mercredi 26 mai 2010

L'INNOCENCE D'YVAN COLONNA : FAITS ET ARGUMENTS

suite et fin

VI – D'AUTRES QUESTIONS

Les gens hostiles à Yvan, formulent toujours les deux mêmes questions. C'est sur elles qu'ils assoient leur conviction qu'il est coupable.

1 – S'il n'est pas coupable, pourquoi s'est-il enfui ?
Réponse :
a/ Dans l'histoire, un certain nombre de gens qui risquaient d'être arrêtés ont préféré s'enfuir et se mettre à l'abri. Pour autant, leur fuite n'avouait rien du tout. Quand Louis XVI quitte Paris incognito, il ne s'enfuit pas pour avouer qu'il serait un mauvais roi. Autre exemple : pendant la dernière guerre, la plupart des résistants menacés d'être arrêtés, ont cherché à échapper à leurs poursuivants, etc...
b/ Ces exemples n'ont qu'une valeur relative : ils indiquent qu'une cavale ne prouve pas forcément que le fuyard est coupable, elle ne prouve pas davantage qu'il est innocent. Il y faut des éléments plus tangibles. On ne peut donc pas dire qu'Yvan Colonna, en prenant le maquis avoue sa culpabilité surtout dans un pays où prendre le maquis fait partie de toute une culture ancestrale. Sa fuite montre seulement qu'à ce moment-là, rester libre est, pour lui, prioritaire.
c/ Il y a plus important : Yvan part en cavale après avoir vu la « une » de France-Soir qui titrait : WANTED TUEUR DE PREFET.
Cet appel du célèbre quotidien nous renvoie explicitement à la loi de Lynch appliquée pendant la conquête de l'Ouest américain : elle encourageait la justice expéditive. Il s'agissait de ramener le « coupable » vivant ou mort. Et c'est bien de cela qu'il s'agit. Roger Marion avait demandé que Colonna soit ramené « mort ou vif ». Yvan Colonna découvre que ses anciens amis l'accusent d'avoir tué le préfet Erignac alors qu'ils savent pertinemment qu'il n'en est rien. Il est donc fondé à se dire que s'ils sont capables d'un acte aussi grave, ils sont sans doute capables d'aller, eux ou les véritables commanditaires, jusqu'au bout de leur démarche : le supprimer. Car Yvan éliminé, l'enquête se serait éteinte d'elle-même. Sa mort aurait arrangé tellement de monde, y compris les enquêteurs.
En s'enfuyant, Yvan sauvait donc sa peau. Il laissait aux membres du commando le temps de revenir sur leurs déclarations et aux policiers le temps de trouver des éléments qui l'auraient innocenté. Il laissait en outre à l'opinion publique le temps de s'apaiser et d'être en mesure d'entendre ce qu'il avait à dire.
d/ Ajoutons (c'est l'explication qu'Yvan donnera quand il sera interrogé) qu'un Corse arrêté sous un chef d'inculpation qui touche au terrorisme subit régulièrement une détention provisoire de 4 ou 5 ans avant d'être jugé. Informé de cette pratique contestable, Yvan n'a pas voulu s'y soumettre.
Je ne dis pas qu'il a eu tort ou raison. Je dis seulement que ça ne prouve rien.

2 -Pourquoi ses copains l'ont-ils accusé ?

Remarques préalables : cette question est symptomatique du parti pris hostile à Yvan qui a marqué toute cette affaire.
Les accusations des membres du commando sont-elles un élément défavorable à Yvan ou le contraire ? Ceux qui estiment que ces accusations sont crédibles, sont très souvent les mêmes qui disent que Yvan étant corse, on peut le soupçonner du pire puisque, pour eux, la culture corse comprend les traditions de l'omertà, des témoignages de complaisance, de l'irrespect de la loi, du recours à la violence extrême pour régler ses problèmes (cf entre autres la vendetta...). Or ces deux assertions sont contradictoires. On ne peut pas à la fois dire que les Corses pratiquent l'omertà et couvrent les criminels et dire que si les membres du commando Erignac ont accusé Yvan, c'est la vérité. Imagine-t-on que si Yvan avait participé à cet assassinat perpétré au nom d'une cause sacrée, la cause corse, à la première occasion ses complices l'auraient accusé alors qu'il n'avait pas été arrêté ?
On peut parfaitement estimer que cette accusation, loin d'être un élément à charge est un élément à décharge. Les assassins qui gardent un silence farouche sur toute une série de détails secondaires (par exemple le déroulement exact de l'assassinat) sont soudainement bavards quand il s'agit de donner l'élément essentiel : le nom du tueur. Est-ce vraisemblable ? Pourquoi donneraient-ils le nom d'Yvan présenté comme le tueur et tairaient-ils le nom des complices qui étaient sur place et dont ils ont fini par avouer l'existence ? Curieuse discordance. Comme est curieux le total manque d'intérêt des juges pour ces complices-là.
Autre remarque : ce n'est pas parce qu'on a été amis d'enfance qu'on reste sincèrement liés à l'âge adulte. Les aléas de la vie sont parfois l'occasion de régler de vieux comptes enfouis et jamais nommés. L'histoire des villages, comme l'histoire des familles est pleine de ces histoires tordues.

L'explication de Pierre ALESSANDRI : Au cours du procès en appel, les membres du commando Erignac ont été à nouveau appelés à la barre. La confrontation la plus intense a eu lieu entre Yvan et Alessandri le 9 mars 2009.
Qu'a dit Alessandri, poussé dans ses retranchements par Yvan et ses avocats ? La déclaration essentielle d'abord : Je dois vous dire qu'Yvan Colonna n'a jamais fait partie de notre groupe et n'a pas participé à l'attaque de la gendarmerie de Pietrosella ni à l'assassinat du préfet.
Il a dit en outre, s'adressant à Yvan : je te reproche d'avoir refusé de franchir comme moi la ligne de la violence pour mettre nos actes au service de nos idéaux. On a donc été obligés de faire aller au charbon des jeunes inexpérimentés. (Au premier procès, il avait dit de façon plus confuse à propos d'Yvan : « Nous étions amis. Des choses ont altéré notre amitié ».)
Et encore : je te reproche d'être parti en cavale et d'être parti aussi longtemps. C'est ton entêtement dans ta cavale qui a conditionné ta culpabilité. Ta reddition dans les jours suivants aurait suffi à te disculper comme d'autres. Je pensais qu'elle avait un sens politique. Je me suis lourdement trompé.
Il ajoute enfin et surtout : Oui, il y avait d'autres complices dont les noms n'ont jamais été donnés. J'ai donné le nom d'Yvan Colonna pour protéger ces autres personnes qui ont participé et conçu l'attentat et aussi pour protéger mes proches.
Traduction des propos d'Alessandri : Yvan a été approché pour participer à une action importante et il a refusé. On lui en a donc voulu. L'accuser, c'était lui faire payer cette « trahison ».
Les complices restés anonymes (mais dont l'existence, corroborée par toute une série de témoignages, éclaire beaucoup de choses), sont les concepteurs de l'attentat. C'est eux les acteurs principaux. C'est eux qu'il fallait sauver quitte à donner le nom d'un « ami » d'enfance.
Mais il reste dans la déclaration d'Alessandri un élément qui, curieusement, n'a entraîné, à ma connaissance, aucun commentaire éclairé, aucune question : en donnant le nom d'Yvan Colonna, Alessandri veut protéger, dit-il, les complices anonymes. Cela, on peut en saisir les raisons même si on ne les approuve pas. Mais il ajoute à la fin : « et aussi pour protéger mes proches ». Ce dernier point est plus qu'étrange. En quoi donner le nom de Colonna pouvait-il donc protéger les proches d'Alessandri ? On ne peut le comprendre que si on admet que « quelqu'un » a ordonné à Alessandri (et aux autres) de donner un nom en pâture aux enquêteurs (celui de Colonna en l'occurrence) pour les lancer sur une fausse piste. Quelqu'un qui aurait dit : si vous ne le faites pas, c'est votre famille qui en supportera les conséquences.
Et qui donc peut être crédible en proférant une telle menace ? Qui donc, sinon une organisation que les scrupules n'étouffent pas, une organisation qui a fait du crime un moyen normal pour obtenir ce qu'elle veut, une organisation assez puissante pour faire peur à un nationaliste capable de recourir lui aussi à l'assassinat. Qui donc d'assez influent pour obtenir que les services de l'Etat regardent ailleurs ? Et si on veut bien entendre ce qui est suggéré ici, qu'on se repasse le film du témoignage des épouses aux deux procès (en première instance et en appel). Tous les commentateurs ont cherché à nous émouvoir sur le thème : ces pauvres femmes sont complètement déboussolées parce qu'on leur demande une mission impossible. Elles savent que Colonna est coupable, qu'il n'assume pas son crime contrairement à leurs époux, et on veut qu'elles le disculpent. C'est trop leur demander, elles craquent. Sortez vos kleenex ! On ne voit pas qu'une toute autre lecture de ce comportement des épouses est possible : elles savent depuis le début qu'Yvan est innocent. Elles ont contribué à le faire accuser puis à l'envoyer en prison à vie. La seule chose qu'elles devraient dire c'est « on » nous a obligées à mentir. Mais c'est la seule chose qu'elles ne peuvent pas dire parce qu'elles savent que c'est leur peau et celles de leurs enfants qui est en danger. Alors, elles bafouillent, elles pleurent, elles préfèrent oublier la réalité de cette infamie.
Oui, décidément, le témoignage de Pierre Alessandri est manifestement capital. Pour la première fois, on a des éléments qui éclairent parfaitement et de façon cohérente le déroulement réel de l'attentat contre le préfet Erignac. On s'étonne que le Président Wacogne n'en ait pas saisi la portée ! Quant aux fins limiers tombés dans le panneau, disons qu'ils n'ont pas le courage de reconnaître leur erreur. Madame Erignac a beaucoup parlé de courage à Yvan en suggérant qu'il n'en avait aucun puisqu'il ne se dénonçait pas. Peut-être se trompait-elle de cible.

Une dernière question : parmi les plus acharnés contre Yvan Colonna, il y a ceux qui disent finement à propos de Pierre Alessandri qui s'accuse d'être le tueur depuis septembre 2004, c'est facile de s'accuser quand on ne risque plus rien puisqu'il a pris la perpétuité. A ceux qui disent cela de bonne foi, il faut rappeler ceci :
1- nul ne s'accuse d'avoir commis un crime dont il n'est pas l'auteur pour rendre service à quelqu'un d'autre. C'est un poids moral excessif.
2 – il est faux de prétendre qu'Alessandri ne risque rien. Chacun sait qu'aucun condamné ne va jusqu'au bout de sa peine sauf si le comportement en prison est jugé trop dangereux pour une libération anticipée. La preuve c'est qu'il arrive que la condamnation à la perpétuité soit assortie d'une clause de sûreté. La plus lourde est de 22 ans. (Yvan a donc été condamné à la peine maximale alors qu'aucune preuve n'a été apportée contre lui et que les raisons de douter de sa culpabilité sont multiples). Quand on est condamné à la perpétuité simple, le condamné peut demander une remise de peine au bout de quinze ans. Il est assez fréquent qu'il l'obtienne. On comprend bien que si le juge d'application des peines pense qu'un accusé n'a pas écoppé de la sanction qu'il méritait, il ne libèrera pas le détenu au bout de la durée minimum. Si Alessandri était considéré comme le vrai tueur, il est clair qu'il ne pourrait espérer sortir avant 22 ans. 7 ans de prison de plus ou de moins, est-ce cela qu'on appelle ne courir aucun risque ?



