vendredi 20 mai 2011

AFFAIRE DSK : LE POIDS DES MOTS

En préalable : je n'ai pas d'intérêts dans la maison Strauss-Kahn et je n'aurais vraisemblablement pas voté pour lui au premier tour de la présidentielles.

Le problème avec la presse, c'est qu'elle n'est jamais échaudée. Elle retombe toujours dans les mêmes bouilloires. Tout en jurant ses grands dieux qu'on ne l'y reprendra plus. Et si elle rappelle l'affaire Baudis, c'est pour n'en tirer aucun enseignement.
Dans l'affaire DSK, hormis les premiers intéressés, personne ne sait ce qui s'est réellement passé ni même s'il s'est passé quelque chose. La simple prudence, la déontologie, le respect humain voudraient donc qu'on ne tire aucune conclusion, aucun enseignement tant que des faits patents ne sont pas avérés. Or, la quantité des commentaires est inversement proportionnelle à la somme des certitudes.
Le comble, c'est qu'on voit monter au créneau de l'indignation des groupes et des gens qui protestent contre le fait que la "victime" et sa "souffrance" seraient oubliées. Elles le seraient parce que dans une société machiste on préférerait plaindre le satyre plutôt que la bergère. L'accusation est grave et mérite d'être examinée.

Nous avons d'un côté un homme riche, célèbre, qui occupe une position éminente dans le monde et à qui l'avenir promet des lendemains encore plus brillants. Cet homme perd tout en quelques heures, sa position sociale, sa carrière politique et son honneur. Il était au Capitole. Le voilà précipité dans la boue depuis la roche tarpéïenne. Ou sur le fumier de Job, comme on voudra selon la mythologie à laquelle on préfèrera se référer. Il est juste de dire qu'avant d'avoir été reconnu coupable par un tribunal, cet homme-là a déjà été très durement sanctionné. Et si, au bout du compte, il était reconnu innocent, comment la société lui rendrait-elle ce qu'elle lui aurait injustement pris ? Deuxième point. On ne s'intéresserait qu'au violeur et pas à sa victime. Mais d'une part, pour l'instant, la "victime" n'est qu'une bouche anonyme dont on ne sait rien sinon ce qu'en disent unilatéralement ses défenseurs. Elle est loin d'avoir démontré que son accusation est fondée. Si elle y réussit un jour, c'est elle que nous plaindrons et son bourreau que nous vomirons. A ce moment-là et à ce moment-là seulement, nous pourrons le faire l'âme en paix et la conscience tranquille. Toute prise de position, aujourd'hui, en sa faveur relèverait du préjugé ou de la voyance extralucide. D'autre part, l'immense majorité des commentaires, n'est qu'un glose jusqu'à la nausée sur l'addiction de DSK envers les femmes et le sexe. Ce qui revient à établir implicitement la déduction suivante : DSK aime trop les femmes donc il est un violeur. Donc il est coupable.
Deux faits découlent de ce qui précède. L'un touche au vocabulaire employé. L'autre à un silence béant.
Les mots d'abord. Si on parle de la femme de chambre du Sofitel, Nifissatou Diallo, on la désigne presque systématiquement par un mot : "La victime". Qui ne comprend que ce mot contient déjà la condamnation de l'accusé ? Oh, certes, au détour d'une phrase, on se donnera les gants de l'impartialité en invoquant la présomption d'innocence. Mais ce n'est manifestement qu'une clause de style, une formule vide de sens et de portée. Le seul mot neutre qu'on devrait utiliser, pour l'instant, c'est "La plaignante". La jeune guinéenne est une plaignante qui accuse l'ancien directeur du F.M.I. de l'avoir violentée dans la chambre d'un hôtel de luxe. On est certain que la plainte existe. Mais, on a deux versions de deux personnes. La première accuse. La deuxième affirme son innocence. Forcément, l'une ment, l'autre dit vrai. Aucun des commentateurs ne peut affirmer à coup sûr, ici est la vérité, là est le mensonge sans tomber dans l'insignifiance des cafés du commerce.
Mais si on admet que les deux plaideurs sont encore, dans l'état actuel de l'information, à égalité devant le tribunal de l'opinion, puisque c'est parole contre parole, on est bien obligé d'admettre qu'il faut envisager, tour à tour les DEUX cas de figure selon lesquels chacun dirait la vérité.

