
il ne faut pas se satisfaire d'une « intime conviction » ni « condamner sans preuve » ;
chaque accusé a droit « à la loyauté des preuves et surtout à la présomption d'innocence ».
Et en effet, est-ce parce que Madame Bettencourt dispose, pour se défendre, de moyens sans commune mesure avec ceux des justiciables ordinaires qu'il faudrait céder aux préjugés de La Fontaine ?

Vous rappelez donc, opportunément, la nécessité de défendre les droits fondamentaux faute de quoi nous pourrions être atteints par « les premiers marqueurs des sociétés totalitaires ». Et vous le dites dans l'angoisse que la France ne soit plus «l'exemple » qu'elle était. Il semble en effet qu'il y ait urgence de ce point de vue si l'on en juge par les récentes réactions indignées venues de tous les horizons (ONU, Europe, Eglise catholique...) et qui condamnent la politique actuelle.

Si je vous écris aujourd'hui, c'est pour attirer votre attention sur une affaire qui vous aura manifestement échappé et qui aurait dû pourtant susciter votre émotion tout autant que la défense des droits de Madame Bettencourt. Je veux parler de l'affaire Colonna, du nom de ce berger corse accusé d'avoir assassiné le préfet Erignac le 6 février 1998.
Comme Liliane Bettencourt ou comme Eric Woerth, Yvan Colonna a droit à la « Présomption d'innocence ». C'est pourquoi la déclaration du ministre de l'Intérieur au soir du 4 juillet 2003 était scandaleuse. Comme était scandaleuse la prise de position de l'actuelle garde des sceaux après la décision de la Cour de Cassation d'invalider la condamnation d'Yvan Colonna. Par ailleurs, vous rappelez fort à propos que les juges « portent les droits de l'homme ». Comment comprendre alors leur arrêt dans le procès consécutif à la plainte d'Yvan Colonna contre Nicolas Sarkozy pour atteinte à la présomption d'innocence ? Dans une sentence amphigourique, ils affirment que les propos incriminés (« la police française vient d'arrêter l'assassin du préfet Erignac, Yvan Colonna ») « suscitaient une impression certaine de culpabilité »mais ne le présentaient pas comme l'auteur du crime. Comprenne qui pourra.
Yvan Colonna a droit tout autant que « cette dame célèbre à la fortune mythique » à la loyauté des preuves. C'est pourquoi le rapport des R.G., rédigé après plusieurs mois de filatures d'Yvan Colonna et d'écoutes téléphoniques, aurait dû être versé à son dossier et communiqué à ses avocats. On saisit mal les raisons qui ont conduit la juge d'instruction Laurence Le Vert puis le président de la Chambre d'Instruction à le refuser et à prétendre que ce rapport avait disparu. Il a cependant miraculeusement été retrouvé à la fin du procès en appel quand Yvan Colonna suivi de ses avocats a eu quitté le prétoire parce qu'il ne se sentait pas jugé selon les règles de l'équité.
On s'étonne aussi qu'au cours du procès intenté aux cinq personnes accusées d'avoir aidé Yvan Colonna pendant sa cavale, l'une d'entre elles -Marc Simeoni- qui niait avoir hébergé son compatriote, se soit vu opposer une « preuve »1 bien suspecte.
Vous auriez pu rappeler aussi deux autres grands principes. Le premier stipule que c'est à l'accusation de fournir la preuve de la culpabilité et non à l'accusé de fournir celle de son innocence. Pourtant, au cours des deux procès, les deux présidents de Cour ont sans cesse demandé à l'accusé de prouver qu'il était innocent. Ce qui constituait du même coup l'aveu de la vacuité du dossier. Le deuxième prévoit que le doute bénéficie à l'accusé. Or, les accusations portées contre Yvan Colonna par certains membres du commando Erignac sont si gravement contradictoires qu'elles s'effondrent d'elles mêmes. Vous dites avec force que Madame Bettencourt a droit à ne pas être « condamnée sans preuves » et sur la seule base de « l'intime conviction ». L'intime conviction, c'est pourtant la pièce maîtresse avancée contre Yvan Colonna par Roger Marion qui dirigeait la DNAT pendant l'enquête et par les avocats généraux. C'est aussi ce à quoi se réfère le président Coujard une dizaine de jours avant la fin du procès en première instance.

En résumé. Yvan Colonna a été condamné à la peine la plus lourde prévue par le code pénal sans preuve aucune, sur la base de la seule intime conviction et alors même que TOUS les témoignages lui sont favorables2. Mais pour « la part la plus cynique d'entre nous », il est corse et je ne puis que paraphraser la formule que vous réservez aux milliardaires : « ces gens-là sont si différents, si éloignés de nous »...
Tout cela est si grave qu'on peut parler d'affaire d'Etat. Madame Bettencourt, elle, jouit de toutes ses libertés. Monsieur Woerth est toujours ministre. Yvan Colonna a qui on vient de refuser la mise en liberté conditionnelle (même avec un bracelet électronique) est, lui, en prison depuis sept ans. Il détient le record européen de la détention préventive. Sous le couvert d'organismes traités cyniquement comme des alibis, ne met-on pas en oeuvre, jour après jour, une politique si attentatoire à nos libertés fondamentales que la France n'est déjà plus un modèle ni même un exemple ? Si c'est le cas, l'affaire Colonna en aura été à la fois la prémisse et le ballon d'essai.

Avec mes sentiments les meilleurs.

Roland LAURETTE

vendredi 10 septembre 2010

L'innocence d'Yvan Colonna : FAITS ET ARGUMENTS

L'INNOCENCE D'YVAN COLONNA : FAITS ET ARGUMENTS
Fin juin 2010, la Cour de Cassation se prononcera sur le pourvoi déposé par Yvan Colonna après sa
condamnation par la Cour d'Appel « spécialement constituée » à la peine la plus lourde prévue par
le code pénal : prison à perpétuité assortie de 22 ans de sûreté.
Les raisons de casser cet arrêt sont multiples. Il ne faut toutefois pas s'imaginer que les choses sont
acquises : les pressions sur la Cour sont forcément à la mesure des enjeux. Sa décision dira ce qu'il
en est de son degré d'indépendance.
Le procès des cinq personnes accusées d'avoir aidé Yvan Colonna pendant sa cavale vient d'avoir
lieu. Le verdict, mis en délibéré, sera connu en juillet. Au cours du procès, des faits sont apparus
qui montrent, s'il en était besoin, les machinations de la police antiterroriste. En voici un exemple
incroyable.
Histoire d'une preuve fabriquée
Des cinq accusés, quatre ont admis avoir aidé le fugitif entre 1999 et 2003. Seul, Marc Simeoni (le
fils d'Edmond et le frère de Gilles, l'un des avocats d'Yvan Colonna et leader du mouvement
autonomiste) nie les faits qui lui sont imputés.
Il est notamment accusé d'avoir hébergé le fugitif dans son appartement de Bastia en 2002 et 2003.
Pour appuyer leur accusation, les policiers antiterroristes font état de deux traces appartenant à Yvan
Colonna et retrouvées dans cet appartement. L'affaire paraît entendue et on ne comprend pas les
dénégations de Marc Simeoni.
Mais qu'en est-il en réalité ?
1 - Les deux empreintes en question ont été retrouvées, l'une sur une boîte de pansements, l'autre sur
un coussin.
2 - Les enquêteurs n'ont pas placé les scellés réglementaires sur l'appartement entre le moment où
Marc Simeoni a été interpellé et celui où ont commencé les perquisitions.
3 - Sur l'un des deux objets (le coussin), outre l'A.D.N. d'Yvan Colonna, a été retrouvé celui d'Alain
Ferrandi ( le chef du commando Erignac). Rappelons que Marc Simeoni a loué son appartement en
octobre 2000 et qu'Alain Ferrandi avait été arrêté en mai 1999. Comment est-ce possible ? Notons,
en revanche, l'absence tout aussi étonnante d'empreintes de Marc Simeoni, sur cet objet retrouvé
dans cet appartement qu'il habitait depuis trois ans quand la perquisition a eu lieu.
4 - L'enquête a été menée par le commandant Lebbos, l'un des acteurs principaux de l'affaire
Colonna (voir II - Les acteurs du drame) et dont on a pu voir que les scrupules n'étaient pas son
point fort (dossiers truqués, coups et blessures, détournements de procédure à des fins privées, etc.).
Marc Simeoni a affirmé au procès que le commandant Lebbos lui aurait dit : " je suis spécialiste de
la pêche au gros. J'ai pêché Colonna. Ton père, c'est un gros poisson pour moi ».
Cette "preuve" manifestement fabriquée en dit long sur la sincérité des deux procès au terme
desquels Yvan Colonna a été condamné à la peine la plus lourde prévue par le code pénal.
Instructif, non ? Cette construction policière éclaire rétrospectivement d'un jour crû toute l'affaire
Colonna.
Le plus incroyable étant peut-être le silence ou l'indifférence de la plupart devant des faits aussi
scandaleux. Quand on discute avec des gens convaincus de la culpabilité d'Yvan, ils ne cessent de
demander : s'il est innocent, pourquoi est-il parti en cavale ? Ou bien : pourquoi ses copains l'ont-ils
dénoncé ?
1
Nous pouvons demander de notre côté : si la culpabilité d'Yvan était si évidente, pourquoi la
police a-t-elle éprouvé le besoin de fabriquer avec cynisme des fausses preuves ?
L'appareil judiciaire antiterroriste ne peut pas ignorer ces machinations. Et pourtant, deux Cours
d'Assises « spécialement constituées » l'ont condamné. C'est en ce sens que cette affaire est une
affaire d'Etat. Comme l'affaire Dreyfus dont les juges savaient parfaitement qu'ils condamnaient un
innocent.
Le texte qu'on va lire ci-dessous a été rédigé entre le 15 et le 26 mai 2010 à l'occasion du procès
des soutiens à Yvan Colonna pendant sa cavale. Il est paru sur mon blog
(http://rolandlaurette.blogspot.com) sous forme de feuilleton.
PREAMBULE
Dans quelques jours, s'ouvrira le procès des cinq personnes accusées d'avoir aidé Yvan Colonna
pendant sa cavale (mai 99 – juillet 2003). Après plusieurs mois de silence, la presse parle à nouveau
de cette affaire. Beaucoup d'articles prétendent apporter de nouveaux détails sur la période où Yvan,
accusé du meurtre du préfet Erignac, a disparu. Ce qui paraît dans les journaux était déjà connu
pour l'essentiel ou ne revêt qu'une importance dérisoire. On apprend par exemple ainsi qu'Yvan
Colonna a subi une échographie dans une clinique de Bastia le 4 mars 2003 à 17 h 37. On admirera
la précision du minutage mais on s'interrogera sur son intérêt.
Sur la cavale proprement dite, je crois que mon roman apporte des éléments plus fondamentaux,
plus révélateurs du personnage et de sa façon d'agir et parfois plus pittoresques. Mais il est vrai que
j'ai puisé à d'autres sources.
J'ai publié « LE ROMAN DE Ghjuvanni STEPHAGESE (clés pour l'affaire Colonna) » voici un
an1. Il a été lu par des milliers de gens. Beaucoup qui croyaient Yvan Colonna coupable ont avoué
avoir été retournés. Mais certains ont estimé qu'un récit romancé relevait de l'imaginaire de l'auteur
et n'était donc pas crédible.
Je crois le moment venu de parler au premier degré et de faire la synthèse des principaux
éléments qui constituent la trame d'une affaire qui restera une tragédie pour ceux qui en sont
les victimes : le préfet Erignac et sa famille ; Yvan Colonna que l'on a condamné à tort à la
perpétuité et sa famille. C'est aussi une tragédie pour l'Etat et la République.
J'ai classé par rubriques les faits et les arguments que la longue et minutieuse enquête que j'ai
menée m'a permis de rassembler. Je vais les publier ici-même sous forme de feuilleton. Aucun
élément n'est décisif à lui tout seul. Mais leur convergence est incontestablement favorable à Yvan
Colonna. Aucun de ceux qui connaissent le dossier ne peut l'ignorer.
Comment peut-on croire Yvan Colonna innocent ?
C'est en gros la question que posent systématiquement ceux qui ont mal suivi l'affaire, ont écouté
ou lu distraitement des informations données comme convergentes, et pensent que, puisqu'il a été
été traité publiquement d'assassin par un ministre de l'Intérieur de gauche (J.P.Chevènement) et par
un ministre de l'Intérieur de droite (N. Sarkozy), puisqu'il a été condamné en cour d'assises et en
cour d'appel, c'est bien qu'il doit être coupable... Les mêmes estiment que la Police, la Justice,
malgré quelques erreurs dont l'affaire d'Outreau a montré la possibilité, font grosso modo plutôt
bien leur travail. Et puis ce Corse qui agresse ses juges, il n'est pas si sympathique... Quand ses
copains l'avaient dénoncé, ils avaient agi sur ce premier mouvement qui est toujours le bon, comme
chacun sait. Par la suite, s'ils se sont rétractés, c'est forcément parce que le « clan » Colonna les a
convaincus de le faire avec des moyens sans doute peu recommandables.