CONCLUSION

Ces derniers temps, à l'occasion du procès des personnes accusées d'avoir aidé Yvan Colonna pendant sa cavale, la presse est revenue sur cette affaire.
Elle donne à propos de la cavale une accumulation de détails sans importance réelle (ainsi, Yvan Colonna aurait subi une échographie de la hanche dans une clinique bastiaise le 4 mars 2003. A 17h37 ! ce type de recherche évite de se poser les bonnes questions et de mener les investigations dans les seules directions qui vaillent : la police antiterroriste a-t-elle fait honnêtement son travail ? A-t-elle enquêté à charge et à décharge ? A-t-elle exploré toutes les pistes possibles ou au contraire, y a-t-il des pistes qu'elle aurait soigneusement évitées ?
Yvan Colonna est-il innocent ou coupable ? La question est légitime puisqu'après tant d'années d'enquête et d'instruction, après deux procès, la mobilisation de tout l'appareil antiterroriste n'ont pas réussi à apporter une seule preuve contre lui et qu'aussi bien le responsable de la DNAT, Roger Marion, que l'avocat général Jean-Claude Kross n'ont pu avancer contre l'accusé que leur « intime conviction ». Ce qui, on l'avouera, reste un peu léger.
L'enquête que j'ai menée de mon côté m'a permis de rassembler les faits et les arguments qui fondent ma certitude de l'innocence d'Yvan Colonna. Si j'ai choisi d'en faire un roman plutôt qu'un documentaire journalistique, c'est parce que le roman donne infiniment plus de souplesse. Il permet d'évoquer les couleurs de la vraie vie. Il permet de varier les genres, les tons, d'inventer des personnages qui porteront la parole de tel ou tel. Il crée une empathie avec le héros. Il est le seul à pouvoir mettre en lumière les sentiments et les émotions ; il rend compte de la tragédie qui s'abat sur le héros et sa famille.
Après sa parution (avril 2009 chez l'Harmattan), j'ai été conduit à participer à de nombreux débats publics *, à de nombreux salons du livre. Je continuerai et, dans la mesure du possible je répondrai favorablement aux propositions d'animation de réunions publiques. J'ai eu l'occasion de discuter un nombre incalculable de fois sur l'affaire Colonna. Je retire quelques enseignements de ces expériences.
Quels sont les obstacles les plus fréquents au triomphe de la vérité que j'ai rencontrés ?
-un incroyable racisme anticorse (les plus acharnés à vouloir Yvan Colonna coupable n'ont comme argument que leurs préjugés contre LES Corses réunis dans un amalgame qui relève effectivement du racisme, préjugés aggravés par la prévention confuse contre les mouvements nationalistes dont ils refusent de voir la réelle diversité)
-une mauvaise foi (elle découle souvent du point précédent) qui fait interpréter tous les éléments de l'affaire d'un oeil hostile à Yvan là où une tout autre lecture aurait été au moins aussi recevable.
-le désir sympathique mais irresponsable de refuser par principe la remise en cause du fonctionnement de l'institution judiciaire au nom des intérêts supérieurs de la République ( en d'autres temps, il ne fallait pas remettre en cause la culpabilité de Dreyfus au nom de l'honneur de l'armée). On peut couvrir ainsi n'importe quel scandale d'Etat.
-La difficulté bien humaine de reconnaître que l'on a pu se tromper ou être induit en erreur par la manipulation. Plus l'affaire est grave, et plus il est difficile de faire machine arrière. Les tueurs et leurs commanditaires sont responsables de la mort de Claude Erignac. De leur côté, tous ceux qui se sont tus ou qui ont hurlé avec les loups sont responsables en partie de la terrible condamnation qui frappe un innocent. Il a fallu beaucoup de temps – et de courage - à certains journaux pour reconnaître que, s'agissant de la première guerre en Irak, l'armée américaine les avait savamment manipulés. A propos de l'affaire Colonna, combien de journalistes préfèrent-ils regarder ailleurs et se taire ? Je ne m'explique pas autrement le silence de la plupart à propos de mon roman y compris quand ils avaient promis d'en parler.

POURTANT, dans le procès intenté à ceux qui sont accusés d'avoir aidé Yvan Colonna pendant sa cavale, le chef principal d'accusation devrait ouvrir bien des yeux : « Association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste... » Au premier abord, la formulation apparaît vague. Ce serait une grave erreur de la croire inoffensive.
Qu'on en juge. En 2005, le sénateur non inscrit, Jean-Louis Masson attire l'attention du Garde des Sceaux sur le fait que ce libellé imprécis « peut conduire à des décisions arbitraires ». Dans sa réponse, le Garde des Sceaux précise : « Le délit d'association de malfaiteurs en vue de préparer des actes terroristes est prévu par l'article 421-2-1 du code pénal qui dispose que constitue un acte de terrorisme le fait de participer à un groupement formé (...) en vue de la préparation (...) d'un acte de terrorisme ».
Donc, pour le Garde des Sceaux, « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste » et « association de malfaiteurs en vue de préparer des actes terroristes » sont deux expressions équivalentes. Jean-Paul Courtois, rapporteur de la Commission des Lois indique le 6 décembre 2005 que « Les infractions de droit commun constituent un acte de terrorisme quand elles sont commises en relation avec une entreprise à caractère terroriste ». Yvan Colonna est poursuivi par la police ; le recéler est un délit de droit commun ; et puisqu'il est accusé d'être un terroriste, le recueillir chez soi, est un acte terroriste. Voilà la réalité de la situation pénale des cinq personnes accusées d'avoir aidé Yvan Colonna. La FIDH (qui, par ailleurs, a fermement condamné le déroulement des deux procès contre lui), souligne au sujet de ce chef d'accusation le danger de dérives juridiques reposant « sur un maximum de spéculations, de déductions et d'insinuations ».
Or, qui peut croire un instant, pour ne citer qu'elle, que Patrizia Gattaceca soit une dangereuse terroriste appartenant à une association de malfaiteurs prêts à commettre des attentats ? L'outrance d'un tel libellé d'accusation en dit long sur le degré d'acharnement haineux, liberticide et obsessionnel des magistrats instructeurs. Rétrospectivement, elle en dit long sur la partialité de l'instruction menée contre Yvan Colonna. Elle dit aussi à chaque citoyen de ce pays à quelle dérive de nos institutions nous sommes arrivés, quelle menace pèse sur les libertés fondamentales. Elle dit encore que nul n'est à l'abri. Lutter pour qu'éclate la vérité dans l'affaire Colonna, c'est lutter pour sa liberté à soi, celle de ses proches, de ses enfants...
C'est pourquoi, il faut éviter tout ce qui peut affaiblir le camp de la liberté. Il faut expliquer, redresser les faits, encore et toujours.
« Quand les blés sont sous la grêle
Fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles
Au coeur du commun combat »

Il n'est plus temps de penser à ce qui peut diviser les patriotes corses et les démocrates continentaux ; il n'est plus temps de négliger la communication et d'en affaiblir la portée ; il n'est plus temps de se satisfaire de la compassion silencieuse tissée autour d'Yvan Colonna.
Il est temps de se réveiller et de frapper à la porte de son voisin.



* L'un de ces débats (La Ciotat) a été enregistré. On peut se procurer cet enregistrement auprès de
Stéphane DARNAUD (stephdarnaud@free.fr ou studiostephcreas@free.fr)

lundi 24 mai 2010

L'INNOCENCE D'YVAN COLONNA : FAITS ET ARGUMENTS

Suite 6


V – LA PERSONNALITE D'YVAN COLONNA


Ce qu'on peut savoir, deviner et comprendre de la personnalité d'Yvan Colonna lui donne-t-il plutôt le profil d'un assassin ou celui d'un homme honnête ? C'est une question importante.
Yvan Colonna serait tout à fait opposé à ce que je vais écrire maintenant, non pour le contenu mais pour le principe. Il aurait sans doute le sentiment d'être l'insecte que l'entomologiste examine à la loupe. Je comprends cette réticence et l'irritation provoquée. Mais je ne puis faire autrement que ce que je fais pour au moins deux raisons : d'une part, je ne vois pas de quel droit je garderais pour moi ce que je sais et qui démontre l'innocence d'Yvan et le fonctionnement scandaleux de nos institutions (en ce sens, l'affaire Colonna dépasse largement la personne d'Yvan Colonna) ; d'autre part, beaucoup de gens veulent savoir pour se faire une opinion et c'est eux qu'il faut gagner.

En ce moment, Yvan Colonna et cinq personnes accusées de l'avoir aidé pendant sa cavale comparaissent devant le tribunal correctionnel de Paris. Le premier pour détention d'armes (il avait une grenade défensive et un chargeur sans pistolet dans son sac quand il a été arrêté), les autres pour association de malfaiteurs en vue de préparer des actes terroristes et recel de l'auteur ou du complice d'un crime puni d'au moins dix ans d'emprisonnement.
Notons qu'Yvan ayant fait appel devant la Cour de Cassation il est présumé innocent et l'on comprend mal la tenue de ce procès aujourd'hui puisqu'on ne peut pas juridiquement le considérer comme « l'auteur » ou le « complice » du crime en question.

Le ton du procès commencé depuis deux jours devant un tribunal correctionnel est nettement plus détendu que les deux précédents devant des cours d'assises spéciales. Tout se passe comme s'il était évident que les gens qui sont au banc des accusés n'étaient pas de redoutables terroristes liés par une organisation de fer. La belle personnalité de Patrizia Gattaceca y est sans doute pour beaucoup. Elle a fait le choix d'assumer ses actes avec simplicité et détermination : elle ne peut qu'entraîner la sympathie. Ils apparaissent ainsi comme des gens d'abord mûs par des sentiments d'humanité. La courageuse solidarité dont ils ont fait preuve avec naturel fait honte à l'individualisme de notre monde desséché. Je les connais presque tous. Ils m'ont aidé considérablement quand je cherchais de la documentation pour écrire ce qui allait devenir LE ROMAN DE Ghjuvanni STEPHAGESE. D'ailleurs, les aveux que vient de faire André Colonna d'Istria sur la réalité de sa participation et qui relèvent d'un sens très poussé de l'honneur et du courage, corroborent ce que je raconte de façon déguisée mais qui dit des choses essentielles sur Yvan, sur les gens qui l'ont soutenu, sur la façon dont ils pensent et agissent. Cela n'a rien à voir avec toutes les sottises ou crapuleries qui ont été dites ou écrites. Ce que j'ai raconté de la cavale et qui n'a jamais été dit nulle part ( y compris pour ce qui est de certaines anecdotes piquantes) est donc vrai sur le fond parce que j'ai eu accès aux bonnes sources.

La présidente du tribunal correctionnel adopte un ton agréable. Que pense-t-elle au fond d'elle-même de la gravité des faits reprochés aux prévenus ? La suite le dira.
Elle parle à Yvan comme à une personne normale et non comme à un dangereux malfaiteur.
Leur échange me semble très révélateur de la personnalité de l'accusé. En voici un extrait rapporté par Sylvie Véran du Nouvel Observateur (qui semble, elle aussi, avoir été touchée par la grâce tant le ton qu'elle utilise tranche avec celui de ses chroniques consacrées aux deux procès précédents).

La Présidente : - Quelles sont vos occupations en prison ?
Y C : - Tout va bien !
La Présidente : - Vous faites quelque chose ? Vous prenez des cours ?
YC : - Non, je fais du sport.
La Présidente : - Vous avez des visites ? Celles de votre compagne ?
YC : - Oui.