Premier cas, la plaignante dit la vérité. DSK est alors un criminel, sorte de docteur Jekyll et Mister Hide, grand économiste le jour et satyre psychopathe la nuit. A l'appui de cette hypothèse : tout ce qui traîne contre lui sur son addiction aux femmes et quelques affaires suspectes. Il aurait donc franchi la frontière entre sexualité galopante et crime sexuel. Plus le temps passe et moins il maîtriserait ses pulsions. A quelques jours de déclarer sa candidature pour la présidentielle française, et malgré sa crainte d'être victime de ce qu'il sait être l'un de ses talons d'Achille, il aurait couru le risque du déshonneur ne résistant pas à la présence d'une femme de chambre qu'il aurait contrainte à une fellation en l'enfermant dans une salle de bains. Mais après l'avoir satisfait, elle lui aurait échappé et se serait enfuie. Elle se serait plainte auprès de ses collègues qui auraient appelé la police. Si ce scénario est avéré, DSK mérite ce qui lui arrive et Nafissatou Diallo que son patron couvre d'éloges a droit à toute notre compassion.
Deuxième cas. DSK est de bonne foi quand il affirme son innocence. Dans ce cas, il a subi un préjudice incommensurable. Et celle qui l'accuse est une criminelle. Mais dans ce cas de figure, on ne peut pas se contenter de formuler une hypothèse. Si DSK est calomnié, pourquoi ? A qui profiterait le crime ? Il faudrait imaginer ici plusieurs scénarios plus ou moins complexes. Le plus simple impliquera une jeune et jolie -nous dit-on -femme de milieu modeste qui aura vu là l'occasion de faire chanter un pigeon de haut vol et d'en tirer des sommes substantielles. Elle pourrait avoir été aidée dans la conception d'un piège tendu à un client habituel, archicélèbre et connu pour sa vie sexuelle débridée, par cet homme qui s'est présenté un temps comme son "frère" et qui s'est révélé ne pas l'être. Cette explication est peu vraisemblable mais pas impossible. On peut imaginer aussi que DSK est tombé, victime de gens qui n'avaient pas envie de le retrouver comme candidat en France et ont utilisé le décor de cet hôtel appartenant à une chaîne française pour faire tomber dans le traquenard de ses pulsions cet homme vulnérable. On aurait ainsi déclenché contre lui le feu nucléaire annoncé. Mais on peut imaginer tout aussi bien qu'il est tombé sous les coups de gens que sa politique ou sa présence à la tête du FMI dérangeait considérablement. Il y aurait donc bien complot.
Complot ? La mode médiatique, aujourd'hui, est à considérer que les complots n'existent que dans les têtes fumeuses. L'affaire Baudis ou l'affaire Boulin et tant d'autres encore, sont là pour montrer le contraire, mais rien n'y fait.
Et pourtant, il y a dans cette affaire DSK un certain nombre d'indices, matériels ou non qui ne permettent pas d'évacuer l'hypothèse d'un revers de main. Ainsi, par exemple : il est peu vraisemblable qu'un homme dans la position de DSK et au moment où il est, et qui plus est, un homme qui s'attend à un coup monté utilisant sa faiblesse à l'égard des femmes, se laisse aller à ce type d'agissements criminel. On n'a publié jusqu'ici que des rumeurs qui ne peuvent venir que des milieux de l'enquête, du Sofitel ou de l'entourage de la plaignante. Voyons-en quelques unes. On nous a dit que la suite du Sofitel coûtait la bagatelle de 3000 $ puis la somme s'est dégonflée pour retomber aux alentours de 500$. La différence est notable. On nous a donné un certains nombre de faits qui laissaient imaginer la fuite précipitée d'un coupable qui court se réfugier dans les bras de la mère-patrie : il