Pourtant, nous sommes de plus en plus nombreux à penser que l'innocence d'Yvan Colonna est
une certitude. Cette certitude s'appuie sur plusieurs séries de raisons fondamentales. Elles portent
sur les accusations des membres du commando et de trois de leurs compagnes, sur les déclarations
des témoins, sur la façon dont ont été menés l'enquête, l'instruction et les deux procès, et enfin sur
1 L'Harmattan 2009
la personnalité de l'accusé.
I - LES ACCUSATIONS
Dans le dossier de l'accusation, il n'y a qu'un seul élément à charge : les déclarations d'une partie
des membres du commando2 (pour l'essentiel Maranelli et Alessandri3), et de trois de leurs
compagnes. Le ministère public a affirmé sans trève que ces accusations étaient « précises, réitérées
et concordantes ». Ces trois adjectifs ont été martelés, surtout le troisième qui est le plus grave s'il
est fondé. On peut même dire qu'Yvan Colonna a été condamné sur cet adjectif : « concordantes ».
Et en effet, si c'était vrai, ce serait troublant. Mais si la répétition à l'infini d'un mensonge peut en
faire une opinion, elle n'en fait pas une vérité.
Les accusations contre Yvan Colonna ne sont pas concordantes, elles sont contradictoires !
Examinons-les.
1 - Et commençons par cette contradiction de taille qui porte sur ce qui s'est passé le 7 février 99,
le lendemain de l'assassinat du préfet Erignac.
Valérie Dupuis est la femme de Maranelli. Le couple habite Cargèse. Elle déclare qu'Yvan
Colonna est venu chez eux le 7 février, vers 7h30. Il a amené Didier Maranelli dans la cuisine, ils
ont parlé quelques minutes à voix basse puis Yvan est reparti. Après cette entrevue, Maranelli a
paru sombre et inquiet.
De son côté, Jeanne, la femme de Ferrandi (le couple habite Ajaccio), déclare que le 6 février,
vers 21h30, son mari est rentré chez lui, accompagné d'Alessandri et d'Yvan Colonna. Ils ont tous
dormi là et Yvan Colonna est resté le lendemain, 7 février, jusqu'à midi passé.
Stéphane Durand-Soufflant, le chroniqueur judiciaire du Figaro, fait observer fort justement
qu'Yvan Colonna n'ayant pas le don d'ubiquité, il ne peut pas avoir été en même temps à Cargèse
(vers 7h30) et à Ajaccio jusqu'à midi. Même la police a été gênée par cette contradiction. Elle a
donc fait modifier les dépositions des deux femmes. Jeanne déclare désormais qu'Yvan est parti de
chez elle avant midi. Valérie déclare qu'il est venu chez elle après neuf heures. La contradiction
est moins flagrante, elle n'en est pas moins réelle chacun comprenant bien qu'après neuf heures et
avant midi, ce n'est pas la même chose. Rappelons aussi que le trajet Cargèse-Ajaccio demande plus
d'une heure.
Des contradictions de cette sorte, il y en a bien d'autres.
2 -Déclarations d'Alessandri et de Versini. Elles portent sur l'attaque de la gendarmerie de
Pietrosella, le 6 septembre 97. Le commando est divisé en deux groupes A et B. Alessandri est dans
l'un, Versini dans l'autre. Ils affirment (ils sont les seuls à le faire) que Colonna faisait partie de
l'expédition. Chacun d'eux dit qu'Yvan était dans l'autre groupe que le sien. Il n'était pas dans le
groupe A ; il n'était pas dans le groupe B. Où était-il donc ?
3 – Les réunions préparatoires : L'équipe se réunit à plusieurs reprises ici ou là pour préparer
l'assassinat du préfet. Ils racontent tous que ces réunions ont lieu tantôt dans la distillerie
d'Alessandri à Cargèse, tantôt dans la charcuterie de Versini à Cristinacce, tantôt au garage Hertz de
l'aéroport dirigé par Ferrandi. Maranelli dit que certaines ont eu lieu à Cargèse dans la propriété des
Colonna. C'est un détail mémorable puisqu'il s'agit du domicile du « tueur » : Maranelli est pourtant
le seul à s'en souvenir.
4 – Maranelli affirme que, la veille du crime, il est allé en voiture avec Alessandri et Colonna
faire une tournée de reconnaissance dans Ajaccio. Il raconte encore qu'à un feu rouge, Place
Abatucci, leur voiture a été heurtée à l'arrière par une voiture dont la conductrice, Valérie Mariani,
2 Rappelons que les membres connus du commando sont : Alain Ferrandi (le chef ; gérant du garage Hertz de
l'aéroport), Pierre Alessandri (celui qui s'accuse depuis 2004 d'être le véritable tueur ; ami d'enfance d'Yvan), Didier
Maranelli (le guetteur devant la préfecture), Martin Ottaviani (le chauffeur), Marcel Istria (qui a toujours nié sa
participation), Joseph Versini ( qui a refusé de participer au dernier moment).
3 Alain Ferrandi ne l'a mis en cause qu'indiectement : « ma femme a dit la vérité »
téléphonait en conduisant. Interrogée par la suite au sujet de cet accrochage, Valérie Mariani dit
qu'elle est descendue de voiture pour le constat. Dans l'autre voiture, il y avait une seule personne :
le chauffeur, Alessandri. Maranelli aurait donc menti.
5 – L'arme du crime : Maranelli (encore lui !) affirme que, dans l'après-midi du 6 février, il a con-
duit en voiture Yvan Colonna « à une certaine adresse » dans Ajaccio. Là, « quelqu'un » remet à
Colonna l'arme du crime.
De son côté, Alessandri déclare que le commando s'est retrouvé vers 18 heures au hangar de
Baleone (qui appartient au garage Hertz) près de l'aéroport. Il affirme qu'il aurait remis l'arme du
crime à Colonna à ce moment-là..
6 – Quant au crime proprement dit, le récit qu'en fait Alessandri apparaît surréaliste même s'il
n'est pas à proprement parler contradictoire. Ils seraient donc trois : Ferrandi, le chef ; Colonna, le
tueur et lui, Alessandri. Ils sont en train de descendre la rue Colonel Colonna d'Ornano. Alessandri
est en avant. Ils croisent le préfet qui monte vers le théâtre. Alessandri continue d'avancer sans se
retourner. Il entend les coups de feu. C'est seulement maintenant qu'il se retourne et voit le préfet à
terre. Or, il y a eu cinq coups de feu. Entre le troisième et le quatrième, l'arme s'est enrayée. Le
tueur a tapé sur la crosse, extrait le chargeur et réarmé. Tout cela représente une durée relativement
longue. Le moins qu'on puisse dire c'est que les temps de latence d'Alessandri sont singulièrement
lents. Ils lui permettent en tout cas de n'avoir rien à dire sur le moment-clé du drame. Il était là, mais
il n'a rien vu ! Quant à Ferrandi, il refuse de donner le moindre détail. Ils peuvent donner un
élément capital : le nom du tueur. Mais ils sont muets sur les broutilles ! Quels sont donc les
« détails » révélateurs qu'il s'agit de taire à tout prix ?
La moindre de ces contradictions aurait dû inquiéter les enquêteurs et les magistrats
instructeurs. Leur addition aurait dû montrer que le dossier ne reposait que sur des
accusations non pas concordantes mais fantaisistes. Tout aurait dû conduire à la relaxe.

II - LES TEMOIGNAGES
Aucun témoignage à charge contre Yvan Colonna ne tient, donc. En revanche, tous les autres lui
sont entièrement favorables.
1 – Les témoins oculaires du crime :
Beaucoup de témoins ont remarqué quelque chose de suspect, le soir du 6 février 98 aux
alentours du théâtre du Kallistè où avait lieu le concert auquel se rendait le préfet. Tous ces témoins
ne parlent que de deux hommes à côté de Claude Erignac au moment de l'assassinat. Or, pour étayer
leur accusation contre Yvan Colonna, les policiers ont besoin de trois hommes. C'est pourquoi ils
survalorisent le seul témoignage qui parle de trois hommes, celui de Joseph Arrighi. Ce retraité des
Renseignements Généraux rentre chez lui en marchant le long du cours Napoléon. De là où il est, il
a entendu les coups de feu mais les pâtés de maisons l'ont empêché de voir l'assassinat. Il continue
de marcher. Au niveau de la manufacture des tabacs, il est dépassé par deux hommes qui trottinent
et qui sont rattrapés par un troisième. Bien évidemment ce témoignage ne prouve rien. Rien ne dit
que les deux hommes et le troisième venaient du même endroit. Le troisième, était légèrement
décalé parce qu'il venait vraisemblablement d'un autre point où il servait de guetteur.
Même la juge Le Vert a fini par admettre au cours du procès en appel qu'ils n'étaient que deux sur
les lieux du crime.
Donc deux hommes.
Plusieurs personnes ont vu le crime. Parmi elles, il y en a deux qui sont particulièrement in-
téressantes :
 Joseph COLOMBANI. Il est l'organisateur du concert, ami du préfet, responsable UMP, bras
droit du Conseil de l'Exécutif corse.
 Marie-Ange CONTART. Elle a vu le tueur à deux mètres. Ils se sont regardés dans les yeux, le
temps d'un flasch indélébile.
Ces deux témoins ne disent pas : « Je ne reconnais pas Yvan Colonna ». Ils affirment : « Le
tueur que j'ai vu, ce n'est pas Yvan Colonna ».
2 – Les témoins qui attestent de la présence d'Yvan Colonna ailleurs :
 Le soir de l'assassinat, le 6 février : Jean-Hugues (le père ) et Josette Colonna-Beech (la tante),
affirment qu'Yvan Colonna était avec eux jusqu'à 20 heures (le préfet est tué à 21h05). On dira,
c'est la famille proche, ils ne risquent rien, leur témoignage ne vaut pas. (A quoi on peut
aisément faire observer que les deux disent la même chose, alors qu'ils sont mis dans
l'impossibilité de communiquer entre eux et qu'ils ne savent pas encore qu'Yvan est recherché.
Par ailleurs, rappelons qu'il faut au moins une heure pour aller de Cargèse à Ajaccio. Il est
invraisemblable que l'auteur d'un crime d'Etat se soit mis dans des conditions de temps aussi
serrées. Mais ce n'est pas totalement impossible. S'il s'agissait d'un alibi fabriqué, le père et la
tante auraient dit 20h30 ou 20h45 plutôt que 20 h.)
 Mais il n'y a pas qu'eux : Alex Alessandri, le berger associé d'Yvan affirme que celui-ci était
avec lui jusqu'aux environs de 19h le 6 février et qu'il l'a revu dès 5h le lendemain matin pour la
traite des chèvres (au moment où Yvan est censé être chez Ferrandi à Ajaccio). Toujours ce
matin du 7, Yvan Colonna fait la tournée de livraison du brucciu et plusieurs personnes l'ont
donc vu (dont une commerçante d'Ajaccio).
 Attentat contre la gendarmerie de Pietrosella (6 septembre 97). On sait que les cargésiens qui
ont participé à cet attentat ont quitté Cargèse à 17h.
Or, une jeune femme de Cargèse, Sylvie Cortesi, dit avoir vu Yvan sur la plage après 17h. Leurs
enfants se sont amusés ensemble.
Plus significatif encore est le témoignage de Paul Donzella, restaurateur à Cargèse et adversaire
politique des Colonna. Antinationaliste, même. Il atteste qu'Yvan est venu le soir du 6 septembre
manger une pizza chez lui avec son fils. Pourquoi s'en souvient-il ? Parce que le lendemain,
quand il a vu dans les journaux l'attaque de la gendarmerie, il s'est dit en pensant à Yvan, en
voilà au moins un qui n'y était pas. Les policiers, les juges d'instruction, la Cour d'assises ont
tout fait pour discréditer ce témoignage capital qui démolit tout le scénario de l'accusation.
Les témoignages à charge ne tiennent pas debout parce qu'ils sont contradictoires et qu'ils ont
été retirés par leurs auteurs. Seuls les témoignages à décharge sont précis, réitérés et
concordants.
III - LES ACTEURS DE L'AFFAIRE COLONNA
Si on veut que les deux verdicts qui ont condamné Yvan Colonna à la perpétuité soient irrécusables,
il faut que les gens qui ont mené l'enquête, l'instruction et les procès soient au-dessus de tout
soupçon. On va voir que c'est loin d'être le cas.
A – L'ENQUÊTE :
1/ La cheville ouvrière de l'enquête et des interrogatoires est le commandant Lebbos. Les
avocats de la défense ont pu rappeler que :
 Il battait sa femme. Elle le quitte sans laisser d'adresse. Au nom de la procédure Erignac, il
signe une réquisition enjoignant à France-Télécom de retrouver ses coordonnées téléphoniques.
Il signe la réquisition du nom de son subordonné (Franck Azaïs) en vacances. C'est donc un
faux et un détournement de procédure au profit d'une affaire privée.
 Il remarque une jeune femme qu'il trouve à son goût, Martine Mimaud. Il signe une nouvelle
réquisition toujours au nom de Franck Azaïs pour avoir son adresse. La procédure Erignac est
détournée au profit d'une histoire de fesses. Azaïs s'aperçoit que son nom a été utilisé à son insu.