Ces trois réponses d'Yvan pourraient paraître anodines. Elles sont en réalité profondément symptomatiques de ce qu'il est. A la question sur ses occupations, il a l'air de répondre à côté. En fait, il dit des choses très fortes.
Cette réponse établit des distances. De mon point de vue, elle dit à la présidente : « Nous ne sommes pas dans un salon où nous parlerions à égalité. C'est votre justice qui m'a mis là où je suis alors que je suis innocent. Vous n'allez pas maintenant faire semblant d'avoir de la compassion pour moi et moi je ne vais pas faire comme si je pouvais me plaindre à vous et vous faire des confidences».
La suite des réponses est, de la même façon, une fin de non recevoir. Ainsi, par exemple, quand il dit « Non, je fais du sport », il ne dit pas la vérité. Au vrai, Yvan travaille plusieurs langues, il lit énormément ( des ouvrages qui portent sur le combat des peuples opprimés, sur l'écologie, sur l'économie ; il lit des ouvrages de littérature générale, de poésie, notamment). Pourquoi cache-t-il cela ? Par fierté. S'il disait de lui des choses qui seraient forcément perçues comme valorisantes, il aurait le sentiment de faire le beau dans l'espoir d'avoir un sucre. Un « sucre » qui ne viendrait pas de toute façon. Yvan pense que le système judiciaire qu'il subit est « aux ordres ». Il ne lui fait aucune confiance. Il ne s'humiliera donc pas devant lui. Il protestera mais ne se plaindra pas. Je ne suis pas certain que beaucoup de ceux qui lui sont hostiles supportent bien cette fierté dont ils seraient incapables et qui les renvoie à leur propre veulerie.
Comme on comprend que cet homme-là soit parti en cavale. Il n'a pas voulu se soumettre de lui-même à une police qui parlait de le ramener « mort ou vif » ni à une Justice dans l'équité de laquelle il n'avait aucune confiance. La suite lui a tellement donné raison !
Devant une représentante de cet appareil judiciaire, si policée soit-elle, il ferme, courtoisement mais fermement, la porte d'un dialogue possible sur le seul domaine dont il garde à peu près la maîtrise : la vie intime de son esprit.
Le propre de la prison est de priver le détenu de toute capacité à agir sur et pour sa propre vie et celle des siens. Il ne peut plus être maître de son destin. Alors, ce qu'il peut préserver, Yvan en défend l'accès, farouchement. Ses occupations le regardent et ne regardent que lui. Il ne se confiera pas et surtout pas à quelqu'un dont l'intérêt qu'il témoigne est vraisemblablement de pure forme.
Quand il répond « Tout va bien », on peut entendre : « Votre système a voulu m'abattre mais il n'a pas entamé ma capacité de résister : je tiens le coup. Bien que je sois innocent, on m'a condamné à la peine la plus lourde avec la complicité des chiens de garde du système. Je continuerai à me battre autant de temps qu'il le faudra. »
Yvan Colonna est, on le comprend donc, un homme d'une force morale et psychique exceptionnelle. La solitude du berger, la culture acquise, le sentiment de solidarité avec les victimes d'un monde injuste, les années de prison imméritée l'ont aguerri. C'est pour cela qu'il peut affirmer : « Tout va bien ».

Ce qui caractérise Yvan, donc, c'est cette pudeur farouche, cet esprit de résistance inflexible, ce sentiment intraitable de sa propre dignité. C'est un homme incapable de compromis, à plus forte raison de compromission. Il n'aliénera pas une once de sa dignité, il ne courbera pas l'échine quoi qu'il puisse lui en coûter. C'est aussi cela qui a paru insupportable à ceux qui ont enquêté sur lui ou instruit son procès.
Les preuves en sont multiples. Dès les premières auditions des juges d'instruction, toutes les réponses qu'il a pu faire pour affirmer son innocence ont été durement traitées comme des mensonges. Voici sa réaction : si, quoi que je dise, vous considérez que c'est un mensonge, autant que je me taise.
Et il se tait effectivement pendant près de deux ans. Il n'acceptera de parler aux juges Le Vert et Thiel que lorsqu'il estimera que ses conditions de détention provisoire sont redevenues normales, de sorte qu'il puisse, en particulier, bénéficier des visites de sa famille. Comme tout le monde.
On se souvient qu'au procès en appel, quand il estimera que la preuve est faite que la cour qui le juge est de parti pris et « aux ordres », il refusera de servir d'alibi à ce jeu truqué et refusera de comparaître désormais, quitte à passer le temps des audiences dans une souricière qui « sent la pisse ».
Quand il arrive à Fleury-Mérogis, il est convoqué dans le bureau du directeur. Celui-ci, lui dit en substance : vous êtes un détenu considéré comme dangereux. Je vous aurai à l'oeil. Je veillerai personnellement à ce que vous ne troubliez pas le bon ordre de cette prison. M'avez-vous compris ?
Yvan ne répond pas. L'autre répète : m'avez-vous compris ? Et comme Yvan persiste dans son silence, le directeur lui demande pourquoi il ne répond pas. Alors, Yvan lui dit : Vous aves quelque chose à me demander et vous me laissez les menottes aux poignets. Tant que je serai menotté, je ne répondrai pas.
Le directeur accède alors à cette demande. Dès qu'il est démenotté, Yvan dit : Je suis en prison mais je suis innocent, cela sera montré tôt ou tard. Quand j'affirme que je suis innocent, vous n'êtes pas obligé de me croire. Cependant, innocent ou coupable, je reste un homme. C'est pourquoi, j'entends être traité comme un homme. Si le personnel de la prison me respecte, je le respecterai à mon tour. S'il ne me respecte pas, je ne le respecterai pas.
Banco ! s'exlame le directeur. Banco ! répond Yvan.
A partir de là, les relations entre le prisonnier et le personnel pénitentiaire seront toujours très correctes.
Autre qualité : la maîtrise de soi. Une anecdote vaut mieux qu'un discours.
Pendant qu'il est en cavale à Olmetu, un soir, il va au restaurant avec un accompagnateur. Dans ce restaurant, il y a une tablée de policiers qui fêtent je ne sais plus trop quel événement. Pendant que le compagnon d'Yvan leur parle pour détourner leur attention, Yvan s'installe tranquillement à une table près d'eux. Ils passeront la soirée côte à côte.

Si Yvan Colonna était l'assassin que certains prétendent, s'il s'était enfui parce qu'il avait perpétré un forfait, s'il avait nié sa participation alors que ses complices ont été arrêtés, ce qui le caractériserait, ce serait la brutalité, la lâcheté, la déloyauté, le cynisme. Cet homme-là n'aurait pas de scrupule. Pour lui, tout aurait été bon pour tromper le public et pour sauver sa peau.
Cet homme-là aurait accepté sans regret l'exfiltration qui lui a été proposée à plusieurs reprises. Il se serait expatrié et aurait recommencé sa vie ailleurs.
Cet homme-là aurait vu d'un bon oeil que des ouvrages soient écrits sur son affaire surtout s'ils plaidaient en sa faveur.
Qu'en est-il en réalité ?
Sur la brutalité : Yvan Colonna lit les poètes, notamment Nazim Hikmet, ce poète de la douceur et de l'amour mais qui a préféré passer une grande partie de sa vie en prison plutôt que de renoncer à ce qu'il croyait juste. Yvan, le Corse n'était même pas chasseur. Il a été secouriste et il a risqué sa vie pour tenter de sauver un nageur allemand imprudent. Il consacrait ses temps libres à aider les jeunes de son village qui jouaient au foot...
Sur la lâcheté : c'est une injure qui revient souvent (sur le thème : dénonce-toi si tu es un homme) dans la bouche de madame Erignac et dans celle de ses avocats. Comme si un innocent allait avouer qu'il est coupable pour le simple plaisir d'avoir l'air courageux ! De fait, la façon dont il a tenu tête à ses accusateurs, sa détermination inflexible sont tout ce qu'on voudra sauf de la lâcheté.
Sur la déloyauté et le cynisme : Tous ceux qui le connaissent parlent unanimement de qualités contraires.
Mais l'auteur du roman qui donne les « clés de l'affaire Colonna » peut dire ici son expérience. Une quinzaine de journalistes et d'essayistes se sont proposés pour raconter cette affaire. Yvan Colonna leur a opposé une fin de non recevoir à tous. Malgré cela, quelques ouvrages sont parus, de tonalités et d'intentions diverses :
Les Bergers, roman policier. J.P. Larminier. Ed. Albiana 2006
Les dessous de l'affaire Colonna, enquête menée par deux journalistes : A. Albertini et F. Charpier
Presses de la Cîté 2007
Le Procès Colonna, B.D. Tignous et Paganelli. 12bis 2008
Claude Erignac et Yvan Colonna : deux victimes pour une « affaire d'Etat ». J.P. Larminier. Ed. Jeanne d'Arc. 2008
Le Roman de Ghjuvanni Stéphagèse, clés pour l'affaire Colonna, roman. R. Laurette. l'Harmattan 2009
L'affaire Colonna, une bataille de presse. G. Amaté. Ed. Bayol 2009

S'agissant de mon roman qui est le seul des ouvrages parus construit sur la seule innocence de l'accusé, Y. Colonna a rappelé publiquement (lettre à Corse-Matin) qu'il n'avait jamais donné son accord pour sa parution. Je me suis déjà expliqué ailleurs sur les péripéties qui ont marqué la genèse de ce roman. Je n'y reviendrai pas ici. La prise de position d'Yvan Colonna montre deux choses :
- La pudeur extrême qui le caractérise et que j'ai déjà évoquée plus haut explique l'horreur éprouvée quand on parle de lui (mais des milliers d'articles ont été écrits sur lui, la plupart étant bien peu bienveillants)
- C'est un élément de plus pour témoigner de son innocence. Car il est bien évident que s'il était coupable et voulait nier cette culpabilité, Yvan aurait favorisé la diffusion d'un roman qui lui est si favorable.

P.S. Elle montre aussi que ce roman n'est pas une oeuvre de commande. Mais pas plus qu'il n'a rempli un contrat, l'écrivain n'a cédé devant quelque veto que ce soit. Il a fait, en toute indépendance, ce qu'il croit juste.

à suivre... demain : VI – AUTRES QUESTIONS et CONCLUSION

jeudi 20 mai 2010

L'INNOCENCE D'YVAN COLONNA : FAITS ET ARGUMENTS

suite 5

IV - LES PISTES « OUBLIEES »

J'ai eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises dans les pages qui précèdent : tout se passe comme si on avait enquêté, instruit et jugé « à charge » et seulement « à charge ». Comme si on n'avait retenu que ce qui pouvait convaincre l'opinion de la culpabilité d'Yvan Colonna et faire donc admettre les verdicts infligés. J'ai bien dit l'opinion. Car pour ceux qui connaissent intimement le dossier, on ne voit pas comment ils pourraient croire une seconde à cette culpabilité. C'est en ce sens que l'affaire Colonna est une affaire d'Etat.
Malgré les efforts des juges et des policiers les éléments à charge ne pèsent pas lourd.
Il y avait si peu de choses dans ce plateau d'une possible culpabilité, qu'on a dû « négliger » voire escamoter, souvent au prix d'incroyables contorsions, toute une série de faits, de détails, de témoignages qui seraient allés tout naturellement dans le plateau de l'innocence.
N.B. Deux questions qui n'ont que les apparences du bon sens mais ont fait des ravages dans l'opinion seront traitées dans un chapitre à part : pourquoi s'est-il enfui ? pourquoi ses copains l'ont-ils accusé ?

1 – Des détails et des indices négligés :
Rappelons-en quelques uns en vrac.
- A Pietrosella, on a retrouvé une trace d'ADN sur l'un des morceaux de scotch qui ont servi à baillonner les gendarmes enlevés. Elle ne correspondait à aucun des membres connus du commando. Nul ne s'était avisé de chercher à qui d'autre elle pouvait appartenir. Me Simeoni, à la fin du premier procès, a demandé et obtenu qu'on vérifie au moins si c'était l'ADN d'Yvan Colonna. Et non, vérification faite in extremis, ce n'était pas l'ADN d'Yvan Colonna. A qui d'autre, alors ? Cette question n'a pas intéressé les juges.
- Après l'assassinat du préfet, un courrier de revendication a été posté le lundi 9 février à Borgo (près de Bastia). On a retrouvé une autre trace d'ADN sur l'une des enveloppes. Cette trace n'a jamais été exploitée.
- Le lendemain de l'assassinat, le samedi 7 février, au moment où Yvan est censé être à Ajaccio chez les Ferrandi, Alain Ferrandi l'appelle chez sa compagne, Pierrette Serrerri. Pourquoi ? Indice jamais exploité.
- Maranelli prétend que, l'après-midi de l'assassinat, il a conduit Yvan « à une adresse » dans Ajaccio. Là « quelqu'un » lui aurait remis l'arme du crime. Les enquêteurs n'ont pas cherché à en savoir davantage sur ce « quelqu'un » et cette « adresse ».
- Le « scénario » de l'assassinat repose en grande partie sur ce que révèle l'enregistrement des communications par téléphone mobile (heure d'appel, durée de l'appel, numéro appelant, numéro appelé et borne téléphonique activée) sur la situation des uns et des autres. Pour la police, à telle heure, Ferrandi était à tel endroit, Maranelli à tel autre, etc. Ces indications ont été complétées par les révélations de Maranelli en garde à vue. Or, au cours du procès en appel, Me Simeoni qui a vérifié le dossier de la téléphonie est en mesure de prouver que ce dossier ne dit pas ce qu'on lui à fait dire sur l'emplacement des membres du commando à tel ou tel moment avant l'assassinat. C'était tout le scénario officiel qui s'effondrait. Ce coup de théâtre n'a entraîné aucune réaction de la part des juges de la cour d'assises.