oublie son téléphone portable et des effets personnels dans sa chambre d'hôtel ; on le retrouve dans un avion en partance pour la France et on l'arrête dix minutes avant son départ. Mais on découvre, au bout du compte que, loin de partir dans l'affolement du forfait accompli, DSK est sorti de sa chambre avec ses bagages, il est allé à la réception payer sa chambre, une française qui le rencontre (la malheureuse ne sait pas quel risque elle a couru !) parle d'un homme qui quitte tranquillement son hôtel ; ensuite il va au restaurant déjeuner avec sa fille ; il rejoint l'aéroport pour prendre un avion dans lequel une place est réservée depuis longtemps. Entre temps, il s'est aperçu qu'il a égaré l'un de ses téléphones portables et il téléphone à l'hôtel afin qu'on vérifie s'il n'est pas resté dans sa chambre ; il dit qu'il va à l'aéroport pour qu'on puisse le lui apporter là-bas. Voilà donc un fuyard bien peu inquiet des traces qu'il laisse derrière lui. Quant au téléphone, il me semble avoir lu qu'il n'était pas à l'hôtel. On nous a dit aussi que sur le chemin de l'aéroport, DSK aurait téléphoné à son épouse pour lui dire que « quelque chose de grave venait de se passer ». Comment le sait-on ? Imagine-t-on Anne Sinclair livrant à la presse ce type d'information ? Quelque temps plus tard cette rumeur se dégonfle à son tour. On notera toutefois la similitude de l'expression prêtée à DSK censé appeler sa femme au secours et celle que rapporte le "frère" de la plaignante évoquant l'appel de sa "soeur". Voilà donc des détails livrés au public qui ont deux caractéristiques communes : ils se révèlent erronés et ils visent tous à donner une image négative de DSK. Parallèlement, on nous donne de la plaignante une image la plus positive possible. C'est une belle jeune femme de 32 ans, grande (1 m 80), courageuse, travailleuse, elle élève sa fille de 15 ans. La direction de l'hôtel, manifestement très attachée à ses employés, fussent-ils les plus modestes, la défend contre l'un de ses clients habituels, un homme puissant et riche. C'est tout à son honneur. Son "frère" à qui elle téléphone en plein désarroi et en larmes la dépeint comme une bonne musulmane bien incapable de mentir et de participer à un complot. C'est même lui qui est censé lui apprendre - le lendemain - qui était son agresseur. Et la preuve qu'elle dit vrai est suggérée par les caméras de surveillance qui la montrent sortant, affolée de la chambre occupée par DSK. Et puis, on apprend qu'il n'y a pas de caméras de surveillance dans les couloirs de l'hôtel. Sans commentaire ! On constate donc que beaucoup de ces rumeurs qui ont filtré se dégonflent les unes après les autres ou sont invraisemblables : la scène de violence sexuelle qui nous est décrite est-elle vraisemblable dans les détails qui sont donnés ? Cette grande femme de trente ans a-t-elle pu se laisser contraindre par ce sexagénaire quelque peu bedonnant et désarmé ?
Bref, la matérialité des faits connus à ce jour n'accable pas DSK autant qu'on le dit (au prix d'un véritable terrorisme intellectuel). Ils ne le disculpent pas pour autant. Il est donc bien urgent d'attendre que les choses se clarifient. Et si on veut explorer la piste de la sexualité de DSK, il serait juste d'explorer aussi celle d'une machination dont les motivations sont multiples et bien possibles.
Il serait donc juste aussi d'utiliser les mots neutres qui conviennent - la plaignante, l'accusé - et non des mots - la victime, le coupable - qui contiennent implicitement les réponses aux questions qu'on a fait mine de ne pas poser.