Il se plaint auprès de sa hiérarchie. Résultat : c'est lui qui est mis au placard !
 Lebbos est pris en flagrant délit de vol au BHV.
 La condamnation de Castela et Andriuzzi est annulée en appel parce que leurs avocats ont pu
montrer qu'elle reposait sur un PV antidaté rédigé par Lebbos.
 Décembre 2007, Lebbos est condamné à 6 mois de prison avec sursis.
 2009 : procès en appel. Il envoie un certificat médical au Président Wacogne rédigé par un
psychologue qui affirme que son patient n'est pas en mesure de supporter une nouvelle
déposition. Mais le déroulement du procès conduit Yvan Colonna à faire le choix de récuser ses
avocats et de quitter la salle d'audience. Dès lors, voilà le commandant Lebbos qui retrouve sa
santé psychique et il vient assurer à la barre qu'il a toujours respecté la déontologie du policier.
 On a vu en introduction « Histoire d'une preuve fabriquée ». Je n'y reviens pas.
2/ Très rapidement, l'enquête est confiée à la DNAT dirigée par Roger Marion.
Dès le soir de l'assassinat, c'est le SRPJ d'Ajaccio dirigé par le commissaire Démétrius Dragacci
qui opère.
Dragacci commet quelques erreurs techniques regrettables (Dès 23h, il fait laver à grande eau le
trottoir où le préfet est tombé à 21h05 ; il ne fait pas enclore un espace de sécurité assez grand si
bien que les 400 spectateurs du concert auquel se rendait le préfet piétinent la rue et les trottoirs en
sortant du Kallistè, faisant sans doute disparaître des indices précieux ; il ne fait pas relever les
numéros d'immatriculation des voitures dans un périmètre suffisant, si bien qu'on va perdre par
exemple la trace d'une fourgonnette suspecte garée devant le Kallistè depuis la fin de l'après midi et
qui disparaîtra ensuite : on sait que dans des opérations de cette envergure il y a toujours des
complices en planque dans des véhicules banalisés)... Mais Dragacci a deux intuitions majeures
dont l'histoire montrera à quel point elles étaient judicieuses. Si on lui avait laissé finir son
travail le commando Erignac aurait été arrêté bien plus tôt. Dragacci estime en effet tout de suite
que cet assassinat est le fait d'un commando nationaliste à la dérive. Par ailleurs, il comprend que
ses membres forcément disséminés dans le quartier ou même la ville ont communiqué entre eux. Ils
n'ont pu le faire qu'à l'aide de téléphones portables. Il fait donc relever (« vitrifier ») le soir même
tous les appels téléphoniques enregistrés par les bornes téléphoniques d'Ajaccio entre 20h et 21h30.
Ce dossier ne sera exploité qu'environ dix mois plus tard. Or c'est lui qui permettra de confondre les
coupables.
Mais Roger Marion obtient du ministre de l'Intérieur de l'époque, Jean-Pierre Chevènement, que
l'enquête soit confiée au service qu'il dirige, la Direction Nationale Antiterroriste, la DNAT.
Chevènement liquidera Dragacci et nommera le chef d'un service mis en place par Charles Pasqua
en 1986.
Le premier soin de Roger Marion est de faire table rase du travail de Dragacci. Ce qui donne
l'occasion de rappeler combien toute cette affaire - et donc le déroulement de l'enquête - a été
polluée par les rivalités entre services (ainsi par exemple, Roger Marion se débrouillera pour faire
dessaisir la gendarmerie de l'enquête sur l'attaque de la gendarmerie de Pietrosella. Pour cela il
mettra sous les yeux du juge chargé de l'instruction de cette affaire, le juge Thiel, un mot un peu
critique du colonel Mazères. Résultat, le juge Thiel chargé d'instruire l'attentat de Pietrosella
dessaisit la gendarmerie au profit de la DNAT. Pourquoi le fait-il ? Parce que le colonel Mazères le
trouve un peu mou ? Ou bien le fait-il parce que la gendarmerie enquête à ce moment-là sur ce
qu'on appelle les réseaux Pasqua et leur implication dans l'attentat de Pietrosella ?
Roger Marion, donc.
a/ Pistes et leurres successifs :
Roger Marion va se lancer d'abord sur ce qu'on appellera « la piste agricole ». Pourquoi ? Les
diverses opérations qui préparent l'assassinat du préfet Erignac vont de l'attaque de la gendarmerie
de Pietrosella, le 6 septembre 1997, à l'attentat de la rue Colonnel Colonna d'Ornano le 6 février
1998 en passant par des attentats à l'explosif à Strasbourg ou à Vichy. Elles ont été revendiquées par
deux séries principales de communiqués. La première est composée de déclarations non signées
(c'est la raison pour laquelle on parlera du « commando sans nom » ou « des anonymes ») mais dont
l'authenticité ne fait pas de doute puisque chacune d'elles comporte des détails connus des seuls
enquêteurs et des auteurs des attentats. La seconde est composée de déclarations signées Sanpieru.
Le but évident de ces communications est de faire porter les soupçons sur un militant nationaliste du
syndicalisme agricole corse : Marcel Lorenzoni. La manoeuvre crève les yeux. Cela n'empêchera
pas Roger Marion de faire immédiatement arrêter Lorenzoni, et, à la suite, plusieurs centaines de
militants nationalistes du monde agricole. Beaucoup d'entre eux seront gardés plusieurs mois en
préventive. Pour être finalement tous relâchés : la fameuse piste agricole s'est révélée comme un
leurre tendu pour égarer l'enquête. Après quoi, Roger Marion a foncé sur la « piste des
intellectuels » : Jean Castela et Vincent Andriuzzi, professeurs en Haute Corse. On a vu plus haut
qu'ils ont été relaxés en appel. Deuxième fausse piste donc. Deuxième grave erreur de Roger
Marion. Mais la piste Colonna, cette fois, ce serait la bonne.
b/ coups tordus :
Au procès de première instance, Marion déclarera devant la Cour à propos d'Yvan Colonna : « Ce
sont les déclarations concordantes qui le désignent ». On a vu plus haut ce qu'il fallait penser de
cette concordance. Il ajoute : « Les aveux du commando sont sincères, vérifiés et corroborés par des
détails de l'enquête ». Quels détails ? Nous n'en saurons jamais rien. Certainement pas en tout cas le
rapport du RAID sur la filature et les écoutes téléphoniques dont Yvan Colonna a été l'objet pendant
plusieurs mois. Ce rapport est déclaré disparu. (Il ne reparaîtra qu'à la fin du procès en appel quand
l'accusé et ses avocats auront quitté le prétoire). On y reviendra plus loin. Ce rapport prouve deux
choses : pendant plusieurs mois, Yvan Colonna vit comme un homme qui n'a rien à se
reprocher car on pense bien que si la filature et les écoutes avaient révélé la moindre chose
supecte, cela aurait été mis en évidence par les enquêteurs. Peut-on imaginer que s'il avait été
coupable, sur plusieurs mois, il ne se serait jamais trahi si peu que ce soit ? Ce vide lui est donc tout
à fait favorable. Voilà pourquoi on fait disparaître le rapport. Celui-ci prouve autre chose : la
DNAT a menti quand elle a prétendu que le nom d'Yvan Colonna lui était inconnu avant que
Maranelli ne l'évoque pour la première fois en garde à vue. Ce mensonge (corroboré par le livre de
Amaury de Hauteclocque, chef du Raid, paru en 2009) laisse penser qu'en garde à vue, le nom
d'Yvan Colonna était « dans les tuyaux », comme on dit, et a bien été soufflé aux membres du
commando comme ceux-ci l'affirment. Pourquoi mentir, sinon ?
Il est vrai qu'un autre détail de l'enquête a de quoi surprendre : Mathieu Filidori est l'un des
responsables du syndicat agricole corse. Il a été arrêté et placé en garde à vue puis en détention
provisoire. La police va retrouver dans sa propriété des bâtons de dynamite. C'est fâcheux pour lui.
Mais voilà : cette dynamite est cachée dans un sac plastique provenant d'une grande surface qui
n'existe pas sur l'île. Un témoin certifie que les hommes de Roger Marion ont caché eux-mêmes ces
explosifs pour compromettre Filidori.
Roger Marion a été convoqué par Claude Guéant à l'Elysée quelques jours avant le procès. Mais on
va nous affirmer que Marion avait demandé à rencontrer le secrétaire général de l'Elysée parce qu'il
avait reçu des menaces « avec l'accent corse » sur son portable. En somme : vous êtes flic, vous
recevez des menaces et votre première réaction est d'aller vous plaindre à l'Elysée. D'autres sources
prétendent que Roger Marion rendu amer par sa fin de carrière avait menacé de ne pas être très
affirmatif sur la culpabilité de Colonna. C'est là que l'Elysée qui semble beaucoup tenir à cette
culpabilité aurait convoqué et convaincu Marion de rester dans le bon chemin. Celui qui allait lui
permettre de partir à la retraite avec le titre de préfet ?
c/ Au bout d'une enquête interminable et qui a mobilisé des moyens considérables, que reste-t-
il donc ? Beaucoup d'erreurs, de dysfonctionnements et de ratés. Mais surtout, aucune preuve
d'aucune sorte. Et, on le verra plus loin, bien des pistes inexplorées. Ceci explique le recours
systématique de la part de Roger Marion, entre autres, à l'intime conviction. Je rappelle que le
policier est payé pour apporter des preuves, pas pour donner ses sentiments personnels.
B – L'INSTRUCTION :
Curieusement, le dossier de l'attaque de la gendarmerie de Pietrosella et celui de l'assassinat du
préfet Erignac sont dissociés alors qu'il apparaît très rapidement qu'il s'agit d'une seule et même
affaire. Ils sont confiés à deux juges différents : les juges Laurence Le Vert (pour l'assassinat) et
Gilbert Thiel (pour Pietrosella). Ils sont chapeautés par Jean-Louis Bruguière. Dans ce club de trois
personnes, des sentiments d'inimitié de notoriété publique ne favorisent pas la coopération.
1 – Le juge Jean-Louis BRUGUIERE : ses activités de juge antiterroriste l'ont souvent mis sous le
feu des projecteurs. Aujourd'hui, on reparle de lui à propos de l'attentat de Karachi. En 2007, il est
candidat à la députation (sous la bannière UMP). Il a donc été contraint de quitter ses fonctions de
magistrat. Le juge Marc Trévidic a repris en charge le dossier de cet attentat qui a coûté la vie à
onze ingénieurs français de la DCN. Il donne une orientation totalement nouvelle à l'enquête. Des
témoignages nouveaux apparaissent, des révélations montreraient que l'attentat de 2002 aurait été le
fait non pas d'Al-Qaïda comme on l'a prétendu jusque-là, mais de l'armée pakistanaise. Il s'agirait
d'une histoire de rétrocommissions qui compromettrait notamment Edouard Balladur, François
Léotard et même Nicolas Sarkozy. Si ces accusations sont fondées, si les journalistes qui ont
enquêté ont raison, dès 2002, les responsables politiques auraient su à quoi s'en tenir. Cela n'aurait
pas empêché le juge Bruguière pourtant informé de l'existence de cette piste, de continuer à
n'enquêter, que sur la seule piste Al-Qaïda.
De la même façon, le même juge Bruguière est soupçonné d'avoir enquêté uniquement sur la piste
islamiste dans l'affaire de l'assassinat des moines de Tibéhirine. L'avocat des proches des moines
(Me Baudoin) l'accuse d'avoir soigneusement écarté les témoignages qui n'allaient pas dans le sens
de la « vérité officielle » (par exemple celui du général Buchwalter attaché militaire à l'ambassade
de France d'Alger). Il apparaît de plus en plus aujourd'hui que l'armée algérienne serait impliquée
dans ce drame.
Il faut ajouter à tout cela que le dossier établi par le même juge sur le génocide du Rwanda
s'effondre peu à peu. Une fois encore il s'enfermait dans la ligne officielle du pouvoir politique
français soucieux d'escamoter son rôle dans cette tragédie. On finit par se dire que ce sont des
soupçons précis, réitérés et concordants qui pèsent sur le même juge. Si ces soupçons étaient
fondés, Jean-Louis Bruguière serait le juge de la complaisance à l'égard de la raison d'Etat. Un
juge qui accepterait de s'enfermer pendant des années dans des pistes dont il saurait pourtant depuis
le départ qu'elles sont des impasses.
Cela jette une ombre certaine sur sa crédibilité en ce qui concerne son attitude dans l'affaire
Colonna.
Pour ajouter à cette suspicion de manquements à la déontologie du magistrat, rappelons deux points
qui ont marqué son passage à la barre au cours du procès en première instance :
- J.L.Bruguière est interrogé par Me Sollacaro et Me Simeoni au sujet de l'absence de
reconstitution. Il rappelle à juste titre qu'une reconstitution a eu lieu sur les lieux du crime quelques
semaines après celui-ci avec les témoins volontaires mais en l'absence des criminels qui ne seront
connus que plus d'un an plus tard. Une seconde reconstitution est prévue après l'arrestation du
commando Erignac (mai 99). Celle-ci est annulée parce que les accusés ont refusé d'y participer.
Question de Me Sollacaro : Pourquoi ne pas avoir fait jouer leur rôle par des figurants ?