2 - Des actes de procédure qui traînent les pieds :
Rappelons pour mémoire la longueur des délais qui séparent le moment où Yvan demande à être confronté à ses accusateurs (ce qui est de droit) et le moment où il sera effectivement confronté. Il est arrêté le 4 juillet 2003. Il est confronté à ses accusateurs le 29 novembre 2005 : 29 mois plus tard !
Octobre 2004 : Pierre Alessandri dans une lettre à la juge Le Vert s'accuse d'être le tueur. Un peu plus tard, pour preuve de sa bonne foi, il indique que le second revolver dérobé à Pietrosella n'a pas été jeté à la mer comme il l'avait affirmé et qu'il peut conduire à l'endroit où il est caché. Le juge Thiel, concerné par cette partie de l'enquête attendra le mois de février de l'année suivante pour procéder à la perquisition proposée. On trouvera effectivement l'arme à l'endroit annoncé.

3 – Des actes de procédure refusés :
Ne revenons pas sur la reconstitution sur place maintes fois demandée par Yvan Colonna et ses avocats et toujours refusée. Indiquons en revanche que les témoins oculaires du crime n'ont jamais été confrontés ni à Ferrandi ni à Alessandri.
Cédric Le Prévost est l'un de ces témoins oculaires. Il a vu, le soir du crime deux hommes « se poster » dans une rue adjacente. Il affirme être certain de ne pas reconnaître Yvan Colonna comme l'un de ces deux hommes. A Me Simeoni qui lui demande s'il a été confronté à Yvan Colonna, il répond : « non, jamais. »

4 – Des actes de procédure plus que suspects :
Un exemple. Chaque interrogatoire donne lieu à un procès-verbal signé par tous les participants. Les membres du commando affirment que les interrogatoires n'ont pas été étanches comme ils auraient dû l'être et que l'on a fait pression sur les uns à partir des supposées déclarations des autres. On constate que pour certains accusés, les procès-verbaux d'interrogatoire ne sont que des copiés-collés d'autres P.V correspondant à d'autres accusés. Identiques jusqu'aux fautes d'orthographe ! Si cela ne signifie pas une participation active de la police dans le contenu des déclarations, qu'est-ce que cela peut signifier d'autre ?


5 – Cachez ces complices que je ne saurais voir :
Nous touchons là au point névralgique des défaillances de l'appareil judiciaire.
Depuis l'arrestation des six membres du commando Erignac en mai 99 et la mise en cause d'Yvan Colonna, tout se passe comme si l'appareil antiterroriste ne voulait plus entendre parler d'autre chose : sept accusés et la coupe est pleine.
Mais voilà : la réalité et les témoins disent autre chose.
Dès l'assassinat, de nombreux témoins se présentent à la police pour faire état de faits ou de gens suspects ayant attiré leur attention dans le quartier du Kallistè avant et tout de suite après le meurtre.
- Un témoin affirme avoir remarqué juste avant le crime un homme parlant dans un talkie-walkie et qui, se sentant découvert, est allé se cacher dans l'ombre. C'est le seul talkie-walkie dont il soit question ce soir-là. L'utilisation de cet appareil n'a de sens que si quelqu'un d'autre en a un aussi. Comme ce n'est pas l'un des membres connus du commando, il faut bien que ce soit quelqu'un d'extérieur. Quelqu'un qui sait parfaitement, lui, que les téléphones mobiles laissent des traces...
D'autres témoins ont repéré d'autres personnes, à pied ou en voiture (une voiture rouge qui, après avoir attendu, moteur allumé, a suivi celle du préfet dès qu'il est arrivé dans le quartier ; une 205 blanche qui, à peine quelques instants après le forfait, démarre de façon si spectaculaire qu'un passant relève son numéro, un numéro qui se révèlera trafiqué, puis se fait remarquer encore par une conduite forcenée aux environs de l'aéroport). Si on additionne ces gens suspects, on arrive à une douzaine d'individus. Quand on se rend sur place, quand on voit la configuration du quartier, qu'on pense que les tueurs ne savaient pas par où le préfet allait arriver, on se dit qu'il fallait au moins deux équipes et des guetteurs pour être assuré de réussir l'attentat.
- J'ai déjà évoqué le coup de théâtre de la déposition de Didier Vinolas au procès en appel. Cette déposition indique deux complices « dans la campagne » dont les noms n'auraient jamais été révélés.
- Si on veut bien relire objectivement les dépositions des membres du commando au cours des procès en première instance puis en appel , on comprendra qu'ils font allusion à des complices non connus. Mais cela, personne n'a voulu le voir. On a préféré faire la part belle aux paroles amphigouriques d'Alain Ferrandi (« tu es un homme d'honneur. Si tu y avais été, tu l'aurais dit. Tu ne l'as pas dit, donc tu n'y étais pas ») qui ne signifiaient pas forcément ce qu'on a voulu leur faire dire. Ferrandi disculpe Yvan et lui rend même hommage. Mais il le fait à contrecoeur. Pas forcément pour les raisons qu'on a dites compte tenu de sa personnalité.
-Quoi qu'il en soit, le même Ferrandi utilise des formules tout aussi sybillines mais finalement plus révélatrices et que personne n'a relevées : A propos du commando, il dit « je ne vous donnerai pas les noms ni qui a fait quoi », et encore « Yvan Colonna n'est pas celui qui faisait partie du groupe ».
A Me Simeoni qui lui demande « Y a-t-il d'autres membres du commando non identifiés qui courent encore ? », Ottaviani répond de son côté : « c'est à la justice de le dire ».
Toutes ces réponses n'ont de sens que si l'on admet qu'il y a des complices non identifiés. Des complices qui n'ont jamais été dénoncés par ceux qui ont été arrêtés. Et on voudrait nous faire croire que le commando accuserait Yvan par rancune parce qu'il ne se serait pas dénoncé et qu'il laisserait impunément courir les autres. Où est la logique ?
Au procès en appel, les membres du commando sont encore plus explicites. Ferrandi, pressé de questions par Yvan finit par lâcher :  « Il est évident que des gens n'ont pas été arrêtés... » ou encore « Nous étions plus nombreux au sein du groupe ». De son côté, Versini reconnaît : « Il y avait d'autres gens sur l'action. Il fallait les protéger. Toi, tu étais en cavale... »
Ce que dit Versini est très clair : il y a des complices qu'il fallait protéger. Comme Yvan était en cavale, il était provisoirement à l'abri. On pouvait donc le charger pour couvrir les autres.
On verra plus loin ce que dit Pierre Alessandri.



CONCLUSION :
On aura compris que les acteurs du système antiterroriste s'arc-boutent pour des raisons mystérieuses sur la culpabilité de Colonna quitte à tordre les faits, à commettre un déni de justice, à être sourds, aveugles à tout ce qui pourrait signifier autre chose. Dans ces conditions, toute dérive de procédure, tout manquement aux règles et aux principes du droit français et européen sont autant de preuves « en creux » de l'innocence d'Yvan Colonna. On n'enquête pas sur tel indice, on ne procède pas à telle confrontation ou à la reconstitution, quitte à violer la loi, parce qu'on sait pertinemment que la thèse de la culpabilité en serait disqualifiée. Quand un fonctionnaire, dans le cadre de ses fonctions, commet des actes contraires aux règles auxquelles il est normalement soumis, cela s'appelle une forfaiture. Le comportement des policiers et des magistrats qui ont conduit cette affaire amène à se demander s'ils ne tombent pas sous le coup de cette accusation.

à suivre... demain : V - LA PERSONNALITE D'YVAN COLONNA

mercredi 19 mai 2010

L'INNOCENCE D'YVAN COLONNA : FAITS ET ARGUMENTS

Suite 4

erratum (re) : il semble décidément que j'aie des difficultés avec l'orthographe du nom de Nicolas Sarkozy !

C – LES PROCES :
Du 2 juin au 11 juillet 2003 a lieu le procès de ce qu'on a appelé le commando Erignac au terme duquel des peines lourdes ont été appliquées (de 15 ans à la perpétuité). Le 4 juillet, donc avant la fin, Yvan Colonna est arrêté à Olmetu. Puisqu'il était accusé d'être le tueur du préfet, la logique aurait voulu qu'il soit placé dans le même box que les autres accusés afin d'être jugé avec ses supposés complices. Et si son dossier n'était pas prêt, il suffisait de suspendre le temps nécessaire le procès en cours. Qu'on ne l'ait pas fait est significatif en soi. Pour en comprendre la portée, il faut se souvenir (voir plus haut) de la répugnance avec laquelle les juges d'instruction ont accepté d'organiser les confrontations avec ses accusateurs de la première heure qu'Yvan demandait. On ne voulait pas que ces hommes-là se rencontrent publiquement. Pourquoi ? A l'évidence parce que cette confrontation aurait fait sauter en éclats l'image négative que les enquêteurs avaient donnée d'Yvan et que sa cavale avait contribué à renforcer.
Le supposé membre principal du commando sera donc jugé à part. Quatre années plus tard ! Quatre années passées en prison préventive. Le procès aurait pu avoir lieu un an plus tôt, les dossiers étaient bouclés. Mais il est vrai qu'entre temps se déroulait une certaine campagne présidentielle... Allait-on risquer de la polluer avec ce procès ?

Le procès en première instance aura donc lieu du 12 novembre au 13 décembre 2007 devant une cour d'assises spécialement constituée (le jury est composé de 7 juges professionnels désignés et non de citoyens ordinaires tirés au sort). La Cour est présidée par Dominique Coujard.
Auparavant, en mars 2007, se déroule le procès consécutif à la plainte d'Yvan Colonna contre Nicolas Sarkozy pour viol de la présomption d'innocence (rappelons qu'au soir de l'arrestation d'Yvan, N.sarkozy avait déclaré dans un meeting : « la police française vient d'arrêter l'assassin du préfet Erignac, Yvan Colonna). Au terme du procès, le plaignant est débouté. Les juges estiment que les propos de Nicolas Sarkozy « suscitent une impression certaine de culpabilité » mais qu'ils ne présentent pas Colonna comme l'auteur du crime. Sans commentaire.
Le procès en appel se déroule, lui aussi, devant une cour d'assises spécialement constituée du 9 février au 27 mars. Il est présidé par Didier Wacogne.

Dans les deux procès où Yvan est l'accusé, les avocats généraux et les présidents de cour incarnent l'appareil judiciaire. Examinons-les.

1 – LES AVOCATS GENERAUX :
On ne leur reprochera pas d'avoir requis contre l'accusé : c'est leur fonction. Ils sont même là, au nom de la société, pour tenter de mettre en lumière ce qui fait tomber le prévenu sous le coup de la loi. Cela dit, voici quelques remarques et interrogations.
Au premier procès, on a pu noter l'absence de réaction des deux avocats généraux tout au long des débats. Ils n'ont quasiment jamais de question à poser. C'est au point que le président lui-même semble s'en étonner : dix jours après le début du procès, il les interpelle : « Le ministère public, toujours pas de question ? ». Ce silence pose problème dans la mesure où tout se passe comme si les débats n'avaient pas lieu, comme si la position des avocats généraux avait été établie à l'avance. Dans leurs réquisitoires, ils parleront comme si rien n'avait été dit au cours des débats. Ainsi, par exemple, l'avocat général Yves Jannier dira-t-il dans son réquisitoire : « Monsieur Colonna, si vous n'avez rien à vous reprocher, pourquoi ne pas nous dire ce que vous faisiez les 5 et 6 février 1998 ? » C'est proprement incroyable : Yvan Colonna s'est expliqué avec précision sur son emploi du temps. On a vu qu'il y a de nombreux témoins pour le corroborer. Yves Jannier ne les a pas entendus.
Il y a plus grave : Yves Jannier appuie son argumentation sur des contre-vérités. A propos du commando Erignac, il affirme le 12 décembre 2007 : « six de cette armée des ombres ont mis en cause le septième. Ils ont tous balancé Yvan Colonna ». Sur la réalité des accusations, qu'on relise ce que j'écris dans la rubrique « Accusations ». Bien sûr, l'avocat général préfèrerait, pour sa démonstration, qu'il y ait unanimité contre Yvan Colonna. Seulement, ce n'est pas le cas. Et ce détail n'est pas indifférent. Voilà pourquoi il éprouve le besoin de distordre la vérité.
Ajoutons pour mémoire, mais en admettant que c'est de bonne guerre, qu'il fait comme si les assassins avérés étaient des êtres loyaux et fiables et l'accusé le dernier des pervers. Il fait mine de s'étonner qu'aucun des membres du commando ne se soit levé pour laver Yvan de l'accusation des autres (ce qui par parenthèse revient à admettre qu'ils ne l'ont pas tous accusé et que lui, l'avocat général, n'a pas dit la vérité quand il a prétendu le contraire).
Un dernier mot sur Yves Jannier. Huit jours après le procès, il reçoit la promotion qu'il demandait : il est nommé à la tête de la section antiterroriste du Parquet sur proposition de Rachida Dati, garde des sceaux.