Un dernier mot. On profite de ce scandale pour faire amende honorable devant la tradition journalistique anglo-saxonne qui aurait le courage d'entrer dans les chambres à coucher. Beau courage,en effet ! Le puritanisme a bon dos. Je renvoie aux Sorcières de Salem. tout y est dit. Un ouvrage récent évoque le retour de la pudibonderie. Notre monde, sous ses airs délurés a la haine du corps. Il est en cela l'héritier de ces sociétés monothéistes qui ont fait du sexe - pour des raisons qui n'ont rien à voir avec la morale - le péché majeur. Cela permet de faire oublier, grâce aux émois de Tartuffe ("cachez ce sein que je ne saurais voir"), des crapuleries autrement conséquentes que l'adultère ou la grivoiserie s'ils sont pratiqués entre adultes consentants.

jeudi 19 mai 2011

Yvan COLONNA, D.S.K. et la présomption d'innocence

Beaucoup de bonnes âmes se répandent sur les antennes pour demander le respect de la présomption d'innocence pour D.S.K. Elles le font après avoir bien développé tout ce qui incline à la présomption de culpabilité. On peut se dire que, pour beaucoup d'entre elles, elles sont aussi sincères dans cette prière que Tartuffe lançant son fameux "Cachez ce sein que je ne saurais voir".
Et pourtant, D.S.K. a bien droit à la présomption d'innocence. Comme n'importe qui. Comme Yvan Colonna, par exemple. Et l'on eût aimé que beaucoup de ces hiérarques du P.S., par exemple, sachent la réclamer en son temps pour le berger de Cargèse. Et qu'ils sachent donc aussi faire taire les propos calamiteux du ministre de l'intérieur de l'époque, Jean-Pierre Chevènement.
Observons aussi qu'on peut  se réclamer du respect de la présomption d'innocence et  agir au rebours de ce principe. L'affaire D.S.K., dans ce qu'elle a de si intensément actuel et de si lourd quant aux multiples conséquences du scandale en est la démonstration lumineuse.   Laissons de côté les verseurs politiques de larmes de crocodile dont la satisfaction et l'intérêt sont si manifestes qu'il est inutile de leur faire un sort. Examinons plutôt, du côté des comportements médiatiques, ce qui apparaît de leurs caractéristiques au grand jour.
Jusqu'ici (lundi 16 mai à 14 heures), on n'a de cette histoire qui implique deux personnes (la victime auto-proclamée et l'accusé) qu'une version unilatérale et parcellaire. C'est celle qui émane des bribes d'information collectées ( à quelle source ?) par des médias américains. Nous ne connaissons pas la réalité exhaustive de l'accusation formulée par la femme de chambre du Sofitel. Nous n'en avons que des échos partiels, incertains et déformés par la rumeur. Même chose pour les premiers éléments de l'enquête. De la version de D.S.K. et de sa défense, nous ne savons rien sinon qu'il va plaider non coupable et qu'il compte se défendre "vigoureusement". Là-dessus, que font nos journalistes (et je regrette beaucoup que ceux de Médiapart ne fassent pas exception) ?
De peur d'être en retard d'une bataille, ils traitent l'événement "à chaud" et répandent aussitôt et à satiété tous les bruits qui courent sans aucune distance ni retenue. Première caractéristique. 
Pour faire bonne mesure, ils bâtissent aussitôt des constructions chimériques sur ce qui devrait se passer dans un mois, dans un an et au delà. Un bon journaliste se doit de prédire l'avenir. Deuxième caractéristique. 