Réponse du juge Bruguière : Parce que nous avons été pris de court.
Il ne dit pas pourquoi ils ne l'ont pas fait par la suite. Ils en auraient eu largement le temps, le procès
du commando n'ayant eu lieu qu'en 2003.
- Il évoque l'audition de Jeanne Ferrandi le 24 mai 1999. A cette date, elle a déjà parlé et accusé
notamment Yvan Colonna. Elle n'est donc plus en garde à vue. Le juge la reçoit dans son bureau de
la galerie Saint-Eloi. Il se dit touché par l'émotion de cette femme dont la vie vient de basculer...
Très bien.
Mais on remarque alors que ce 24 mai 99 où il reçoit Jeanne Ferrandi, libre, est le lundi de
Pentecôte. On se dit que voilà un juge bien travailleur ou... que l'audition ne risque pas d'être
dérangée par des témoins. Me Simeoni demande à J.L.Bruguière si Jeanne Ferrandi était
accompagnée de son avocat. Bien sûr, répond le juge. Et c'était, insiste l'avocat ?... C'était Maître...,
commence le juge. Mais il est bien incapable de donner un nom.
Donc, un lundi de Pentecôte, à un moment où il n'y a personne dans la galerie Saint-Eloi, le juge
Bruguière s'entretient apparemment en tête à tête avec un témoin important de l'accusation après
qu'il a parlé et qu'il a été relâché. Pourquoi ?
2 – Le juge Gilbert THIEL : Il passe pour l'esprit indocile de la section antiterroriste du parquet.
C'est tout à son honneur. Et il est vrai qu'il a fait preuve d'une belle ténacité dans un certain nombre
d'affaires. Mais il est arrivé aussi que cette ténacité le conduise à des dérapages. Il lui aura fallu trois
ans pour s'apercevoir qu'il s'était fait manipuler par deux de ses collègues italiens. Il a ainsi déployé
des moyens d'enquête considérables contre trois militants du nouveau PCI vivant en France. Le
député PS André Vallini, qui a présidé la commission d'enquête parlementaire à propos de l'affaire
d'Outreau a dit du juge Thiel qu'il a couru après « l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'ours ».
Il arrive donc au juge Thiel de se faire « instrumentaliser » selon l'expression du Syndicat de la
Magistrature. Cela ne lui enlève en rien ses certitudes et la passion de les faire prévaloir. Un témoin
décisif ( Paul Donzella) vient-il affirmer qu'Yvan Colonna ne pouvait pas participer à l'attaque de la
gendarmerie de Pietrosella, le 6 septembre 97, puisqu'il mangeait une pizza avec son fils ce soir-là
dans son restaurant, aussitôt le juge l'accuse de faux-témoignage obtenu par une concertation
téléphonique avec les avocats (Me Sollacaro) par l'intermédiaire de la famille (Stéphane Colonna).
Cette concertation a bien eu lieu. Mais après la déposition de Donzella. Les accusations du juge
vont d'ailleurs amener les avocats à porter plainte pour diffamation. Pourquoi le juge ne publie-t-il
pas les dates exactes des entretiens téléphoniques incriminés ? Et leur contenu, puisque le téléphone
de Stéphane Colonna était sur écoutes ? Et pourquoi ne poursuit-il pas Donzella pour faux-
témoignage ?
J'ai déjà évoqué les raisons qui lui ont fait retirer l'enquête à la gendarmerie. Le moins qu'on puisse
en conclure, c'est une susceptibilité étonnante.
Cette susceptibilité, on la retrouve dans la façon dont il a traité Patrizia Gattaceca. La chanteuse qui
mène une carrière internationale a admis avoir hébergé Yvan Colonna pendant sa cavale. Elle est
mise en examen. Admettons. Elle est assignée à résidence. Que craint-on ? Elle fait valoir que son
métier d'artiste la conduit à se produire à l'étranger er que son métier d'universitaire demande qu'elle
puisse participer à des conférences ailleurs qu'en Corse. Le juge l'assure qu'il examinera avec
bienveillance les demandes de sortie de l'île. Mais voilà que, dans la presse, elle explique en vertu
de quelles lois de l'hospitalité elle a hébergé Yvan et pourquoi elle le referait si c'était à refaire.
Aussitôt le juge prend la mouche. Il assigne donc l'effrontée à résidence en Corse sans exception.
Et, pour faire bonne mesure, le fils de Patrizia, lui, est assigné à résidence sur le continent.
3 – La juge Laurence LE VERT : Elle non plus n'est pas très regardante sur les moyens : elle
n'hésitera pas à faire mettre sur écoutes un journaliste de l'Est Républicain trop bien informé du
déroulement de l'instruction.
On verra un peu plus loin la façon dont Yvan Colonna a été traité par les deux juges d'instruction.
Ce qui est particulièrement grave, c'est le refus réitéré de la juge de verser au dossier les rapports
d'écoutes téléphoniques et de filatures favorables à l'accusé. Constatons que le Président de la
Chambre d'instruction saisi par les avocats a, lui aussi, refusé de transmettre la demande à l'instance
qu'il préside.
Elle refuse, pendant deux ans, de confronter l'accusé à ses accusateurs. La confrontation est un droit
que la juge viole donc allègrement.
Notons toujours qu'elle ne reçoit le père de l'accusé que deux ans après l'arrestation. Et n'allons pas
imaginer que ce soit pour l'interroger sur l'emploi du temps d'Yvan au soir du 6 février 98. Elle
cherche à le prendre en défaut sur la question de savoir s'il a eu ou non des nouvelles de son fils
pendant sa cavale. Pour cela, elle cite le beau-frère d'Yvan et elle tronque la citation pour lui faire
dire autre chose que ce qu'elle dit. Cet épisode peu glorieux pour la juge est évoqué de façon
détaillée dans LE ROMAN DE Ghjuvanni STEPHAGESE.
En conclusion, elle s'efforce tout au long de l'instruction, d'escamoter tout ce qui pourrait plaider en
faveur de l'accusé.
4 - Des méthodes inacceptables en démocratie: On peut admettre que les affaires de terrorisme
appellent une lutte déterminée.
Cela ne fera pas admettre pour autant ce qui semble se dégager ici du comportement des juges.
L'instruction a été anormalement coercitive. Tout se passe comme si la détention provisoire
était un commencement d'application de la peine avant même tout procès.
Qu'on en juge. Arrêté le 4 juillet 2003, Yvan Colonna est mis à l'isolement total pendant plus d'un
an. Cela signifie qu'il ne voit personne, même pas les autres détenus, qu'il reste enfermé dans sa
cellule 23 heures sur 24, que pendant une heure il peut marcher dans un couloir de béton de huit
mètres de long et recouvert d'un grillage.
Il faudra plus d'un an pour qu'il puisse voir ses parents. Les lettres qui lui sont envoyées mettent
entre plusieurs semaines et plusieurs mois pour lui parvenir.
Le 10 mars 2005 il est sorti de sa prison pour « bénéficier » de la première confrontation qui lui soit
accordée. Elle concerne l'affaire de Pietrosella. Tout le temps (plusieurs heures) qui va du moment
où il quitte sa cellule à celui où il entre dans le bureau du juge Thiel, il est menotté dans le dos, il
porte un gilet pare-balles et une gagoule, on lui a mis des lunettes opaques qui l'aveuglent. Peut-on
s'interroger sur les motivations et les buts de ceux qui ont recours à de pareilles méthodes ? Dans le
cas d'espèce, ne s'agit-il pas de « punir » celui qui s'est entêté à demander ce qu'on lui refusait ? Et
surtout de l'affaiblir nerveusement et psychologiquement avant une audition importante pour sa
défense ?
Le devoir du juge est d'instruire à charge et à décharge. Dans l'affaire Colonna, le postulat de la
culpabilité éclaire tous les actes de la procédure. On a systématiquement écarté ce qui pouvait lui
être favorable et jeter le doute sur sa culpabilité. On a fait disparaître des pièces. On a
systématiquement interprété les faits (parce que c'est très souvent une question d'interprétation)
dans le sens de la culpabilité ; on a ignoré de nombreux témoignages et des pièces à conviction (j'y
reviendrai). Cette instruction n'a pas été équitable.
5 - Comment comprendre cela ?
La commission d'enquête parlementaire de 99 parle, au sujet des juges en question d' « egos
surdimensionnés ». C'est une vision des choses. Elle a le mérite d'expliquer les luttes d'influences,
les combats pour des préséances dérisoires, des haines farouches. Elle explique aussi un goût du
pouvoir qui conduit à vouloir briser celui qui est à votre merci, à considérer toute réaction de dignité
comme un crime de lèse-majesté là où la déontologie demanderait beaucoup d'humilité, d'humanité,
de sang-froid et d'impartialité.
D'autres pourraient s'inquiéter des dérives serviles à l'égard des puissants...
C – LES PROCES :
Du 2 juin au 11 juillet 2003 a lieu le procès de ce qu'on a appelé le commando Erignac au terme
duquel des peines lourdes ont été appliquées (de 15 ans à la perpétuité). Le 4 juillet, donc avant la
fin, Yvan Colonna est arrêté à Olmetu. Puisqu'il était accusé d'être le tueur du préfet, la logique
aurait voulu qu'il soit placé dans le même box que les autres accusés afin d'être jugé avec ses
supposés complices. Et si son dossier n'était pas prêt, il suffisait de suspendre le temps nécessaire le
procès en cours. Qu'on ne l'ait pas fait est significatif en soi. Pour en comprendre la portée, il faut se
souvenir (voir plus haut) de la répugnance avec laquelle les juges d'instruction ont accepté
d'organiser les confrontations avec ses accusateurs de la première heure qu'Yvan demandait. On ne
voulait pas que ces hommes-là se rencontrent publiquement. Pourquoi ? A l'évidence parce que
cette confrontation aurait fait sauter en éclats l'image négative que les enquêteurs avaient donnée
d'Yvan et que sa cavale avait contribué à renforcer.
Le supposé membre principal du commando sera donc jugé à part. Quatre années plus tard ! Quatre
années passées en prison préventive. Le procès aurait pu avoir lieu un an plus tôt, les dossiers
étaient bouclés. Mais il est vrai qu'entre temps se déroulait une certaine campagne présidentielle...
Allait-on risquer de la polluer avec ce procès ?
Le procès en première instance aura donc lieu du 12 novembre au 13 décembre 2007 devant une
cour d'assises spécialement constituée (le jury est composé de 7 juges professionnels désignés et
non de citoyens ordinaires tirés au sort). La Cour est présidée par Dominique Coujard.
Auparavant, en mars 2007, se déroule le procès consécutif à la plainte d'Yvan Colonna contre
Nicolas Sarkozy pour viol de la présomption d'innocence (rappelons qu'au soir de l'arrestation
d'Yvan, N.Sarkozy avait déclaré dans un meeting : « la police française vient d'arrêter l'assassin du
préfet Erignac, Yvan Colonna). Au terme du procès, le plaignant est débouté. Les juges estiment
que les propos de Nicolas Sarkozy « suscitent une impression certaine de culpabilité » mais qu'ils
ne présentent pas Colonna comme l'auteur du crime. Sans commentaire.
Le procès en appel se déroule, lui aussi, devant une cour d'assises spécialement constituée du 9
février au 27 mars. Il est présidé par Didier Wacogne.
Dans les deux procès où Yvan est l'accusé, les avocats généraux et les présidents de cour incarnent
l'appareil judiciaire. Examinons-les.
1 – LES AVOCATS GENERAUX :
On ne leur reprochera pas d'avoir requis contre l'accusé : c'est leur fonction. Ils sont même là, au
nom de la société, pour tenter de mettre en lumière ce qui fait tomber le prévenu sous le coup de la
loi. Cela dit, voici quelques remarques et interrogations.
Au premier procès, on a pu noter l'absence de réaction des deux avocats généraux tout au long des
débats. Ils n'ont quasiment jamais de question à poser. C'est au point que le président lui-même
semble s'en étonner : dix jours après le début du procès, il les interpelle : « Le ministère public,
toujours pas de question ? ». Ce silence pose problème dans la mesure où tout se passe comme si les
débats n'avaient pas lieu, comme si la position des avocats généraux avait été établie à l'avance.
Dans leurs réquisitoires, ils parleront comme si rien n'avait été dit au cours des débats. Ainsi, par
exemple, l'avocat général Yves Jannier dira-t-il dans son réquisitoire : « Monsieur Colonna, si vous
n'avez rien à vous reprocher, pourquoi ne pas nous dire ce que vous faisiez les 5 et 6 février
1998 ? » C'est proprement incroyable : Yvan Colonna s'est expliqué avec précision sur son emploi
du temps. On a vu qu'il y a de nombreux témoins pour le corroborer. Yves Jannier ne les a pas
entendus.
Il y a plus grave : Yves Jannier appuie son argumentation sur des contre-vérités. A propos du
commando Erignac, il affirme le 12 décembre 2007 : « six de cette armée des ombres ont mis en
cause le septième. Ils ont tous balancé Yvan Colonna ». Sur la réalité des accusations, qu'on relise
ce que j'écris dans la rubrique « Accusations ». Bien sûr, l'avocat général préfèrerait, pour sa
démonstration, qu'il y ait unanimité contre Yvan Colonna. Seulement, ce n'est pas le cas. Et ce détail
n'est pas indifférent. Voilà pourquoi il éprouve le besoin de distordre la vérité.