Jean-Claude Kross. Il est l'un des deux avocats généraux du procès en appel. Quelques mois plus tard, prenant sa retraite, il publie ses mémoires. A cette occasion il est interviewé par Adrien Cadorel, un journaliste de Métro qui lui parle du procès Colonna et lui fait observer que le dossier ne contenait aucune preuve contre l'accusé. Réponse de Jean-Claude Kross, avocat général : « C'est vrai. Mais j'avais l'intime conviction de sa culpabilité ». On peut, à l'extrême rigueur, admettre que les membres du jury se prononcent sur la base de leur intime conviction (encore que s'agissant de la peine maximale on puisse s'interroger sur le bien-fondé de ce fonctionnement) mais l'avocat général ? N'est-il pas là pour montrer que l'accusé est coupable ? S'il n'en a pas les moyens, comment peut-il requérir la peine maximale ?

2 – LES PRESIDENTS DE COUR.
Le Président Coujard préside la Cour d'Assises spécialement constituée. Il apparaît comme un homme courtois à l'égard de l'accusé. C'est bien, mais...
On va s'apercevoir rapidement qu'il ne tient pas la balance égale entre la défense et l'accusation, loin de là. A aucun moment il ne pousse les enquêteurs dans leurs retranchements. A aucun moment, il ne leur demande les preuves qui fondent leurs accusations. A aucun moment il ne rappelle que c'est à l'accusation d'apporter la preuve de la culpabilité. En revanche, il demande à Y.Colonna de prouver son innocence : « il faut nous apporter des éléments », lui dit-il.
A contrario, il s'efforce de jeter le discrédit sur les témoins à décharge. Le cas le plus grave concerne Paul Donzella, ce restaurateur de Cargèse qui affirme que Yvan Colonna dînait dans sa pizzeria le soir de l'attentat contre la gendarmerie de Pietrosella. C'est un témoignage capital. Car si Y. Colonna n'était pas à Pietrosella, on ne voit pas pourquoi il aurait été à Ajaccio pour tuer le préfet. Donzella à lui tout seul jette à terre toute la mécanique imaginée par l'accusation. Donzella passe à la fin du procès, tout à fait en fin de journée. Il a résisté aux banderilles de l'accusation et de la partie civile. C'est alors que le président Coujard laisse filer un fou rire qui va gagner progressivement la cour puis la salle. Cela va durer suffisamment de temps pour que, du témoignage de Donzella, on ne retienne que cet incident de séance et non pas le contenu. C'est proprement scandaleux et indigne d'un juge équitable.
Mais faut-il s'en étonner ? Le président Coujard a déjà laissé paraître son parti-pris contre Y.Colonna. Dix jours avant la fin du procès, il dit à l'accusé : «  Nous fondons notre intime conviction à partir de la raison ». Tout est à critiquer dans cette affirmation. Le « nous » d'abord qui implique que le Président se sent appartenir au clan de l'accusation et n'est pas au-dessus des parties entre lesquelles il devrait tenir la balance égale. Ensuite, la « raison » invoquée montre qu'il s'agit bien de raisonnements qui ont servi à échafauder une théorie et non pas d'une réalité objective étayée par des faits. Il en fait d'ailleurs à plusieurs reprises l'aveu involontaire en utilisant le terme de « scénario » qui évoque bien une fiction. « L'intime conviction », enfin. Dix jours avant la fin du procès, le président avoue avoir une intime conviction défavorable à l'accusé. Comment pourrait-il donc avoir une attitude équitable ?
On ne s'étonnera pas dès lors de son refus de procéder à la reconstitution demandée par la défense. Mais comme c'est un homme habile, il biaise : il va accepter un transport sur place qui ne montrera rien du tout et pour cause.
Ici, une remarque à propos du refus de la reconstitution. On le justifie en général par le refus des membres du commando d'y participer. Ce n'est une bonne raison qu'en apparence. D'abord parce que ce refus ne concerne que les deux protagonistes du crime : Ferrandi et Alessandri (les autres complices ne sont pas sur place) et qu'en fin du procès en appel Alessandri a levé son opposition. Ensuite et surtout parce qu'en pareil cas, on fait intervenir des gens qui se mettent à la place des accusés (voir à ce sujet les propos du juge Bruguière). En l'occurence, cela aurait largement suffi pour montrer que le scénario (justement !) de l'accusation ne tient pas debout. N'importe qui, sur les lieux du crime, peut comprendre qu'un attentat de cette importance ne peut pas avoir été le fait de deux ou de trois hommes. Si on avait convoqué les très nombreux témoins qui ont vu des choses et des gens suspects le soir du drame, on aurait compris que le scénario de la police est inepte. On aurait compris qu'il y avait bien plus de complices sur place (voir plus loin) que l'accusation ne veut le reconnaître. Voilà la véritable raison pour laquelle il fallait à tout prix refuser la reconstitution. Le Président Coujard a accepté de jouer ce jeu-là.

Le Président Wacogne : La présidence de Didier Wacogne a été si grossièrement scandaleuse et partiale que le parquet s'en est ému : quelques jours après le procès, on apprenait que le magistrat ne présiderait plus de cour d'assises. En attendant il avait tout de même accompli le travail pour lequel il avait été nommé par le premier président de la cour d'appel, lui-même nommé par le président de la République.
Les coups de théâtre du procès en appel étant encore dans les mémoires, on se contenera de rappeler ici les principaux reproches que l'on peut adresser au président.
- il ne communique pas à la défense toutes les informations qu'il possède. Ainsi, il ne révèlera que le 27 février le refus du commandant Lebbos de venir à la barre des témoins. Il devait être entendu le 4 mars. Lebbos est un témoin capital pour juger de la façon dont l 'enquête a été conduite (voir plus haut). Il a fourni un certificat médical daté du 4 février (5 jours avant le début du procès).
De son côté, Didier Vinolas (ancien secrétaire général de la préfecture d'Ajaccio au moment de l'assassinat) dont l'audition va créer un véritable choc, avait fait savoir au président Wacogne, dès la fin janvier, qu'il comptait faire des révélations importantes. Le président garde l'information pour lui. Il prétendra ne pas avoir lu son courrier.
Ces rétentions d'information sont de nature à gêner le travail de la défense.
- Les refus du président :
Refus de renvoyer le procès malgré le choc des révélations de Vinolas.
Refus de nouvelles investigations sur les deux complices « dans la nature » désignés par ces révélations au prétexte que les deux personnes étaient déjà connues des enquêteurs et qu'elles n'étaient pas intéressantes. Pas intéressantes, en effet ! Qu'on en juge. On avait découvert chez l'un des vêtements de gendarmerie dérobés à la gendarmerie de Pietrosella. Et l'autre était propriétaire d'une 205 blanche semblable à cette voiture qui, garée tout près du lieu du crime, a démarré en trombe dès l'attentat commis...
Refus d'ordonner un supplément d'enquête.
Refus d'organiser la reconstitution devenue pourtant si nécessaire au dévoilement de la vérité.

On évoquera pour mémoire quelques comportements étranges. A Joseph Colombani (voir le chapitre sur les témoins), il lance un méprisant « Vous vous présentez donc comme le témoin idéal ». Au moment où Maranelli va craquer sous le feu des questions des avocats, le président intervient pour qu'on change de sujet. Il n'a aucune question à poser à Marie-Ange Contart qui a pourtant vu l'assassin à deux mètres. En revanche il accable de questions au autre témoin qui n'a rien vu.
Il n'a rien à dire non plus à Me Simeoni qui prouve en audience que tout ce qui a été dit sur le dossier de la téléphonie était erroné. Un président de cour soucieux de vérité aurait convoqué des experts, ordonné un supplément d'enquête... Didier Wacogne, lui, passe à une autre question.

à suivre... Demain : IV – DES PISTES ECARTEES

mardi 18 mai 2010

L'INNOCENCE D'YVAN COLONNA : FAITS ET ARGUMENTS

suite 3

(errata : bien entendu dans les textes déjà publiés, il fallait lire Sarkosy et non pas Sarkosi, et voyous plutôt que voyoux !)

B – L'INSTRUCTION :
Curieusement, le dossier de l'attaque de la gendarmerie de Pietrosella et celui de l'assassinat du préfet Erignac sont dissociés alors qu'il apparaît très rapidement qu'il s'agit d'une seule et même affaire. Ils sont confiés à deux juges différents : les juges Laurence Le Vert (pour l'assassinat) et Gilbert Thiel (pour Pietrosella). Ils sont chapeautés par Jean-Louis Bruguière. Dans ce club de trois personnes, des sentiments d'inimitié de notoriété publique ne favorisent pas la coopération.

1 – Le juge Jean-Louis BRUGUIERE : ses activités de juge antiterroriste l'ont souvent mis sous le feu des projecteurs. Aujourd'hui, on reparle de lui à propos de l'attentat de Karachi. En 2007, il est candidat à la députation (sous la bannière UMP). Il a donc été contraint de quitter ses fonctions de magistrat. Le juge Marc Trévidic a repris en charge le dossier de cet attentat qui a coûté la vie à onze ingénieurs français de la DCN. Il donne une orientation totalement nouvelle à l'enquête. Des témoignages nouveaux apparaissent, des révélations montreraient que l'attentat de 2002 aurait été le fait non pas d'Al-Qaïda comme on l'a prétendu jusque-là, mais de l'armée pakistanaise. Il s'agirait d'une histoire de rétrocommissions qui compromettrait notamment Edouard Balladur, François Léotard et même Nicolas Sarkozy. Si ces accusations sont fondées, si les journalistes qui ont enquêté ont raison, dès 2002, les responsables politiques auraient su à quoi s'en tenir. Cela n'aurait pas empêché le juge Bruguière pourtant informé de l'existence de cette piste, de continuer à n'enquêter, sérieux comme un pape, que sur la seule piste Al-Qaïda.
De la même façon, le même juge Bruguière est soupçonné d'avoir enquêté uniquement sur la piste islamiste dans l'affaire de l'assassinat des moines de Tibéhirine. L'avocat des proches des moines (Me Baudoin) l'accuse d'avoir soigneusement écarté les témoignages qui n'allaient pas dans le sens de la « vérité officielle » (par exemple celui du général Buchwalter attaché militaire à l'ambassade de France d'Alger). Il apparaît de plus en plus aujourd'hui que l'armée algérienne serait impliquée dans ce drame.
Il y a donc lieu de s'inquiéter sur la fiabilité du juge Bruguière. Mais il faut ajouter à tout cela que le dossier établi par le même juge sur le génocide du Rwanda s'effondre peu à peu. Une fois encore il s'enfermait dans la ligne officielle du pouvoir politique français soucieux d'escamoter son rôle dans cette tragédie. On finit par se dire que ce sont des soupçons précis, réitérés et concordants qui pèsent sur le même juge. Si ces soupçons étaient fondés, Jean-Louis Bruguière serait le juge de la complaisance à l'égard de la raison d'Etat. Un juge qui accepterait de s'enfermer pendant des années dans des pistes dont il saurait pourtant depuis le départ qu'elles sont des impasses.
Cela jette une ombre certaine sur sa crédibilité en ce qui concerne son attitude dans l'affaire Colonna.
Pour ajouter à cette suspicion de manquements à la déontologie du magistrat, rappelons deux points qui ont marqué son passage à la barre au cours du procès en première instance :
- J.L.Bruguière est interrogé par Me Sollacaro et Me Simeoni au sujet de l'absence de reconstitution. Il rappelle à juste titre qu'une reconstitution a eu lieu sur les lieux du crime quelques semaines après celui-ci avec les témoins volontaires mais en l'absence des criminels qui ne seront connus que plus d'un an plus tard. Une seconde reconstitution est prévue après l'arrestation du commando Erignac (mai 99). Celle-ci est annulée parce que les accusés ont refusé d'y participer.
Question de Me Sollacaro : Pourquoi ne pas avoir fait jouer leur rôle par des figurants ?
Réponse du juge Bruguière : Parce que nous avons été pris de court.
Il ne dit pas pourquoi ils ne l'ont pas fait par la suite. Ils en auraient eu largement le temps, le procès du commando n'ayant eu lieu qu'en 2003.
- Il évoque l'audition de Jeanne Ferrandi le 24 mai 1999. A cette date, elle a parlé et accusé notamment Yvan Colonna. Elle n'est donc plus en garde à vue. Le juge la reçoit dans son bureau de la galerie Saint-Eloi. Il se dit touché par l'émotion de cette femme dont la vie vient de basculer... Très bien.
Mais on remarque alors que ce 24 mai 99 où il reçoit Jeanne Ferrandi, libre, est le lundi de Pentecôte. On se dit que l'audition ne risque pas d'être dérangée par des témoins. Me Simeoni demande à J.L.Bruguière si Jeanne Ferrandi était accompagnée de son avocat. Bien sûr, répond le juge. Et c'était, insiste l'avocat ?... C'était Maître..., commence le juge. Mais il est bien incapable de donner un nom.
Donc, un lundi de Pentecôte, à un moment où il n'y a personne dans la galerie Saint-Eloi, le juge Bruguière s'entretient apparemment en tête à tête avec un témoin important de l'accusation après qu'il a parlé et qu'il a été relâché. Pourquoi ?