Ils utilisent pour cela des formules qui n'ont que l'apparence de la prudence et de l'impartialité. Troisième caractéristique. Arrêtons-nous un instant sur ce point. La dite information "à chaud" n'est rien moins qu'impartiale. Ce qui est mis en valeur, c'est tout ce qui concourt à la thèse de la culpabilité et - cela a été dit et redit - du comportement pathologique. On "oublie" systématiquement ce qui pourrait laisser penser à un piège dans lequel on aurait fait tomber le candidat possible à la présidentielle française ou le directeur du FMI. On "oublie" donc de s'interroger à qui pourrait bien profiter la machination si machination il y avait. En revanche, on a répété inlassablement les éléments propagés (par qui ?) pour suggérer la fuite précipitée du coupable affolé. Jamais on ne s'interroge sur le vraisemblable ou l'invraisemblable de cette fuite. On finit par faire une place - dérisoire - aux informations pourtant plus consistantes : la place d'avion était réservée depuis longtemps ; D.S.K. s'en va sereinement du Sofitel, il paye sa chambre - 500 dollars (au fait, pourquoi avait-on parlé de suite à 3000 dollars ? au fait, encore, comment se fait-il que le personnel de l'hôtel qui est censé avoir appelé la police dès que la femme de chambre a échappé aux griffes du satyre ait laissé le dit satyre quitter tranquillement les lieux ?) ; le même D.S.K. appelle lui-même l'hôtel pour demander s'il n'a pas oublié l'un de ses téléphones et il indique où le lui porter... Voilà un drôle de fuyard. On pourrait s'interroger aussi sur ce patron de grand hôtel de luxe qui prend résolument le parti d'une femme de chambre contre un client de cette importance. On ne s'attendait pas de sa part à un tel altruisme pour les petites gens. Et encore moins de la part du groupe ACCOR (le groupe français propriétaire de l'hôtel. Au fait, ses gros actionnaires sont-ils membres du Premier cercle ?) qui se fend d'un communiqué en faveur d'une obscure employée de New-York... Voilà donc des patrons bien sociaux. 
On pourrait multiplier les incohérences qui n'intéressent pas la presse. Elle préfère écrire "C'est une bombe si la gravité des faits est confirmée" là où on aurait pu écrire tout aussi bien : "C'est une bombe s'il s'avère qu'un complot a été mis en place pour abattre D.S.K.".
Mais ce n'est pas tout. On s'en va, avec dévotion, proclamant que c'est à la justice américaine "d'établir les faits et de faire émerger la vérité". Autrement dit la justice américaine (puisqu'elle est la justice et américaine) est au-dessus de tout soupçon. Il n'y a pas eu d'affaire Kennedy, il n'y a aucun innocent dans les couloirs de la mort... Cette Amérique-là, n'a jamais fait croire à la terre entière qu'elle était menacée par les armes de destruction massive de Sadam Hussein dont l'armée était prétendument la quatrième du monde.
D.S.K. a des antécédents fâcheux ? Peut-être. Mais les USA ?
Alors, attendons d'avoir entendu toutes les versions et qu'on donne à chacune la même place. Mais comment l'espérer ? La culpabilité de DSK est tellement plus croustillante et commercialement intéressante que son innocence.
 