Ajoutons pour mémoire, mais en admettant que c'est de bonne guerre, qu'il fait comme si les
assassins avérés étaient des êtres loyaux et fiables et l'accusé le dernier des pervers. Il fait mine de
s'étonner qu'aucun des membres du commando ne se soit levé pour laver Yvan de l'accusation des
autres (ce qui par parenthèse revient à admettre qu'ils ne l'ont pas tous accusé et que lui, l'avocat
général, n'a pas dit la vérité quand il a prétendu le contraire).
Un dernier mot sur Yves Jannier. Huit jours après le procès, il reçoit la promotion qu'il demandait :
il est nommé à la tête de la section antiterroriste du Parquet sur proposition de Rachida Dati, garde
des sceaux. Aujourd'hui, (juin 2010), toujours à ce poste, il « ne croit pas à la thèse d'un mobile
financier pour expliquer l'attentat » de Karachi et a, par conséquent, « décidé de ne pas travailler sur
cette thèse ».
Jean-Claude Kross. Il est l'un des deux avocats généraux du procès en appel. Quelques mois plus
tard, prenant sa retraite, il publie ses mémoires. A cette occasion il est interviewé par Adrien
Cadorel, un journaliste de Métro qui lui parle du procès Colonna et lui fait observer que le dossier
ne contenait aucune preuve contre l'accusé. Réponse de Jean-Claude Kross, avocat général : « C'est
vrai. Mais j'avais l'intime conviction de sa culpabilité ». On peut, à l'extrême rigueur, admettre
que les membres du jury se prononcent sur la base de leur intime conviction (encore que s'agissant
de la peine maximale on puisse s'interroger sur le bien-fondé de ce fonctionnement) mais l'avocat
général ? N'est-il pas là pour montrer que l'accusé est coupable ? S'il n'en a pas les moyens,
comment peut-il requérir la peine maximale ?
2 – LES PRESIDENTS DE COUR.
Le Président Coujard préside la Cour d'Assises spécialement constituée. Il apparaît comme un
homme courtois à l'égard de l'accusé. C'est bien, mais...
On va s'apercevoir rapidement qu'il ne tient pas la balance égale entre la défense et l'accusation, loin
de là. A aucun moment il ne pousse les enquêteurs dans leurs retranchements. A aucun moment, il
ne leur demande les preuves qui fondent leurs accusations. A aucun moment il ne rappelle que
c'est à l'accusation d'apporter la preuve de la culpabilité. En revanche, il demande à
Y.Colonna de prouver son innocence : « il faut nous apporter des éléments », lui dit-il.
A contrario, il s'efforce de jeter le discrédit sur les témoins à décharge. Le cas le plus grave
concerne Paul Donzella, ce restaurateur de Cargèse qui affirme que Yvan Colonna dînait dans sa
pizzeria le soir de l'attentat contre la gendarmerie de Pietrosella. C'est un témoignage capital. Car si
Y. Colonna n'était pas à Pietrosella, on ne voit pas pourquoi il aurait été à Ajaccio pour tuer le
préfet. Donzella à lui tout seul jette à terre toute la mécanique imaginée par l'accusation. Donzella
passe à la fin du procès, tout à fait en fin de journée. Il a résisté aux banderilles de l'accusation et de
la partie civile. C'est alors que le président Coujard laisse filer un fou rire qui va gagner
progressivement la cour puis la salle. Cela va durer suffisamment de temps pour que, du
témoignage de Donzella, on ne retienne que cet incident de séance et non pas le contenu. C'est
proprement scandaleux et indigne d'un juge équitable.
Mais faut-il s'en étonner ? Le président Coujard a déjà laissé paraître son parti-pris contre
Y.Colonna. Dix jours avant la fin du procès, il dit à l'accusé : « Nous fondons notre intime
conviction à partir de la raison ». Tout est à critiquer dans cette affirmation. Le « nous » d'abord
qui implique que le Président se sent appartenir au clan de l'accusation et n'est pas au-dessus des
parties entre lesquelles il devrait tenir la balance égale. Ensuite, la « raison » invoquée montre qu'il
s'agit bien de raisonnements qui ont servi à échafauder une théorie et non pas d'une réalité objective
étayée par des faits. Il en fait d'ailleurs à plusieurs reprises l'aveu involontaire en utilisant le terme
de « scénario » qui évoque bien une fiction. « L'intime conviction », enfin. Dix jours avant la fin
du procès, le président avoue avoir une intime conviction défavorable à l'accusé. Comment
pourrait-il donc avoir une attitude équitable ?
On ne s'étonnera pas dès lors de son refus de procéder à la reconstitution demandée par la défense.
Mais comme c'est un homme habile, il biaise : il va accepter un transport sur place qui ne montrera
rien du tout et pour cause.
Ici, une remarque à propos du refus de la reconstitution. On le justifie en général par le refus des
membres du commando d'y participer. Ce n'est une bonne raison qu'en apparence. D'abord parce
que ce refus ne concerne que les deux protagonistes du crime : Ferrandi et Alessandri (les autres
complices ne sont pas sur place) et qu'en fin du procès en appel, Alessandri a levé son opposition.
Ensuite et surtout parce qu'en pareil cas, on fait intervenir des gens qui se mettent à la place des
accusés (voir à ce sujet les propos du juge Bruguière). En l'occurence, cela aurait largement suffi
pour montrer que le scénario (justement !) de l'accusation ne tient pas debout. N'importe qui, sur les
lieux du crime, peut comprendre qu'un attentat de cette importance ne peut pas avoir été le fait de
deux ou de trois hommes. Si on avait convoqué les très nombreux témoins qui ont vu des choses et
des gens suspects le soir du drame, on aurait compris que le scénario de la police est inepte. On
aurait compris qu'il y avait bien plus de complices sur place (voir plus loin) que l'accusation ne veut
le reconnaître. Voilà la véritable raison pour laquelle il fallait à tout prix refuser la reconstitution. Le
Président Coujard a accepté de jouer ce jeu-là.

Le Président Wacogne : La présidence de Didier Wacogne a été si partiale que le parquet s'en est
ému : quelques jours après le procès, on apprenait que le magistrat ne présiderait plus de cour
d'assises. En attendant il avait tout de même accompli le travail pour lequel il avait été nommé par
le premier président de la cour d'appel, lui-même nommé par le président de la République.
Les coups de théâtre du procès en appel étant encore dans les mémoires, on se contentera de
rappeler ici les principaux reproches que l'on peut adresser au président.
- il ne communique pas à la défense toutes les informations qu'il possède. Ainsi, il ne révèlera
que le 27 février le refus du commandant Lebbos de venir à la barre des témoins. Il devait être
entendu le 4 mars. Lebbos est un témoin capital pour juger de la façon dont l 'enquête a été conduite
(voir plus haut). Il a fourni un certificat médical daté du 4 février (5 jours avant le début du procès).
De son côté, Didier Vinolas (ancien secrétaire général de la préfecture d'Ajaccio au moment de
l'assassinat) dont l'audition va créer un véritable choc, avait fait savoir au président Wacogne, dès la
fin janvier, qu'il comptait faire des révélations importantes. Le président garde l'information pour
lui. Il prétendra ne pas avoir lu son courrier.
Ces rétentions d'information sont de nature à gêner le travail de la défense.
- Les refus du président :
Refus de renvoyer le procès malgré le choc des révélations de Vinolas.
Refus de nouvelles investigations sur les deux complices « dans la nature » désignés par ces
révélations au prétexte que les deux personnes étaient déjà connues des enquêteurs et qu'elles
n'étaient pas intéressantes. Pas intéressantes ? Qu'on en juge. On avait découvert chez l'un des
vêtements de gendarmerie dérobés à la gendarmerie de Pietrosella. Et l'autre était propriétaire d'une
205 blanche semblable à cette voiture qui, garée tout près du lieu du crime, a démarré en trombe dès
l'attentat commis...
Refus d'ordonner un supplément d'enquête.
Refus d'organiser la reconstitution devenue pourtant si nécessaire au dévoilement de la vérité.
On évoquera pour mémoire quelques comportements étranges. A Joseph Colombani (voir le
chapitre sur les témoins), il lance un méprisant « Vous vous présentez donc comme le témoin
idéal ». Au moment où Maranelli va craquer sous le feu des questions des avocats, le président
intervient pour qu'on change de sujet. Il n'a aucune question à poser à Marie-Ange Contart qui a
pourtant vu l'assassin à deux mètres. En revanche il accable de questions au autre témoin qui n'a
rien vu.
Il n'a rien à dire non plus à Me Simeoni qui prouve en audience que tout ce qui a été dit sur le
dossier de la téléphonie était erroné. Un président de cour soucieux de vérité aurait convoqué des
experts, ordonné un supplément d'enquête... Didier Wacogne, lui, passe à une autre question.

IV - LES PISTES « OUBLIEES »
J'ai eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises dans les pages qui précèdent : tout se passe comme si
on avait enquêté, instruit et jugé « à charge » et seulement « à charge ». Comme si on n'avait retenu
que ce qui pouvait convaincre l'opinion de la culpabilité d'Yvan Colonna et faire donc admettre les
verdicts infligés. J'ai bien dit l'opinion. Car pour ceux qui connaissent intimement le dossier, on ne
voit pas comment ils pourraient croire une seconde à cette culpabilité. C'est en ce sens que
l'affaire Colonna est une affaire d'Etat.
Malgré les efforts des juges et des policiers les éléments à charge ne pèsent pas lourd.
Il y avait si peu de choses dans ce plateau d'une possible culpabilité, qu'on a dû « négliger » voire
escamoter, souvent au prix d'incroyables contorsions, toute une série de faits, de détails, de
témoignages qui seraient allés tout naturellement dans le plateau de l'innocence.
N.B. Deux questions qui n'ont que les apparences du bon sens mais ont fait des ravages dans
l'opinion seront traitées dans un chapitre à part : pourquoi s'est-il enfui ? pourquoi ses copains l'ont-
ils accusé ?
1 – Des détails et des indices négligés :
Rappelons-en quelques uns en vrac.
- A Pietrosella, on a retrouvé une trace d'ADN sur l'un des morceaux de scotch qui ont servi à
baillonner les gendarmes enlevés. Elle ne correspondait à aucun des membres connus du
commando. Nul ne s'était avisé de chercher à qui d'autre elle pouvait appartenir. Me Simeoni, à la
fin du premier procès, a demandé et obtenu qu'on vérifie au moins si c'était l'ADN d'Yvan Colonna.
Et non, vérification faite in extremis, ce n'était pas l'ADN d'Yvan Colonna. A qui d'autre, alors ?
Cette question n'a pas intéressé les juges.
- Après l'assassinat du préfet, un courrier de revendication a été posté le lundi 9 février à Borgo
(près de Bastia). On a retrouvé une autre trace d'ADN sur l'une des enveloppes. Cette trace n'a
jamais été exploitée.
- Le lendemain de l'assassinat, le samedi 7 février, au moment où Yvan est censé être à Ajaccio chez
les Ferrandi, Alain Ferrandi l'appelle chez sa compagne, Pierrette Serrerri. Pourquoi ? Indice jamais
exploité.
- Maranelli prétend que, l'après-midi de l'assassinat, il a conduit Yvan « à une adresse » dans
Ajaccio. Là « quelqu'un » lui aurait remis l'arme du crime. Les enquêteurs n'ont pas cherché à en
savoir davantage sur ce « quelqu'un » et cette « adresse ».
- Le « scénario » de l'assassinat repose en grande partie sur ce que révèle l'enregistrement des
communications par téléphone mobile (heure d'appel, durée de l'appel, numéro appelant, numéro
appelé et borne téléphonique activée) sur la situation des uns et des autres. Pour la police, à telle
heure, Ferrandi était à tel endroit, Maranelli à tel autre, etc. Ces indications ont été complétées par
les révélations de Maranelli en garde à vue. Or, au cours du procès en appel, Me Simeoni qui a
vérifié le dossier de la téléphonie est en mesure de prouver que ce dossier ne dit pas ce qu'on lui à
fait dire sur l'emplacement des membres du commando à tel ou tel moment avant l'assassinat.
C'était tout le scénario officiel qui s'effondrait. Ce coup de théâtre n'a entraîné aucune réaction de la
part des juges de la cour d'assises.
2 – Des actes de procédure qui traînent les pieds :
Rappelons pour mémoire la longueur des délais qui séparent le moment où Yvan demande à être
confronté à ses accusateurs (ce qui est de droit) et le moment où il sera effectivement confronté. Il
est arrêté le 4 juillet 2003. Il est confronté à ses accusateurs le 29 novembre 2005 : 29 mois plus
tard !
Octobre 2004 : Pierre Alessandri dans une lettre à la juge Le Vert s'accuse d'être le tueur. Un peu
plus tard, pour preuve de sa bonne foi, il indique que le second revolver dérobé à Pietrosella n'a pas
été jeté à la mer comme il l'avait affirmé et qu'il peut conduire à l'endroit où il est caché. Le juge
Thiel, concerné par cette partie de l'enquête attendra le mois de février de l'année suivante pour
procéder à la perquisition proposée. On trouvera effectivement l'arme à l'endroit annoncé.