2 – Le juge Gilbert THIEL : Il passe pour l'esprit indocile de la section antiterroriste du parquet. C'est tout à son honneur. Et il est vrai qu'il a fait preuve d'une belle ténacité dans un certain nombre d'affaires. Mais il est arrivé aussi que cette ténacité le conduise à des dérapages. Il lui aura fallu trois ans pour s'apercevoir qu'il s'était fait manipuler par deux de ses collègues italiens. Il a ainsi déployé des moyens d'enquête considérables contre trois militants du nouveau PCI vivant en France. Le député PS André Vallini, qui a présidé la commission d'enquête parlementaire à propos de l'affaire d'Outreau a dit du juge Thiel qu'il a couru après « l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'ours ».
Il arrive donc au juge Thiel de se faire « instrumentaliser » selon l'expression du Syndicat de la Magistrature. Cela ne lui enlève en rien ses certitudes et la passion de les faire prévaloir. Un témoin décisif ( Paul Donzella) vient-il affirmer qu'Yvan Colonna ne pouvait pas participer à l'attaque de la gendarmerie de Pietrosella, le 6 septembre 97, puisqu'il mangeait une pizza avec son fils ce soir-là dans son restaurant, aussitôt le juge l'accuse de faux-témoignage obtenu par une concertation téléphonique avec les avocats (Me Sollacaro) par l'intermédiaire de la famille (Stéphane Colonna). Cette concertation a bien eu lieu. Mais après la déposition de Donzella. Les accusations du juge vont d'ailleurs amener les avocats à porter plainte pour diffamation. Pourquoi le juge ne publie-t-il pas les dates exactes des entretiens téléphoniques incriminés ? Et leur contenu puisque le téléphone de Stéphane Colonna était sur écoutes ? Et pourquoi ne poursuit-il pas Donzella pour faux-témoignage ?
J'ai déjà évoqué les raisons qui lui ont fait retirer l'enquête à la gendarmerie. Le moins qu'on puisse en conclure, c'est une susceptibilité étonnante.
Cette susceptibilité, on la retrouve dans la façon dont il a traité Patrizia Gattaceca. La chanteuse qui mène une carrière internationale a admis avoir hébergé Yvan Colonna pendant sa cavale. Elle est mise en examen. Admettons. Elle est assignée à résidence. Que craint-on ? Qu'elle se réfugie au Pakistan ? Elle fait valoir que son métier d'artiste la conduit à se produire à l'étranger er que son métier d'universitaire demande qu'elle puisse participer à des conférences ailleurs qu'en Corse. Le juge l'assure qu'il examinera avec bienveillance (il y aurait beaucoup à dire sur le rôle que s'attribue celui qui peut décider avec bienveillance) les demandes de sortie de l'île. Mais voilà que, dans la presse, elle explique en vertu de quelles lois de l'hospitalité elle a hébergé Yvan et pourquoi elle le referait si c'était à refaire. Aussitôt le juge prend la mouche. ( Il se veut l'esprit indépendant mais il n'aime pas l'indépendance des autres : on lui conseillera de relire Antigone) Il assigne donc l'effrontée à résidence en Corse sans exception. Et, pour faire bonne mesure, le fils de Patrizia, lui, est assigné à résidence sur le continent. Sans commentaire.

3 – La juge Laurence LE VERT : Elle non plus n'est pas très regardante sur les moyens : elle n'hésitera pas à faire mettre sur écoutes un journaliste de l'Est Républicain trop bien informé du déroulement de l'instruction.
On verra un peu plus loin la façon dont Yvan Colonna a été traité par les deux juges d'instruction.
Ce qui est particulièrement grave, c'est le refus réitéré de la juge de verser au dossier les rapports d'écoutes téléphoniques et de filatures favorables à l'accusé. Constatons que le Président de la Chambre d'instruction saisi par les avocats a, lui aussi, refusé de transmettre la demande à l'instance qu'il préside.
Tout aussi scandaleux est le refus, pendant deux ans, de confronter l'accusé à ses accusateurs. La confrontation est un droit que la juge viole donc allègrement.
Notons toujours qu'elle ne reçoit le père de l'accusé que deux ans après l'arrestation. Et n'allons pas imaginer que ce soit pour l'interroger sur l'emploi du temps d'Yvan au soir du 6 février 98. Elle cherche à le prendre en défaut sur la question de savoir s'il a eu ou non des nouvelles de son fils pendant sa cavale. Pour cela, elle cite le beau-frère d'Yvan et elle tronque la citation pour lui faire dire autre chose que ce qu'elle dit. Cet épisode peu glorieux pour la juge est évoqué de façon détaillée dans LE ROMAN DE Ghjuvanni STEPHAGESE.
En conclusion, elle s'efforce tout au long de l'instruction, d'escamoter tout ce qui pourrait plaider en faveur de l'accusé. Ce n'est pas une attitude dictée par une grande rectitude intellectuelle. Tant de partialité ne prouve pas non plus une grande confiance dans le dosier d'accusation.

Des méthodes inacceptables en démocratie: On peut admettre que les affaires de terrorisme appellent une lutte déterminée.
Cela ne fera pas admettre pour autant ce qui semble se dégager du comportement des juges dans cette affaire.
L'instruction a été anormalement coercitive. Tout se passe comme si la détention provisoire était un commencement d'application de la peine avant même tout procès.
Qu'on en juge. Arrêté le 4 juillet 2003, Yvan Colonna est mis à l'isolement total pendant plus d'un an. Cela signifie qu'il ne voit personne même pas les autres détenus, qu'il reste enfermé dans sa cellule 23 heures sur 24, que pendant une heure il peut marcher dans un couloir de béton de huit mètres de long et recouvert d'un grillage.
Il faudra plus d'un an pour qu'il puisse voir ses parents. Les lettres qui lui sont envoyées mettent entre plusieurs semaines et plusieurs mois pour lui parvenir.
Le 10 mars 2005 il est sorti de sa prison pour « bénéficier » de la première confrontation qui lui soit accordée. Elle concerne l'affaire de Pietrosella. Tout le temps (plusieurs heures) qui va du moment où il quitte sa cellule à celui où il entre dans le bureau du juge Thiel, il est menotté dans le dos, il porte un gilet pare-balles et une gagoule, on lui a mis des lunettes opaques qui l'aveuglent. Peut-on s'interroger sur les motivations et les buts de ceux qui ont recours à de pareilles méthodes ? Dans le cas d'espèce, il s'agit à l'évidence de « punir » celui qui s'est entêté à demander ce qu'on lui refusait. Et surtout de l'affaiblir nerveusement et psychologiquement avant une audition importante pour sa défense.
Le devoir du juge est d'instruire à charge et à décharge. Dans l'affaire Colonna, le postulat de la culpabilité éclaire tous les actes de la procédure. On a systématiquement écarté ce qui pouvait lui être favorable et jeter le doute sur sa culpabilité. On a fait disparaître des pièces. On a systématiquement interprété les faits (parce que c'est très souvent une question d'interprétation) dans le sens de la culpabilité ; on a ignoré de nombreux témoignages et des pièces à conviction (j'y reviendrai). Cette instruction n'a pas été équitable.

Comment comprendre cela ?
Si on est optimiste, on s'en tiendra à la formulation de la commission d'enquête parlementaire de 99. Elle parle, au sujet des juges en question d' « egos surdimensionnés ». C'est une vision des choses. Elle a le mérite d'expliquer les luttes d'influences, les combats pour des préséances dérisoires, des haines farouches. Elle explique aussi un goût du pouvoir qui conduit à vouloir briser celui qui est à votre merci, à considérer toute réaction de dignité comme un crime de lèse-majesté là où la déontologie demanderait beaucoup d'humilité, d'humanité, de sang-froid et d'impartialité.

Si on est pessimiste, on s'interrogera sur les perversions psychologiques auxquelles le hasard des carrières aura donné l'occasion de s'épanouir, et/ou on s'inquiétera des dérives serviles à l'égard des puissants...
Version optimiste et version pessimiste ne sont d'ailleurs pas forcément exclusives l'une de l'autre...

à suivre... Demain : « C – LES PROCES »

lundi 17 mai 2010

L'INNOCENCE D'YVAN COLONNA : FAITS ET ARGUMENTS

suite 2

III - LES ACTEURS DE L'AFFAIRE COLONNA

Si on veut que les deux verdicts qui ont condamné Yvan Colonna à la perpétuité soient irrécusables, il faut que les gens qui ont mené l'enquête, l'instruction et les procès soient au-dessus de tout soupçon. On va voir que c'est loin d'être le cas.

A – L'ENQUÊTE :

1/ La cheville ouvrière de l'enquête et des interrogatoires est le commandant Lebbos. Un grand honnête homme ! Les avocats de la défense ont pu rappeler que :
Il battait sa femme. Elle le quitte sans laisser d'adresse. Au nom de la procédure Erignac, il signe une réquisition enjoignant à France-Télécom de retrouver ses coordonnées téléphoniques. Il signe la réquisition du nom de son subordonné (Franck Azaïs) en vacances. C'est donc un faux et un détournement de procédure au profit d'une affaire privée.
Il remarque une jeune femme qu'il trouve à son goût, Martine Mimaud. Il signe une nouvelle réquisition toujours au nom de Franck Azaïs pour avoir son adresse. La procédure Erignac est détournée au profit d'une histoire de fesses. Azaïs s'aperçoit que son nom a été utilisé à son insu. Il se plaint auprès de sa hiérarchie. Résultat : c'est lui qui est mis au placard !
Lebbos est pris en flagrant délit de vol au BHV.
La condamnation de Castela et Andriuzzi est annulée en appel parce que leurs avocats ont pu montrer qu'elle reposait sur un PV antidaté rédigé par Lebbos.
Décembre 2007, Lebbos est condamné à 6 mois de prison avec sursis.
2009 : procès en appel. Devant la perspective d'être « cuisiné » à nouveau à la barre, le hardi gardien de la loi préfère se faire porter pâle. Avant l'ouverture du procès, il envoie un certificat médical au Président Wacogne rédigé par un psychologue. Serait-il en déprime ? Les remords auraient-ils affaibli sa résistance ? Mais le déroulement du procès conduit Yvan Colonna à faire le choix de récuser ses avocats et de quitter la salle d'audience. Dès lors les séances se déroulent et ronronnent entre gens de bonne compagnie. Voilà le commandant Lebbos qui retrouve miraculeusement sa santé psychique et il vient, frais comme l'oeil, assurer à la barre qu'il a toujours respecté la déontologie du policier. Il n'y a plus personne pour lui poser les questions qui fâchent. Surtout pas le Président Wacogne.