C'était la même chose pour Yvan Colonna. L'amère expérience de celui-ci montre que le mensonge répandu, il faut beaucoup de courage et d'efforts pour rétablir la vérité. 
 
 

Lettre à Christian Cavaillé

GRAVITES

de Christian CAVAILLE

Ed. l'Harmattan



Il m'a fallu du temps pour entrer dans "Gravités". Plus en tout cas que pour "Instances accrues".
J'ai sans doute été gêné par le brio de la performance stylistique comme si la forme éblouissait le regard et le rendait aveugle à l'essentiel.
Ah funambule, illusionniste, magicien ! Batteur de cartes, brouilleur de pistes ! Craignais-tu donc tant que l'on te suive dans tes labyrinthes : jusqu'au point où l'on est nu devant son propre miroir ? Produiras-tu jusqu'à la fin des tragédies en forme de comédies musicales ? Est-ce une autre façon de te moquer de toi-même, de voiler le fond tragique - réellement - par l'éclat, la pirouette, la jonglerie facétieuse ?
Tu fuis les lignes droites, les perspectives rectilignes, les périodes, les symétries... Vite, vite, tu multiplies les brisures, les tournants, les chausse-trapes du sens et du reflet, tu agences, coudes et casses le phrasé, tu reviens sur tes pas, sautes à pieds joints pour tromper l'éventuel impudent qui voudrait te prendre en filature, changes de rive sans les pierres du gué, sautes périlleusement par-dessus les feux de l'intelligence, les étincelles, poursuis les météores : voleur de feu qui voudrait faire croire qu'il n'est question que d'allumettes là où le volcan est embrasé.
Quand d'autres ornementent les ornières, tu aggraves l'humour noir des tracés, des traces plutôt, pour faire croire que le pas fut léger qui faisait mine de n'aller nulle part, ce pas, pourtant qui va là. 
Là où "il s'évertue dans le vice des formes
            à circonvenir l'attrait du néant".
Là où, la vague ayant emporté les armures, se trouvent "les mots nus".
Il faut lire tes vers sous les couches d'oubli, franchir l'entrelacs grillagé des virtuosités formelles, franchir les barres et les abrupts jusqu'à trouver la plage blanche de sable, la clairière où chante l'oiseau, laisser se taire les stridences des ruptures et des dissonances : on y trouve en récompense le chant profond.
Tu chantes pour dire le temps, ses merveilles et ses sanglots. 
Tu craignais d'avoir l'air de te prendre au sérieux. Et sous ce faux-semblant d'excuses et d'humilité, tu dis la musique du monde, le frémissement du soi. Ton "geste la sauve de la mort sûre", cette "petite voix blanche". Sous le jeu pervers de la forme qui, à ce point, devient alors, elle aussi, poésie pure, chose délicate et fragile, si fragile qu'on en tremble, (exactement comme chez Soulages la plaque de cuivre n'est plus le support anonyme du sujet gravé mais devient le sujet même du graveur), tu parviens à dire le fond de l'émoi, comme par hasard, par accident, comme malgré toi, sans y penser. Et c'est là, une suprême élégance. Dans ces gravités légères se cachent les points d'équilibre.
Ah oui ! il "importe" d' "aller savoir".
LE LIVRE QUI FAIT LE POINT SUR L'AFFAIRE COLONNA

YVAN COLONNA :
L'INNOCENCE QUI DÉRANGE
L'Harmattan, fin avril 2011

27 mars 2009 : la Cour d'appel spéciale condamne Yvan Colonna à la réclusion criminelle à perpétuité assortie de la peine de sûreté de 22 ans.
30 juin 2010 : la Cour de cassation annule cet arrêt.
Un troisième et dernier procès est donc rendu nécessaire. Il débutera à Paris le 2 mai prochain. Les enjeux sont considérables pour les personnes concernées mais aussi pour le fonctionnement des institutions de la République.

La Fédération Internationale des Droits de l'Homme (FIDH) s'était étonnée que la Cour d'assise spécialement composée ait demandé à l'accusé de prouver son innocence alors qu'en droit, c'est à l'accusation de démontrer la culpabilité. Elle s'était étonnée aussi que le doute n'ait pas bénéficié à l'accusé puisqu'aucune preuve n'avait pu être apportée contre lui. Elle s'était même interrogée sur le fait qu'un dossier d'accusation avec des charges aussi fragiles ait conduit Yvan Colonna devant une cour de justice.

Bref, la question reste dramatiquement posée : Yvan Colonna est-il l'assassin du préfet Erignac ? Si oui, il mérite la peine maximale qui lui a été infligée. Ou bien a-t-il été injustement accusé et injustement condamné à partir d'une enquête et d'une instruction menées uniquement à charge ? Si oui, il est victime d'un dysfonctionnement de la justice antiterroriste et l'affaire Colonna devient une affaire d'Etat.

Roland LAURETTE est l'un des meilleurs connaisseurs actuels de cette affaire. Il a déjà publié en 2009 chez l'Harmattan
LE ROMAN DE Ghjuvanni STEPHAGESE
clés pour l'affaire Colonna
Sous le couvert de la fiction, on peut y vivre de l'intérieur la tragédie d'un homme et de sa famille.