3 – Des actes de procédure refusés :
Ne revenons pas sur la reconstitution sur place maintes fois demandée par Yvan Colonna et ses
avocats et toujours refusée. Indiquons en revanche que les témoins oculaires du crime n'ont jamais
été confrontés ni à Ferrandi ni à Alessandri.
Cédric Le Prévost est l'un de ces témoins oculaires. Il a vu, le soir du crime deux hommes « se
poster » dans une rue adjacente. Il affirme être certain de ne pas reconnaître Yvan Colonna comme
l'un de ces deux hommes. A Me Simeoni qui lui demande s'il a été confronté à Yvan Colonna, il
répond : « non, jamais. »
4 – Des actes de procédure plus que suspects : un exemple. Chaque interrogatoire donne lieu à un
procès-verbal signé par tous les participants. Les membres du commando affirment que les
interrogatoires n'ont pas été étanches comme ils auraient dû l'être et que l'on a fait pression sur les
uns à partir des supposées déclarations des autres. On constate que pour certains accusés, les
procès-verbaux d'interrogatoire ne sont que des copiés-collés d'autres P.V correspondant à d'autres
accusés. Identiques jusqu'aux fautes d'orthographe !
5 – Cachez ces complices que je ne saurais voir :
Nous touchons là au point névralgique des défaillances de l'appareil judiciaire.
Depuis l'arrestation des six membres du commando Erignac en mai 99 et la mise en cause d'Yvan
Colonna, tout se passe comme si l'appareil antiterroriste ne voulait plus entendre parler d'autre
chose : sept accusés et la coupe est pleine.
Mais voilà : la réalité et les témoins disent autre chose.
Dès l'assassinat, de nombreux témoins se présentent à la police pour faire état de faits ou de gens
suspects ayant attiré leur attention dans le quartier du Kallistè avant et tout de suite après le meurtre.
- Un témoin affirme avoir remarqué juste avant le crime un homme parlant dans un talkie-walkie et
qui, se sentant découvert, est allé se cacher dans l'ombre. C'est le seul talkie-walkie dont il soit
question ce soir-là. L'utilisation de cet appareil n'a de sens que si quelqu'un d'autre en a un aussi.
Comme ce n'est pas l'un des membres connus du commando, il faut bien que ce soit quelqu'un
d'extérieur. Quelqu'un qui sait parfaitement, lui, que les téléphones mobiles laissent des traces...
D'autres témoins ont repéré d'autres personnes, à pied ou en voiture (une voiture rouge qui, après
avoir attendu, moteur allumé, a suivi celle du préfet dès qu'il est arrivé dans le quartier ; une 205
blanche qui, à peine quelques instants après le forfait, démarre de façon si spectaculaire qu'un
passant relève son numéro, un numéro qui se révèlera trafiqué, puis se fait remarquer encore par une
conduite forcenée aux environs de l'aéroport). Si on additionne ces gens suspects, on arrive à une
douzaine d'individus. Quand on se rend sur place, quand on voit la configuration du quartier, qu'on
pense que les tueurs ne savaient pas par où le préfet allait arriver, on se dit qu'il fallait au moins
deux équipes et des guetteurs pour être assuré de réussir l'attentat.
- J'ai déjà évoqué le coup de théâtre de la déposition de Didier Vinolas au procès en appel. Cette
déposition indique deux complices « dans la campagne » dont les noms n'auraient jamais été
révélés.
- Si on veut bien relire objectivement les dépositions des membres du commando au cours des
procès en première instance puis en appel, on comprendra qu'ils font allusion à des complices non
connus. Mais cela, personne n'a voulu le voir. On a préféré faire la part belle aux paroles
amphigouriques d'Alain Ferrandi (« tu es un homme d'honneur. Si tu y avais été, tu l'aurais dit. Tu
ne l'as pas dit, donc tu n'y étais pas ») qui ne signifiaient pas forcément ce qu'on a voulu leur faire
dire. Ferrandi disculpe Yvan et lui rend même hommage. Mais il le fait à contrecoeur. Pas
forcément pour les raisons qu'on a dites compte tenu de sa personnalité.
-Quoi qu'il en soit, le même Ferrandi utilise des formules tout aussi sybillines mais finalement plus
révélatrices et que personne n'a relevées : A propos du commando, il dit « je ne vous donnerai pas
les noms ni qui a fait quoi », et encore « Yvan Colonna n'est pas celui qui faisait partie du groupe ».
A Me Simeoni qui lui demande « Y a-t-il d'autres membres du commando non identifiés qui
courent encore ? », Ottaviani répond de son côté : « c'est à la justice de le dire ».
Toutes ces réponses n'ont de sens que si l'on admet qu'il y a des complices non identifiés. Des
complices qui n'ont jamais été dénoncés par ceux qui ont été arrêtés. On fait semblant de croire que,
par rancune, le commando a accusé Yvan parce qu'il ne se serait pas dénoncé. Mais alors, pourquoi
n'ont-ils pas accusé les autres qui continuent de courir impunément ?
Au procès en appel, les membres du commando sont encore plus explicites. Ferrandi, pressé de
questions par Yvan finit par lâcher : « Il est évident que des gens n'ont pas été arrêtés... » ou encore
« Nous étions plus nombreux au sein du groupe ». De son côté, Versini reconnaît : « Il y avait
d'autres gens sur l'action. Il fallait les protéger. Toi, tu étais en cavale... »
Ce que dit Versini est très clair : il y a des complices qu'il fallait protéger. Comme Yvan était en
cavale, il était provisoirement à l'abri. On pouvait donc le charger pour couvrir les autres.
On verra plus loin ce que dit Pierre Alessandri.
CONCLUSION :
On aura compris que les acteurs du système antiterroriste s'arc-boutent pour des raisons
mystérieuses sur la culpabilité de Colonna quitte à tordre les faits, à commettre un déni de
justice, à être sourds, aveugles à tout ce qui pourrait signifier autre chose. Toute dérive de
procédure, tout manquement aux règles et aux principes du droit français et européen sont
donc autant de preuves « en creux » de l'innocence d'Yvan Colonna. On n'enquête pas sur tel
indice, on ne procède pas à telle confrontation ou à la reconstitution, quitte à violer la loi,
parce qu'on sait pertinemment que la thèse de la culpabilité en serait disqualifiée.

V – LA PERSONNALITE D'YVAN COLONNA
Ce qu'on peut savoir, deviner et comprendre de la personnalité d'Yvan Colonna lui donne-t-il plutôt
le profil d'un assassin ou celui d'un homme honnête ? C'est une question importante.
Yvan Colonna serait tout à fait hostile à ce que je vais écrire maintenant, non pour le contenu mais
pour le principe. Il aurait sans doute le sentiment d'être l'insecte que l'entomologiste examine à la
loupe. Je comprends cette réticence et l'irritation provoquée. Mais je ne puis faire autrement que ce
que je fais pour au moins deux raisons : d'une part, je ne vois pas de quel droit je garderais pour moi
ce que je sais et qui démontre son innocence et le fonctionnement scandaleux de nos institutions (en
ce sens, l'affaire Colonna dépasse largement la personne d'Yvan Colonna) ; d'autre part, beaucoup
de gens veulent savoir pour se faire une opinion et c'est eux qu'il faut éclairer.
Fin mai 2010, Yvan Colonna et cinq personnes accusées de l'avoir aidé pendant sa cavale ont
comparu devant le tribunal correctionnel de Paris. Le premier pour détention d'armes (il avait une
grenade défensive et un chargeur sans pistolet dans son sac quand il a été arrêté), les autres pour
association de malfaiteurs en vue de préparer des actes terroristes et recel de l'auteur ou du complice
d'un crime puni d'au moins dix ans d'emprisonnement.
Notons qu'Yvan ayant fait appel devant la Cour de Cassation il est présumé innocent et l'on
comprend mal la tenue de ce procès tant qu'on ne peut pas juridiquement le considérer comme
« l'auteur » ou le « complice » du crime en question.
Le ton du procès devant un tribunal correctionnel a été en général nettement plus détendu que les
deux précédents devant des cours d'assises spéciales. Tout s'est passé comme s'il était évident que
les gens au banc des accusés n'étaient pas de redoutables terroristes liés par une organisation de fer.
La belle personnalité de Patrizia Gattaceca y a été sans doute pour beaucoup. Elle a fait le choix
d'assumer ses actes avec simplicité et détermination : elle ne pouvait qu'entraîner la sympathie. Ils
sont apparus ainsi comme des gens d'abord mûs par des sentiments d'humanité. La courageuse
solidarité dont ils ont fait preuve avec naturel a fait honte à l'individualisme de notre monde
desséché. Je les connais presque tous. Ils m'ont aidé considérablement quand je cherchais de la
documentation pour écrire ce qui allait devenir LE ROMAN DE Ghjuvanni STEPHAGESE.
D'ailleurs, les aveux faits par André Colonna d'Istria sur la réalité de sa participation et qui relèvent
d'un sens très poussé de l'honneur et du courage, corroborent ce que je raconte de façon déguisée
mais qui dit des choses essentielles sur Yvan, sur les gens qui l'ont soutenu, sur la façon dont ils
pensent et agissent. Ce que j'ai raconté de la cavale et qui n'a jamais été dit nulle part ( y compris
pour ce qui est de certaines anecdotes piquantes) est donc vrai sur le fond parce que j'ai eu accès
aux bonnes sources.
La présidente du tribunal correctionnel a adopté un ton agréable. Que pense-t-elle au fond d'elle-
même de la gravité des faits reprochés aux prévenus ? La suite le dira.
Elle a parlé à Yvan comme à une personne normale et non comme à un dangereux malfaiteur.
Leur échange me semble très révélateur de la personnalité de l'accusé. En voici un extrait rapporté
par Sylvie Véran du Nouvel Observateur.
La Présidente : - Quelles sont vos occupations en prison ?
Y C : - Tout va bien !
La Présidente : - Vous faites quelque chose ? Vous prenez des cours ?
YC : - Non, je fais du sport.
La Présidente : - Vous avez des visites ? Celles de votre compagne ?
YC : - Oui.
Ces trois réponses d'Yvan pourraient paraître anodines. Elles sont en réalité profondément
symptomatiques de ce qu'il est. A la question sur ses occupations, il a l'air de répondre à côté. En
fait, il dit des choses très fortes.
Cette réponse établit des distances. De mon point de vue, elle dit à la présidente : « Nous ne
sommes pas dans un salon où nous parlerions à égalité. C'est votre justice qui m'a mis là où je suis
alors que je suis innocent. Vous n'allez pas maintenant faire semblant d'avoir de la compassion pour
moi et moi je ne vais pas faire comme si je pouvais me plaindre à vous et vous faire des
confidences».
La suite des réponses est, de la même façon, une fin de non recevoir. Ainsi, par exemple, quand il
dit « Non, je fais du sport », il ne dit pas la vérité. Au vrai, Yvan travaille plusieurs langues, il lit
énormément (des ouvrages qui portent sur le combat des peuples opprimés, sur l'écologie, sur
l'économie ; il lit des ouvrages de littérature générale, de poésie, notamment). Pourquoi cache-t-il
cela ? Par fierté. S'il disait de lui des choses qui seraient forcément perçues comme valorisantes, il
aurait le sentiment de faire le beau dans l'espoir d'avoir un sucre. Un « sucre » qui ne viendrait pas
de toute façon. Yvan pense que le système judiciaire qu'il subit est « aux ordres ». Il ne lui fait
aucune confiance. Il ne s'humiliera donc pas devant lui. Il protestera mais ne se plaindra pas. Je ne
suis pas certain que beaucoup de ceux qui lui sont hostiles supportent bien cette fierté dont ils
seraient peut-être incapables eux-mêmes.
Comme on comprend que cet homme-là soit parti en cavale. Il n'a pas voulu se soumettre de lui-
même à une police qui parlait de le ramener « mort ou vif » ni à une Justice dans l'équité de laquelle
il n'avait aucune confiance. La suite lui a tellement donné raison !
Devant une représentante de cet appareil judiciaire, si policée soit-elle, il ferme, courtoisement mais
fermement, la porte d'un dialogue possible sur le seul domaine dont il garde à peu près la maîtrise :
la vie intime de son esprit.
Le propre de la prison est de priver le détenu de toute capacité à agir sur et pour sa propre vie et
celle des siens. Il ne peut plus être maître de son destin. Alors, ce qu'il peut préserver, Yvan en
défend l'accès, farouchement. Ses occupations le regardent et ne regardent que lui. Il ne se confiera
pas et surtout pas à quelqu'un dont l'intérêt qu'il témoigne est vraisemblablement de pure forme.
Quand il répond « Tout va bien », on peut entendre : « Votre système a voulu m'abattre mais il n'a
pas entamé ma capacité de résister : je tiens le coup. Bien que je sois innocent, on m'a condamné à
la peine la plus lourde avec la complicité des chiens de garde du système. Je continuerai à me battre
autant de temps qu'il le faudra. »
Yvan Colonna est, on le comprend donc, un homme d'une force morale et psychique exceptionnelle.