2/ Très rapidement, l'enquête est confiée à la DNAT dirigée par Roger Marion.
Dès le soir de l'assassinat, c'est le SRPJ d'Ajaccio dirigé par le commissaire Démétrius Dragacci qui opère.
Dragacci commet quelques erreurs techniques regrettables (Dès 23h, il fait laver à grande eau le trottoir où le préfet est tombé à 21h05 ; il ne fait pas enclore un espace de sécurité assez grand si bien que les 400 spectateurs du concert auquel se rendait le préfet piétinent la rue et les trottoirs en sortant du Kallistè, faisant sans doute disparaître des indices précieux ; il ne fait pas relever les numéros d'immatriculation des voitures dans un périmètre suffisant, si bien qu'on va perdre par exemple la trace d'une fourgonnette suspecte garée devant le Kallistè depuis la fin de l'après midi et qui disparaîtra ensuite : on sait que dans des opérations de cette envergure il y a toujours des complices en planque dans des véhicules banalisés)... Mais Dragacci a deux intuitions majeures dont l'histoire montrera à quel point elles étaient judicieuses. Si on lui avait laissé finir son travail le commando Erignac aurait été arrêté bien plus tôt. Dragacci estime en effet tout de suite que cet assassinat est le fait d'un commando nationaliste à la dérive. Par ailleurs, il comprend que ses membres forcément disséminés dans le quartier ou même la ville ont communiqué entre eux. Ils n'ont pu le faire qu'à l'aide de téléphones portables. Il fait donc relever (« vitrifier ») le soir même tous les appels téléphoniques enregistrés par les bornes téléphoniques d'Ajaccio entre 20h et 21h30. Ce dossier ne sera exploité qu'environ dix mois plus tard. Or c'est lui qui permettra de confondre les coupables.
Mais Roger Marion obtient du ministre de l'Intérieur de l'époque, Jean-Pierre Chevènement, que l'enquête soit confiée au service qu'il dirige, la Direction Nationale Antiterroriste, la DNAT. Chevènement bien mal inspiré, mais il est vrai que sur cette affaire il accumulera les erreurs ( la nomination du Préfet Bonnet entre autres, l'homme des paillottes), liquidera Dragacci et nommera le chef d'un service mis en place par Charles Pasqua en 1986 et dont les accointances politiques sont parfaitement limpides (il suffit de voir les carrières politiques d'un grand nombre de membres des structures antiterroristes).
Le premier soin de Roger Marion est de faire table rase du travail de Dragacci. Ce qui donne l'occasion de dire combien toute cette affaire - et donc le déroulement de l'enquête - a été polluée par les rivalités entre services (ainsi par exemple, Roger Marion se débrouillera pour faire dessaisir la gendarmerie de l'enquête sur l'attaque de la gendarmerie de Pietrosella. Pour cela il mettra sous les yeux du juge chargé de l'instruction de cette affaire, le juge Thiel, un mot un peu critique du colonel Mazères. Résultat, le juge Thiel chargé d'instruire l'attentat de Pietrosella dessaisit la gendarmerie au profit de la DNAT. Pourquoi le fait-il ? Parce que le colonel Mazères le trouve un peu mou ? Si c'est la bonne explication, il faut en déduire que le juge Thiel fait passer les questions d'amour-propre avant l'intérêt du service. Ou bien le fait-il parce que la gendarmerie enquête à ce moment-là sur ce qu'on appelle les réseaux Pasqua et leur implication dans l'attentat de Pietrosella ? On comprendra que si c'était cela la bonne explication, elle serait infiniment plus grave que la précédente).
Roger Marion, donc.

PISTES ET LEURRES SUCCESSIFS :
Il va se lancer d'abord sur ce qu'on appellera « la piste agricole ». Pourquoi ? Les diverses opérations qui préparent l'assassinat du préfet Erignac vont de l'attaque de la gendarmerie de Pietrosella, le 6 septembre 1997, à l'attentat de la rue Colonnel Colonna d'Ornano le 6 février 1998 en passant par des attentats à l'explosif à Strasbourg ou à Vichy. Elles ont été revendiquées par deux séries principales de communiqués. La première est composée de déclarations non signées (c'est la raison pour laquelle on parlera du « commando sans nom » ou « des anonymes ») mais dont l'authenticité ne fait pas de doute puisque chacune d'elles comporte des détails connus des seuls enquêteurs et des auteurs des attentats. La seconde est composée de déclarations signées Sanpieru. Le but évident de ces communications est de faire porter les soupçons sur un militant nationaliste du syndicalisme agricole corse : Marcel Lorenzoni. La manoeuvre est tellement grossière qu'elle crève les yeux. Cela n'empêchera pas Roger Marion de faire immédiatement arrêter Lorenzoni, et, à la suite, plusieurs centaines de militants nationalistes du monde agricole. Beaucoup d'entre eux seront gardés plusieurs mois en préventive. Pour être finalement tous relâchés : la fameuse piste agricole s'est révélée comme un leurre tendu pour égarer l'enquête, un leurre dans lequel le « fin limier », le « premier flic de France » a foncé tête baissée. Après quoi, notre superflic a foncé sur la « piste des intellectuels » : Jean Castela et Vincent Andriuzzi, professeurs en Haute Corse. On a vu plus haut qu'ils ont été relaxés en appel. Deuxième fausse piste donc. Deuxième grave erreur de Roger Marion, l'homme qui fonce dans tous les leurres. Mais la piste Colonna, cette fois, promis, juré, c'est la bonne, ce n'est pas un troisième leurre mis là pour éviter de chercher les vrais coupables !

COUPS TORDUS :
Au procès de première instance, Marion déclarera devant la Cour à propos d'Yvan Colonna : « Ce sont les déclarations concordantes qui le désignent ». On a vu plus haut ce qu'il fallait penser de cette concordance. Il ajoute : « Les aveux du commando sont sincères, vérifiés et corroborés par des détails de l'enquête ». Quels détails ? Nous n'en saurons jamais rien. Certainement pas en tout cas le rapport du RAID sur la filature et les écoutes téléphoniques dont Yvan Colonna a été l'objet pendant plusieurs mois. Ce rapport est déclaré disparu. (Il ne reparaîtra qu'à la fin du procès en appel quand l'accusé et ses avocats auront quitté le prétoire). On y reviendra plus loin. Ce rapport prouve deux choses : pendant plusieurs mois, Yvan Colonna vit comme un homme qui n'a rien à se reprocher car on pense bien que si la filature et les écoutes avaient révélé la moindre chose supecte, cela aurait été surexploité par les enquêteurs. Peut-on imaginer que s'il avait été coupable, sur plusieurs mois, il ne se serait jamais trahi si peu que ce soit ? Ce vide est lui est donc tout à fait favorable. Voilà pourquoi on fait disparaître le rapport. Celui-ci prouve autre chose : la DNAT a menti quand elle a prétendu que le nom d'Yvan Colonna lui était inconnu avant que Maranelli ne l'évoque pour la première fois en garde à vue. Ce mensonge (corroboré par le livre de Amaury de Hauteclocque, chef du Raid, paru en 2009) laisse penser qu'en garde à vue, le nom d'Yvan Colonna était « dans les tuyaux », comme on dit, et a bien été soufflé aux membres du commando comme ceux-ci l'affirment. Pourquoi mentir, sinon ?
Il est vrai qu'un autre détail de l'enquête a de quoi surprendre : Mathieu Filidori est l'un des responsables du syndicat agricole corse. Il a été arrêté et placé en garde à vue puis en détention provisoire. La police va retrouver dans sa propriété des bâtons de dynamite. C'est fâcheux pour lui. Mais voilà, cette dynamite est cachée dans un sac plastique provenant d'une grande surface qui n'existe pas sur l'île. Un témoin certifie que les hommes de Roger Marion ont caché eux-mêmes ces explosifs pour compromettre Filidori. Si c'est vrai, en voilà des méthodes de voyoux !
Roger Marion a été convoqué par Claude Guéant à l'Elysée quelques jours avant le procès. Mais on va nous affirmer -sans rire – que Marion avait demandé à rencontrer le secrétaire général de l'Elysée parce qu'il avait reçu des menaces « avec l'accent corse » sur son portable. Comme c'est crédible ! Vous êtes flic, vous recevez des menaces et votre première réaction est d'aller vous plaindre à l'Elysée. Qui peut croire une chose pareille ? D'autres sources prétendent que Roger Marion rendu amer par sa fin de carrière avait menacé de ne pas être très affirmatif sur la culpabilité de Colonna. C'est là que l'Elysée qui semble beaucoup tenir à cette culpabilité aurait convoqué et convaincu Marion de rester dans le bon chemin. Celui qui allait lui permettre de partir à la retraite avec le titre de préfet ?

AU BOUT D'UNE ENQUÊTE INTERMINABLE ET QUI A MOBILISE DES MOYENS CONSIDERABLES, QUE RESTE-T-IL DONC ? Beaucoup d'erreurs, de dysfonctionnements et de ratés qui disent crûment ce qu'il faut penser de l'assurance et de la morgue avec lesquelles certains responsables policiers viennent témoigner à la barre ou parader dans des conférences de presse. Mais surtout, aucune preuve d'aucune sorte. Et, on le verra plus loin, bien des pistes inexplorées. Ceci explique le recours systématique et pitoyable de la part de Roger Marion, entre autres, à l'intime conviction. Je rappelle que le citoyen et le contribuable n'ont que faire de l'intime conviction du policier qui affirme : « cet homme est coupable !». Le policier est payé pour apporter des preuves, pas pour tartiner ses sentiments personnels.

A suivre... Demain : « B - L'INSTRUCTION »

dimanche 16 mai 2010

L'INNOCENCE D'YVAN COLONNA : FAITS ET ARGUMENTS

Suite 1


II - LES TEMOIGNAGES

Aucun témoignage à charge contre Yvan Colonna ne tient, donc. En revanche, tous les autres lui sont entièrement favorables.

1 – Les témoins oculaires du crime :
Beaucoup de témoins ont remarqué quelque chose de suspect, le soir du 6 février 98 aux alentours du théâtre du Kallistè où avait lieu le concert auquel se rendait le préfet. Tous ces témoins ne parlent que de deux hommes à côté de Claude Erignac au moment de l'assassinat. Or, pour étayer leur accusation contre Yvan Colonna, les policiers ont besoin de trois hommes. C'est pourquoi ils survalorisent le seul témoignage qui parle de trois hommes, celui de Joseph Arrighi. Ce retraité des Renseignements Généraux rentre chez lui en marchant le long du cours Napoléon. De là où il est, il a entendu les coups de feu mais les pâtés de maisons l'ont empêché de voir l'assassinat. Il continue de marcher. Au niveau de la manufacture des tabacs, il est dépassé par deux hommes qui trottinent et qui sont rattrapés par un troisième. Bien évidemment ce témoignage ne prouve rien. Rien ne dit que les deux hommes et le troisième venaient du même endroit. Le troisième, était légèrement décalé parce qu'il venait vraisemblablement d'un autre point où il servait de guetteur.
Même la juge Le Vert a fini par admettre au cours du procès en appel qu'ils n'étaient que deux sur les lieux du crime.
Donc deux hommes.
Plusieurs personnes ont vu le crime. Parmi elles, il y en a deux qui sont particulièrement in-téressantes :
Joseph COLOMBANI. Il est l'organisateur du concert, ami du préfet, responsable UMP, bras droit du Conseil de l'Exécutif corse.
Marie-Ange CONTART. Elle a vu le tueur à deux mètres. Ils se sont regardés dans les yeux, le temps d'un flasch indélébile.
Ces deux témoins ne disent pas : « Je ne reconnais pas Yvan Colonna ». Ils affirment : « Le tueur que j'ai vu, ce n'est pas Yvan Colonna ».

2 – Les témoins qui attestent de la présence d'Yvan Colonna ailleurs :
Le soir de l'assassinat, le 6 février : Jean-Hugues (le père ) et Josette Colonna-Beech (la tante), affirment qu'Yvan Colonna était avec eux jusqu'à 20 heures (le préfet est tué à 21h05). On dira, c'est la famille proche, ils ne risquent rien, leur témoignage ne vaut pas. (A quoi on peut aisément faire observer que les deux disent la même chose, alors qu'ils sont mis dans l'impossibilité de communiquer entre eux et qu'ils ne savent pas encore qu'Yvan est recherché. Par ailleurs, rappelons qu'il faut au moins une heure pour aller de Cargèse à Ajaccio. Il est invraisemblable que l'auteur d'un crime d'Etat se soit mis dans des conditions de temps aussi serrées. Mais ce n'est pas totalement impossible. S'il s'agissait d'un alibi fabriqué, le père et la tante auraient dit 20h30 ou 20h45 plutôt que 20 h.)
Mais il n'y a pas qu'eux : Alex Alessandri, le berger associé d'Yvan affirme que celui-ci était avec lui jusqu'aux environs de 19h le 6 février et qu'il l'a revu dès 5h le lendemain matin pour la traite des chèvres (au moment où Yvan est censé être chez Ferrandi à Ajaccio). Toujours ce matin du 7, Yvan Colonna fait la tournée de livraison du brucciu et plusieurs personnes l'ont donc vu (dont une commerçante d'Ajaccio).
Attentat contre la gendarmerie de Pietrosella (6 septembre 97). On sait que les cargésiens qui ont participé à cet attentat ont quitté Cargèse à 17h.
Or, une jeune femme de Cargèse, Sylvie Cortesi, dit avoir vu Yvan sur la plage après 17h. Leurs enfants se sont amusés ensemble.
Plus significatif encore est le témoignage de Paul Donzella, restaurateur à Cargèse et adversaire politique des Colonna. Antinationaliste, même. Il atteste qu'Yvan est venu le soir du 6 septembre manger une pizza chez lui avec son fils. Pourquoi s'en souvient-il ? Parce que le lendemain, quand il a vu dans les journaux l'attaque de la gendarmerie, il s'est dit en pensant à Yvan, en voilà au moins un qui n'y était pas. Les policiers, les juges d'instruction, la Cour d'assises ont tout fait pour discréditer ce témoignage capital qui démolit tout le scénario de l'accusation.

Les témoignages à charge ne tiennent pas debout parce qu'ils sont contradictoires et qu'ils ont été retirés par leurs auteurs. Seuls les témoignages à décharge sont précis, réitérés et concordants.

samedi 15 mai 2010

L'INNOCENCE D'YVAN COLONNA : FAITS ET ARGUMENTS

L'INNOCENCE D'YVAN COLONNA : FAITS ET ARGUMENTS


PREAMBULE

Dans quelques jours, s'ouvrira le procès des cinq personnes accusées d'avoir aidé Yvan Colonna pendant sa cavale (mai 99 – juillet 2003). Après plusieurs mois de silence, la presse parle à nouveau de cette affaire. Beaucoup d'articles prétendent apporter de nouveaux détails sur la période où Yvan, accusé du meurtre du préfet Erignac, a disparu. Ce qui paraît dans les journaux était déjà connu pour l'essentiel ou ne revêt qu'une importance dérisoire. On apprend  par exemple ainsi qu'Yvan Colonna a subi une échographie dans une clinique de Bastia le 4 mars 2003 à 17 h 37. On admirera la précision du minutage mais on s'interrogera sur son intérêt.
Sur la cavale proprement dite, je crois que mon roman apporte des éléments plus fondamentaux, plus révélateurs du personnage et de sa façon d'agir et parfois plus pittoresques. Mais il est vrai que j'ai puisé à d'autres sources.
J'ai publié « LE ROMAN DE Ghjuvanni STEPHAGESE (clés pour l'affaire Colonna) » voici un an. Il a été lu par des milliers de gens. Beaucoup qui croyaient Yvan Colonna coupable ont avoué avoir été retournés. Mais certains ont estimé qu'un récit romancé relevait de l'imaginaire de l'auteur et n'était donc pas crédible.
Je crois le moment venu de parler au premier degré et de faire la synthèse des principaux éléments qui constituent la trame d'une affaire qui restera une tragédie pour ceux qui en sont les victimes : le préfet Erignac et sa famille ; Yvan Colonna que l'on a condamné à tort à la perpétuité et sa famille. C'est aussi une tragédie pour l'Etat et la République.
J'ai classé par rubriques les faits et les arguments que la longue et minutieuse enquête que j'ai menée m'a permis de rassembler. Je vais les publier ici-même sous forme de feuilleton. Aucun élément n'est décisif à lui tout seul. Mais leur convergence est incontestablement favorable à Yvan Colonna. Aucun de ceux qui connaissent le dossier ne peut l'ignorer.




Comment peut-on croire Yvan Colonna innocent ?
C'est en gros la question que posent systématiquement ceux qui ont mal suivi l'affaire, ont écouté ou lu distraitement des informations de toute façon convergentes, et pensent que, puisqu'il a été été traité publiquement d'assassin par un ministre de l'Intérieur de gauche (J.P.Chevènement) et par un ministre de l'Intérieur de droite (N. Sarkozi), puisqu'il a été condamné en cour d'assises et en cour d'appel, c'est bien qu'il doit être coupable... Les mêmes estiment que la Police, la Justice, malgré quelques erreurs dont l'affaire d'Outreau a montré la possibilité, font grosso modo plutôt bien leur travail. Et puis ce Corse qui agresse ses juges, il n'est pas si sympathique... Quand ses copains l'avaient dénoncé, ils avaient agi sur ce premier mouvement qui est toujours le bon, comme chacun sait. Par la suite, s'ils se sont rétractés, c'est forcément parce que le « clan » Colonna les a convaincus de le faire avec des moyens sans doute peu recommandables.

Pourtant, nous sommes de plus en plus nombreux à penser que l'innocence d'Yvan Colonna est une certitude. Cette certitude s'appuie sur plusieurs séries de raisons fondamentales recueillies dans les accusations des membres du commando et de trois de leurs compagnes, dans les déclarations des témoins, dans la façon dont ont été menés l'enquête, l'instruction et les deux procès, et enfin dans la personnalité de l'accusé.

I - LES ACCUSATIONS

Dans le dossier de l'accusation, il n'y a qu'un seul élément à charge : les déclarations d'une partie des membres du commando2 (pour l'essentiel Maranelli et Alessandri. Quant au chef du commando, Alain Ferrandi, il ne l'a mis en cause qu'indirectement : « ma femme a dit la vérité »), et de trois de leurs compagnes. Le ministère public a affirmé sans trève que ces accusations étaient « précises, réitérées et concordantes ». Ces trois adjectifs ont été pieusement répétés à satiété, surtout le troisième qui est le plus grave s'il est fondé. On peut même dire qu'Yvan Colonna a été condamné sur cet adjectif : « concordantes ». Et en effet, si c'était vrai, ce serait troublant. Mais si la répétition à l'infini d'un mensonge peut en faire une opinion, elle n'en fait pas une vérité.

Les accusations contre Yvan Colonna ne sont pas concordantes, elles sont contradictoires !
Examinons-les.
1 - Et commençons par cette contradiction de taille que le chroniqueur du Figaro, Stéphane Durand-Souffland a rappelée au cours du procès en appel. Elle porte sur ce qui s'est passé le 7 février 99, le lendemain de l'assassinat du préfet Erignac.
Valérie Dupuis est la femme de Maranelli. Le couple habite Cargèse. Elle déclare qu'Yvan Colonna est venu chez eux le 7 février, vers 7h30. Il a amené Didier Maranelli dans la cuisine, ils ont parlé quelques minutes à voix basse puis Yvan est reparti. Après cette entrevue, Maranelli a paru sombre et inquiet.
De son côté, Jeanne, la femme de Ferrandi (le couple habite Ajaccio), déclare que le 6 février, vers 21h30, son mari est rentré chez lui, accompagné d'Alessandri et d'Yvan Colonna. Ils ont tous dormi là et Yvan Colonna est resté le lendemain, 7 février, jusqu'à midi passé.
Stéphane Durand-Soufflant fait observer fort justement qu'Yvan Colonna n'ayant pas le don d'ubiquité, il ne peut pas avoir été en même temps à Cargèse (vers 7h30) et à Ajaccio jusqu'à midi. Même la police a été gênée par cette contradiction. Elle a donc fait modifier les dépositions des deux femmes. Jeanne déclare désormais qu'Yvan est parti de chez elle avant midi. Valérie déclare qu'il est venu chez elle après neuf heures. La contradiction est moins flagrante, elle n'en est pas moins réelle chacun comprenant bien qu'après neuf heures et avant midi, ce n'est pas la même chose. Rappelons aussi que le trajet Cargèse-Ajaccio demande plus d'une heure.
Des contradictions de cette sorte, il y en a bien d'autres.
2 -Déclarations d'Alessandri et de Versini. Elles portent sur l'attaque de la gendarmerie de Pietrosella, le 6 septembre 97. Le commando est divisé en deux groupes A et B. Alessandri est dans l'un, Versini dans l'autre. Ils affirment (ils sont les seuls à le faire) que Colonna faisait partie de l'expédition. Chacun d'eux dit qu'Yvan était dans l'autre groupe que le sien. Il n'était pas dans le groupe A ; il n'était pas dans le groupe B. Où était-il donc ? Tout à l'heure, il avait le don d'ubiquité ; voilà qu'il est aussi invisible !
3 – Les réunions préparatoires : L'équipe se réunit à plusieurs reprises ici ou là pour préparer l'assassinat du préfet. Ils racontent tous que ces réunions ont lieu tantôt dans la distillerie d'Alessandri à Cargèse, tantôt dans la charcuterie de Versini à Cristinacce, tantôt au garage Hertz de l'aéroport dirigé par Ferrandi. Seul, Maranelli dit que certaines ont eu lieu à Cargèse dans la propriété des Colonna. C'est pourtant un détail mémorable puisqu'il s'agit du domicile du « tueur ».
4 – Maranelli affirme que, la veille du crime, il est allé en voiture avec Alessandri et Colonna faire une tournée de reconnaissance dans Ajaccio. Il raconte encore qu'à un feu rouge, Place Abatucci, leur voiture a été heurtée à l'arrière par une voiture dont la conductrice, Valérie Mariani, téléphonait en conduisant. Interrogée par la suite au sujet de cet accrochage, Valérie Mariani dit qu'elle est descendue de voiture pour le constat. Dans l'autre voiture, il y avait une seule personne : le chauffeur, Alessandri. Maranelli aurait donc menti.
5 – L'arme du crime : Maranelli (encore lui !) affirme que, dans l'après-midi du 6 février, il a con-duit en voiture Yvan Colonna « à une certaine adresse » dans Ajaccio. Là, « quelqu'un » remet à Colonna l'arme du crime.
De son côté, Alessandri déclare que le commando s'est retrouvé vers 18 heures au hangar de Baleone (qui appartient au garage Hertz) près de l'aéroport. Là, ce serait lui qui aurait remis l'arme du crime à Colonna.
Quelle étrange contradiction s'agissant d'un détail aussi important.
6 – Quant au crime proprement dit, le récit qu'en fait Alessandri apparaît surréaliste même s'il n'est pas à proprement parler contradictoire. Ils seraient donc trois : Ferrandi, le chef ; Colonna, le tueur et lui, Alessandri. Ils sont en train de descendre la rue Colonel Colonna d'Ornano. Alessandri est en avant. Ils croisent le préfet qui monte vers le théâtre. Alessandri continue d'avancer sans se retourner. Il entend les coups de feu. C'est seulement maintenant qu'il se retourne et voit le préfet à terre. Or, il y a eu cinq coups de feu. Entre le troisième et le quatrième, l'arme s'est enrayée. Le tueur a tapé sur la crosse, extrait le chargeur et réarmé. Tout cela représente une durée relativement longue. Le moins qu'on puisse dire c'est que les temps de latence d'Alessandri sont singulièrement lents. Ils lui permettent en tout cas de n'avoir rien à dire sur le moment-clé du drame. Il était là, mais il n'a rien vu ! Quant à Ferrandi, il refuse de donner le moindre détail : c'est le meilleur moyen de ne pas se couper. Ils peuvent donner un élément capital : le nom du tueur. Mais ils sont muets sur les broutilles ! Quels sont donc les « détails » révélateurs qu'il s'agit de cacher à tout prix ?

La moindre de ces contradictions aurait dû inquiéter les enquêteurs et les magistrats instructeurs. leur addition aurait dû montrer que le dossier ne reposait que sur des accusations non pas concordantes mais fantaisistes. Tout aurait dû conduire à la relaxe.

A suivre... Demain : « Les Témoignages »