La solitude du berger, la culture acquise, le sentiment de solidarité avec les victimes d'un monde
injuste, les années de prison imméritée l'ont aguerri. C'est pour cela qu'il peut affirmer : « Tout va
bien ».
Ce qui caractérise Yvan, donc, c'est cette pudeur farouche, cet esprit de résistance inflexible, ce
sentiment intraitable de sa propre dignité. C'est un homme incapable de compromis, à plus forte
raison de compromission. Il n'aliénera pas une once de sa dignité, il ne courbera pas l'échine quoi
qu'il puisse lui en coûter. C'est aussi cela qui a paru insupportable à ceux qui ont enquêté sur lui ou
instruit son procès.
Les preuves en sont multiples. Dès les premières auditions des juges d'instruction, toutes les
réponses qu'il a pu faire pour affirmer son innocence ont été durement traitées comme des
mensonges. Voici sa réaction : si, quoi que je dise, vous considérez que c'est un mensonge, autant
que je me taise.
Et il se tait effectivement pendant près de deux ans. Il n'acceptera de parler aux juges Le Vert et
Thiel que lorsqu'il estimera que ses conditions de détention provisoire sont redevenues normales, de
sorte qu'il puisse, en particulier, bénéficier des visites de sa famille. Comme tout le monde.
On se souvient qu'au procès en appel, quand il estimera que la preuve est faite que la cour qui le
juge est de parti pris et « aux ordres », il refusera de servir d'alibi à ce jeu truqué et refusera de
comparaître désormais, quitte à passer le temps des audiences dans une souricière qui « sent la
pisse ».
Quand il arrive à Fleury-Mérogis, en 2003, il est convoqué dans le bureau du directeur. Celui-ci, lui
dit en substance : vous êtes un détenu considéré comme dangereux. Je vous aurai à l'oeil. Je
veillerai personnellement à ce que vous ne troubliez pas le bon ordre de cette prison. M'avez-vous
compris ?
Yvan ne répond pas. L'autre répète : m'avez-vous compris ? Et comme Yvan persiste dans son
silence, le directeur lui demande pourquoi il ne répond pas. Alors, Yvan lui dit : Vous avez quelque
chose à me demander et vous me laissez les menottes aux poignets. Tant que je serai menotté, je ne
répondrai pas.
Le directeur accède alors à cette demande. Dès qu'il est démenotté, Yvan dit : Je suis en prison mais
je suis innocent, cela sera montré tôt ou tard. Quand j'affirme que je suis innocent, vous n'êtes pas
obligé de me croire. Cependant, innocent ou coupable, je reste un homme. C'est pourquoi, j'entends
être traité comme un homme. Si le personnel de la prison me respecte, je le respecterai à mon tour.
S'il ne me respecte pas, je ne le respecterai pas.
Banco ! s'exlame le directeur. Banco ! répond Yvan.
A partir de là, les relations entre le prisonnier et le personnel pénitentiaire seront toujours très
correctes.
Autre qualité : la maîtrise de soi. Une anecdote vaut mieux qu'un discours.
Pendant qu'il est en cavale à Olmetu, un soir, il va au restaurant avec un accompagnateur. Dans ce
restaurant, il y a une tablée de policiers qui fêtent je ne sais plus trop quel événement. Pendant que
le compagnon d'Yvan leur parle pour détourner leur attention, Yvan s'installe tranquillement à une
table près d'eux. Ils passeront la soirée côte à côte.
Si Yvan Colonna était l'assassin que certains prétendent, s'il s'était enfui parce qu'il avait perpétré un
forfait, s'il avait nié sa participation alors que ses complices ont été arrêtés, ce qui le caractériserait,
ce serait la brutalité, la lâcheté, la déloyauté, le cynisme. Cet homme-là n'aurait pas de scrupule.
Pour lui, tout aurait été bon pour tromper le public et pour sauver sa peau.
Cet homme-là aurait accepté sans regret l'exfiltration qui lui a été proposée à plusieurs reprises. Il se
serait expatrié et aurait recommencé sa vie ailleurs.
Cet homme-là aurait vu d'un bon oeil que des ouvrages soient écrits sur son affaire surtout s'ils
plaidaient en sa faveur.
Qu'en est-il en réalité ?
Sur la brutalité : Yvan Colonna lit les poètes, notamment Nazim Hikmet, ce poète de la douceur et
de l'amour mais qui a préféré passer une grande partie de sa vie en prison plutôt que de renoncer à
ce qu'il croyait juste. Yvan, le Corse n'était même pas chasseur. Il a été secouriste et il a risqué sa
vie pour tenter de sauver un nageur allemand imprudent. Il consacrait ses temps libres à aider les
jeunes de son village qui jouaient au foot...
Sur la lâcheté : c'est une injure qui revient souvent (sur le thème : dénonce-toi si tu es un homme)
dans la bouche de madame Erignac et dans celle de ses avocats. Comme si un innocent allait avouer
qu'il est coupable pour le simple plaisir d'avoir l'air courageux ! De fait, la façon dont il a tenu tête à
ses accusateurs, sa détermination inflexible sont tout ce qu'on voudra sauf de la lâcheté.
Sur la déloyauté et le cynisme : Tous ceux qui le connaissent parlent unanimement de qualités
contraires.
Mais l'auteur du roman qui donne les « clés de l'affaire Colonna » peut dire ici son expérience. Une
quinzaine de journalistes et d'essayistes se sont proposés pour raconter cette affaire. Yvan Colonna
leur a opposé une fin de non recevoir à tous. Malgré cela, quelques ouvrages sont parus, de tonalités
et d'intentions diverses :
Les Bergers, roman policier. J.P. Larminier. Ed. Albiana 2006
Les dessous de l'affaire Colonna, enquête menée par deux journalistes : A. Albertini et F. Charpier
Presses de la Cîté 2007
Le Procès Colonna, B.D. Tignous et Paganelli. 12bis 2008
Claude Erignac et Yvan Colonna : deux victimes pour une « affaire d'Etat ». J.P. Larminier. Ed.
Jeanne d'Arc. 2008
Le Roman de Ghjuvanni Stéphagèse, clés pour l'affaire Colonna, roman. R. Laurette. l'Harmattan
2009
L'affaire Colonna, une bataille de presse. G. Amaté. Ed. Bayol 2009
S'agissant de mon roman qui est le seul des ouvrages parus entièrement construit sur l'innocence de
l'accusé, Y. Colonna a rappelé publiquement (lettre à Corse-Matin) qu'il n'avait jamais donné son
accord pour sa parution. Je me suis déjà expliqué ailleurs sur les péripéties qui ont marqué la genèse
de ce roman. Je n'y reviendrai pas ici. La prise de position d'Yvan Colonna montre deux choses :
- La pudeur extrême qui le caractérise et que j'ai déjà évoquée plus haut explique l'horreur éprouvée
quand on parle de lui (mais des milliers d'articles ont été écrits sur lui, la plupart étant bien peu
bienveillants)
- C'est un élément de plus pour témoigner de son innocence. Car il est bien évident que s'il était
coupable et voulait nier cette culpabilité, Yvan aurait favorisé la diffusion d'un roman qui lui est si
favorable.
P.S. Elle montre aussi que ce roman n'est pas une oeuvre de commande. Mais pas plus qu'il n'a
rempli un contrat, l'écrivain n'a cédé devant quelque veto que ce soit. Il a fait, en toute
indépendance, ce qu'il croit juste.

VI – D'AUTRES QUESTIONS
Les gens hostiles à Yvan, formulent toujours les deux mêmes questions. C'est sur elles qu'ils
assoient leur conviction qu'il est coupable.
1 – S'il n'est pas coupable, pourquoi s'est-il enfui ?
Réponse :
a/ Dans l'histoire, un certain nombre de gens qui risquaient d'être arrêtés ont préféré s'enfuir et se
mettre à l'abri. Pour autant, leur fuite n'avouait rien du tout. Quand Louis XVI quitte Paris
incognito, il ne s'enfuit pas pour avouer qu'il serait un mauvais roi. Autre exemple : pendant la
dernière guerre, la plupart des résistants menacés d'être arrêtés, ont cherché à échapper à leurs
poursuivants, etc...
b/ Ces exemples n'ont qu'une valeur relative : ils indiquent qu'une cavale ne prouve pas forcément
que le fuyard est coupable, elle ne prouve pas davantage qu'il est innocent. Il y faut des éléments
plus tangibles. On ne peut donc pas dire qu'Yvan Colonna, en prenant le maquis avoue sa culpabilité
surtout dans un pays où prendre le maquis fait partie de toute une culture ancestrale. Sa fuite montre
seulement qu'à ce moment-là, rester libre est, pour lui, prioritaire.
c/ Il y a plus important : Yvan part en cavale après avoir vu la « une » de France-Soir qui titrait :
WANTED TUEUR DE PREFET.
Cet appel du célèbre quotidien nous renvoie explicitement à la loi de Lynch appliquée pendant la
conquête de l'Ouest américain : elle encourageait la justice expéditive. Il s'agissait de ramener le
« coupable » vivant ou mort. Et c'est bien de cela qu'il s'agit. Roger Marion avait demandé que
Colonna soit ramené « mort ou vif ». Yvan Colonna découvre que ses anciens amis l'accusent
d'avoir tué le préfet Erignac alors qu'ils savent pertinemment qu'il n'en est rien. Il est donc fondé à
se dire que s'ils sont capables d'un acte aussi grave, ils sont sans doute capables d'aller, eux ou les
véritables commanditaires, jusqu'au bout de leur démarche : le supprimer. Car Yvan éliminé,
l'enquête se serait éteinte d'elle-même. Sa mort aurait arrangé tellement de monde, y compris les
enquêteurs.
En s'enfuyant, Yvan sauvait donc sa peau. Il laissait aux membres du commando le temps de revenir
sur leurs déclarations et aux policiers le temps de trouver des éléments qui l'auraient innocenté. Il
laissait en outre à l'opinion publique le temps de s'apaiser et d'être en mesure d'entendre ce qu'il
avait à dire.
d/ Ajoutons (c'est l'explication qu'Yvan donnera quand il sera interrogé) qu'un Corse arrêté sous un
chef d'inculpation qui touche au terrorisme subit régulièrement une détention provisoire de 4 ou 5
ans avant d'être jugé. Informé de cette pratique contestable, Yvan n'a pas voulu s'y soumettre.
Je ne dis pas qu'il a eu tort ou raison. Je dis seulement que ça ne prouve rien.
2 -Pourquoi ses copains l'ont-ils accusé ?
Remarques préalables : cette question est symptomatique du parti pris hostile à Yvan qui a marqué
toute cette affaire.
Les accusations des membres du commando sont-elles un élément défavorable à Yvan ou le
contraire ? Ceux qui estiment que ces accusations sont crédibles, sont très souvent les mêmes qui
disent que Yvan étant corse, on peut le soupçonner du pire puisque, pour eux, la culture corse
comprend les traditions de l'omertà, des témoignages de complaisance, de l'irrespect de la loi, du
recours à la violence extrême pour régler ses problèmes (cf entre autres la vendetta...). Or ces deux
assertions sont contradictoires. On ne peut pas à la fois dire que les Corses pratiquent l'omertà et
couvrent les criminels et dire que si les membres du commando Erignac ont accusé Yvan, c'est la
vérité. Imagine-t-on que si Yvan avait participé à cet assassinat perpétré au nom d'une cause sacrée,
la cause corse, à la première occasion ses complices l'auraient accusé alors qu'il n'avait pas été
arrêté ?
On peut donc parfaitement estimer que cette accusation, loin d'être un élément à charge est un
élément à décharge. Les assassins qui gardent un silence farouche sur toute une série de détails
secondaires (par exemple le déroulement exact de l'assassinat) sont soudainement bavards quand il
s'agit de donner l'élément essentiel : le nom du tueur. Est-ce vraisemblable ? Pourquoi donneraient-
ils le nom d'Yvan présenté comme le tueur et tairaient-ils le nom des complices qui étaient sur place
et dont ils ont fini par avouer l'existence ? Curieuse discordance. Comme est curieux le total
manque d'intérêt des juges pour ces complices-là.
Autre remarque : ce n'est pas parce qu'on a été amis d'enfance qu'on reste sincèrement liés à l'âge
adulte. Les aléas de la vie sont parfois l'occasion de régler de vieux comptes enfouis et jamais
nommés. L'histoire des villages, comme l'histoire des familles est pleine de ces histoires tordues.
L'explication de Pierre ALESSANDRI : Au cours du procès en appel, les membres du commando
Erignac ont été à nouveau appelés à la barre. La confrontation la plus intense a eu lieu entre Yvan et
Alessandri le 9 mars 2009.
Qu'a dit Alessandri, poussé dans ses retranchements par Yvan et ses avocats ? La déclaration
essentielle d'abord : Je dois vous dire qu'Yvan Colonna n'a jamais fait partie de notre groupe et n'a
pas participé à l'attaque de la gendarmerie de Pietrosella ni à l'assassinat du préfet.
Il a dit en outre, s'adressant à Yvan : je te reproche d'avoir refusé de franchir comme moi la ligne de
la violence pour mettre nos actes au service de nos idéaux. On a donc été obligés de faire aller au
charbon des jeunes inexpérimentés. (Au premier procès, il avait dit de façon plus confuse à propos
d'Yvan : « Nous étions amis. Des choses ont altéré notre amitié ».)
Et encore : je te reproche d'être parti en cavale et d'être parti aussi longtemps. C'est ton entêtement
dans ta cavale qui a conditionné ta culpabilité. Ta reddition dans les jours suivants aurait suffi à te
disculper comme d'autres. Je pensais qu'elle avait un sens politique. Je me suis lourdement trompé.
Il ajoute enfin et surtout : Oui, il y avait d'autres complices dont les noms n'ont jamais été donnés.
J'ai donné le nom d'Yvan Colonna pour protéger ces autres personnes qui ont participé et
conçu l'attentat et aussi pour protéger mes proches.
Traduction des propos d'Alessandri : Yvan a été approché pour participer à une action importante et
il a refusé. On lui en a donc voulu. L'accuser, c'était lui faire payer cette « trahison ».
Les complices restés anonymes (mais dont l'existence, corroborée par toute une série de
témoignages, éclaire beaucoup de choses), sont les concepteurs de l'attentat. C'est eux les acteurs
principaux. C'est eux qu'il fallait sauver quitte à donner le nom d'un « ami » d'enfance.
Mais il reste dans la déclaration d'Alessandri un élément qui, curieusement, n'a entraîné, à ma
connaissance, aucun commentaire éclairé, aucune question : en donnant le nom d'Yvan Colonna,
Alessandri veut protéger, dit-il, les complices anonymes. Cela, on peut en saisir les raisons même si
on ne les approuve pas. Mais il ajoute à la fin : « et aussi pour protéger mes proches ». Ce dernier
point est plus qu'étrange. En quoi donner le nom de Colonna pouvait-il donc protéger les proches
d'Alessandri ? On ne peut le comprendre que si on admet que « quelqu'un » a ordonné à Alessandri
(et aux autres) de donner un nom en pâture aux enquêteurs (celui de Colonna en l'occurrence) pour
les lancer sur une fausse piste. Quelqu'un qui aurait dit : si vous ne le faites pas, c'est votre famille
qui en supportera les conséquences.
Et qui donc peut être crédible en proférant une telle menace ? Qui donc, sinon une organisation que
les scrupules n'étouffent pas, une organisation qui a fait du crime un moyen normal pour obtenir ce
qu'elle veut, une organisation assez puissante pour faire peur à un nationaliste capable de recourir
lui aussi à l'assassinat. Qui donc d'assez influent pour obtenir que les services de l'Etat regardent
ailleurs ? Et si on veut bien entendre ce qui est suggéré ici, qu'on se repasse le film du témoignage
des épouses aux deux procès (en première instance et en appel). Tous les commentateurs ont
cherché à nous émouvoir sur le thème : ces pauvres femmes sont complètement déboussolées parce
qu'on leur demande une mission impossible. Elles savent que Colonna est coupable, qu'il n'assume
pas son crime contrairement à leurs époux, et on veut qu'elles le disculpent. C'est trop leur
demander, elles craquent.
On ne voit pas qu'une toute autre lecture de ce comportement des épouses est possible : elles savent
depuis le début qu'Yvan est innocent. Elles ont contribué à le faire accuser puis à l'envoyer en prison
à vie. La seule chose qu'elles devraient dire c'est « on » nous a obligées à mentir. Mais c'est la seule
chose qu'elles ne peuvent pas dire parce qu'elles savent que c'est leur peau et celles de leurs enfants
qui est en danger. Alors, elles bafouillent, elles pleurent, elles préfèrent oublier la réalité de cette
infamie.
Oui, décidément, le témoignage de Pierre Alessandri est manifestement capital. Pour la première
fois, on a des éléments qui éclairent parfaitement et de façon cohérente le déroulement réel de
l'attentat contre le préfet Erignac. On s'étonne que le Président Wacogne n'en ait pas saisi la portée !
Quant aux fins limiers tombés dans le panneau, disons qu'ils n'ont pas le courage de reconnaître leur
erreur. Madame Erignac a beaucoup parlé de courage à Yvan en suggérant qu'il n'en avait aucun
puisqu'il ne se dénonçait pas. Peut-être se trompait-elle de cible.
Une dernière question : parmi les plus acharnés contre Yvan Colonna, il y a ceux qui disent
finement à propos de Pierre Alessandri qui s'accuse d'être le tueur depuis septembre 2004, c'est
facile de s'accuser quand on ne risque plus rien puisqu'il a pris la perpétuité. A ceux qui disent cela
de bonne foi, il faut rappeler ceci :
1- nul ne s'accuse d'avoir commis un crime dont il n'est pas l'auteur pour rendre service à quelqu'un
d'autre. C'est un poids moral excessif.
2 – il est faux de prétendre qu'Alessandri ne risque rien. Chacun sait qu'aucun condamné ne va
jusqu'au bout de sa peine sauf si le comportement en prison est jugé trop dangereux pour une
libération anticipée. La preuve c'est qu'il arrive que la condamnation à la perpétuité soit assortie
d'une clause de sûreté. La plus lourde est de 22 ans. (Yvan a donc été condamné à la peine
maximale alors qu'aucune preuve n'a été apportée contre lui et que les raisons de douter de sa
culpabilité sont multiples). Quand on est condamné à la perpétuité simple, le condamné peut
demander une remise de peine au bout de quinze ans. Il est assez fréquent qu'il l'obtienne. On
comprend bien que si le juge d'application des peines pense qu'un accusé n'a pas écoppé de la
sanction qu'il méritait, il ne libèrera pas le détenu au bout de la durée minimum. Si Alessandri était
considéré comme le vrai tueur, il est clair qu'il ne pourrait espérer sortir avant 22 ans. 7 ans de
prison de plus ou de moins, est-ce cela qu'on appelle ne courir aucun risque ?

CONCLUSION
Ces derniers temps, à l'occasion du procès des personnes accusées d'avoir aidé Yvan Colonna
pendant sa cavale, la presse est revenue sur cette affaire.
Elle donne à propos de la cavale une accumulation de détails sans importance réelle. Ce type de
recherche évite de se poser les bonnes questions et de mener les investigations dans les seules
directions qui vaillent : la police antiterroriste a-t-elle fait honnêtement son travail ? A-t-elle
enquêté à charge et à décharge ? A-t-elle exploré toutes les pistes possibles ou au contraire, y a-t-il
des pistes qu'elle aurait soigneusement évitées ?
Yvan Colonna est-il innocent ou coupable ? La question est légitime puisqu'après tant d'années
d'enquête et d'instruction, après deux procès, la mobilisation de tout l'appareil antiterroriste n'ont
pas réussi à apporter une seule preuve contre lui et qu'aussi bien le responsable de la DNAT, Roger
Marion, que l'avocat général Jean-Claude Kross n'ont pu avancer contre l'accusé que leur « intime
conviction ». Ce qui, on l'avouera, reste un peu léger.
L'enquête que j'ai menée de mon côté m'a permis de rassembler les faits et les arguments qui
fondent ma certitude de l'innocence d'Yvan Colonna. Si j'ai choisi d'en faire un roman plutôt qu'un
documentaire journalistique, c'est parce que le roman donne infiniment plus de souplesse. Il permet
d'évoquer les couleurs de la vraie vie. Il permet de varier les genres, les tons, d'inventer des
personnages qui porteront la parole de tel ou tel. Il crée une empathie avec le héros. Il est le seul à
pouvoir mettre en lumière les sentiments et les émotions ; il rend compte de la tragédie qui s'abat
sur le héros et sa famille.
Après sa parution (avril 2009 chez l'Harmattan), j'ai été conduit à participer à de nombreux débats
publics *, à de nombreux salons du livre. Je continuerai et, dans la mesure du possible je répondrai
favorablement aux propositions d'animation de réunions publiques. J'ai eu l'occasion de discuter un
nombre incalculable de fois sur l'affaire Colonna. Je retire quelques enseignements de ces
expériences.
Quels sont les obstacles les plus fréquents au triomphe de la vérité que j'ai rencontrés ?
 un incroyable racisme anticorse (les plus acharnés à vouloir Yvan Colonna coupable n'ont
comme argument que leurs préjugés contre LES Corses réunis dans un amalgame qui relève
effectivement du racisme, préjugés aggravés par la prévention confuse contre les mouvements
nationalistes dont ils refusent de voir la réelle diversité)
 une mauvaise foi (elle découle souvent du point précédent) qui fait interpréter tous les éléments
de l'affaire d'un oeil hostile à Yvan là où une tout autre lecture aurait été au moins aussi
recevable.
 le désir sympathique mais irresponsable de refuser par principe la remise en cause du
fonctionnement de l'institution judiciaire au nom des intérêts supérieurs de la République ( en
d'autres temps, il ne fallait pas remettre en cause la culpabilité de Dreyfus au nom de l'honneur
de l'armée). On peut couvrir ainsi n'importe quel scandale d'Etat.
 La difficulté bien humaine de reconnaître que l'on a pu se tromper ou être induit en erreur par la
manipulation. Plus l'affaire est grave, et plus il est difficile de faire machine arrière. Les tueurs
et leurs commanditaires sont responsables de la mort de Claude Erignac. De leur côté, tous ceux
qui se sont tus ou qui ont hurlé avec les loups sont responsables en partie de la terrible
condamnation qui frappe un innocent. Il a fallu beaucoup de temps – et de courage - à certains
journaux pour reconnaître que, s'agissant de la première guerre en Irak, l'armée américaine les
avait savamment manipulés. A propos de l'affaire Colonna, combien de journalistes préfèrent-ils
regarder ailleurs et se taire ? Je ne m'explique pas autrement le silence de la plupart à propos de
mon roman y compris quand ils avaient promis d'en parler.
POURTANT, dans le procès intenté à ceux qui sont accusés d'avoir aidé Yvan Colonna pendant sa
cavale, le chef principal d'accusation devrait ouvrir bien des yeux : « Association de malfaiteurs
en relation avec une entreprise terroriste... » Au premier abord, la formulation apparaît vague. Ce
serait une grave erreur de la croire inoffensive.
Qu'on en juge. En 2005, le sénateur non inscrit, Jean-Louis Masson attire l'attention du Garde des
Sceaux sur le fait que ce libellé imprécis « peut conduire à des décisions arbitraires ». Dans sa
réponse, le Garde des Sceaux précise : « Le délit d'association de malfaiteurs en vue de préparer des
actes terroristes est prévu par l'article 421-2-1 du code pénal qui dispose que constitue un acte de
terrorisme le fait de participer à un groupement formé (...) en vue de la préparation (...) d'un acte de
terrorisme ».
Donc, pour le Garde des Sceaux, « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise
terroriste » et « association de malfaiteurs en vue de préparer des actes terroristes » sont deux
expressions équivalentes. Jean-Paul Courtois, rapporteur de la Commission des Lois indique le
6 décembre 2005 que « Les infractions de droit commun constituent un acte de terrorisme quand
elles sont commises en relation avec une entreprise à caractère terroriste ». Yvan Colonna est
poursuivi par la police ; le recéler est un délit de droit commun ; et puisqu'il est accusé d'être un
terroriste, le recueillir chez soi, est un acte terroriste. Voilà la réalité de la situation pénale des cinq
personnes accusées d'avoir aidé Yvan Colonna. La FIDH (qui, par ailleurs, a fermement condamné
le déroulement des deux procès contre lui), souligne au sujet de ce chef d'accusation le danger de
dérives juridiques reposant « sur un maximum de spéculations, de déductions et d'insinuations ».
Or, qui peut croire un instant, pour ne citer qu'elle, que Patrizia Gattaceca soit une dangereuse
terroriste appartenant à une association de malfaiteurs prêts à commettre des attentats ? L'outrance
d'un tel libellé d'accusation en dit long sur le degré d'acharnement haineux, liberticide et
obsessionnel des magistrats instructeurs. Rétrospectivement, elle en dit long sur la partialité de
l'instruction menée contre Yvan Colonna. Elle dit aussi à chaque citoyen de ce pays à quelle
dérive de nos institutions nous sommes arrivés, quelle menace pèse sur les libertés
fondamentales. Elle dit encore que nul n'est à l'abri. Lutter pour qu'éclate la vérité dans
l'affaire Colonna, c'est lutter pour sa liberté à soi, celle de ses proches, de ses enfants...
C'est pourquoi, il faut éviter tout ce qui peut affaiblir le camp de la liberté. Il faut expliquer,
redresser les faits, encore et toujours.
« Quand les blés sont sous la grêle
Fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles
Au coeur du commun combat »
Il n'est plus temps de penser à ce qui divise les patriotes corses et les démocrates continentaux ; il
n'est plus temps de négliger la communication et d'en affaiblir la portée ; il n'est plus temps de se
satisfaire de la compassion silencieuse tissée autour d'Yvan Colonna.
Il est temps de se réveiller et de frapper à la porte de son voisin.
* L'un de ces débats (La Ciotat) a été enregistré. On peut se procurer cet enregistrement auprès de
Stéphane DARNAUD (stephdarnaud@free.fr ou studiostephcreas@free.fr)