A l'orée du troisième procès, il publie un nouvel ouvrage écrit cette fois au premier degré :
YVAN COLONNA :
L'INNOCENCE QUI DÉRANGE
sortie fin avril 2011
Il y fait le point et démonte le terrible mécanisme qui peut conduire aujourd'hui, en France, un innocent à être condamné à la peine la plus lourde prévue par le code pénal. Sa connaissance de l'affaire due à une documentation considérable et à une enquête minutieuse lui permettent de dire les faits dans leur nudité. Leur concordance en faveur de l'accusé est telle que même l'avocat de la famille Erignac a fini par évoquer « l'apparente innocence » d'Yvan Colonna. L'aveu est de taille dans la bouche de quelqu'un qui n'avait parlé jusqu'ici que de « preuves accablantes ».
Ce qui est accablant c'est la condamnation sans appel de la FIDH : « Le procès Colonna a été une parfaite illustration des dérives que permet la législation antiterroriste en France ».

YVAN COLONNA : LE PUZZLE

YVAN COLONNA : LE PUZZLE

Les témoins oculaires se succèdent désormais à la barre. C'est un mauvais moment à passer pour l'accusation. Leur diversité est telle (origine, profession...) qu'il est inimaginable que leur témoignage pourrait avoir été obtenu par des moyens inavouables. Ils vont tous dans le même sens : TOUS sont favorables à Yvan Colonna. Il y a ceux qui n'ont pas vu le crime d'assez prêt pour décrire des visages. Ceux-là parlent de deux hommes autour du préfet. La police a besoin de trois pour pouvoir caser Colonna.
Et puis, il y a ceux qui ont vu avec plus de précision. Leurs témoignages sont capitaux. Ceux-là disent explicitement : le tueur que nous avons vu n'était pas Yvan Colonna. Ici, une remarque importante. Ces témoins ne disent pas : je ne reconnais pas... Ils disent : ce n'est pas... La nuance est de taille. La première formule peut indiquer qu'on a oublié, que les choses sont devenues floues. La seconde affirme : je me souviens du visage que j'ai vu ; ce n'est pas celui de Colonna. Il y a malheureusement des journalistes pour faire comme si c'était du pareil au même. Il en est même qui osent écrire : "Aucun des témoins n'a formellement reconnu Yvan Colonna". Cette formulation (malhonnête ? ou venant de quelqu'un qui maîtrise mal la langue ?) laisse entendre que la balance penche plutôt en faveur de l'identification mais que les témoins n'en sont pas tout à fait certains. Alors que la réalité dit exactement le contraire. C'est avec de telles formulations qu'on a forgé dans une partie de l'opinion l'idée que ce Colonna, il est très vraisemblablement coupable. 
Mais laissons ces gens-là régler leurs propres démêlés avec la déontologie du journalisme. Et intéressons-nous à Joseph Colombani. 
Joseph Colombani était, rappelons-le, l'organisateur du concert auquel se rendait le préfet, l'ami de ce même préfet, responsable départemental de l'UMP et bras droit du président de l'exécutif corse. Autant dire un homme qu'on ne peut pas soupçonner d'avoir été soudoyé par la défense. Depuis le premier procès son témoignage n'a pas varié. Il est extrêmement précis et il est l'un de ceux qui affirment : l'assassin que j'ai vu n'est pas Yvan Colonna. Mais, cette fois-ci, son témoignage prend un relief particulier. Pourquoi ?
La veille, le lundi 9 octobre, venait à la barre M. Schlinger, expert en balistique auprès de la Cour d'appel de Paris et de la Cour de cassation. Un homme difficilement contestable. Or, au cours du procès en première instance (novembre et décembre 2007), l'accusation s'était tiré une balle dans le pied, si on ose dire, en posant à un autre expert la question de la taille du tireur. La réponse avait été : le tireur était nécessairement au moins aussi grand que la victime (1 m 83). Ce détail disculpait Colonna (1 M 71). Ce point était si brûlant qu'au cours du premier procès en appel, l'expert produit par la défense avait été l'objet d'attaques en règle et de manoeuvres (illégales) destinées à le  discréditer. Tout cela était si grave, que la Cour de Cassation s'est appuyée sur ce point pour annuler l'arrêt de la cour d'appel. 
C'est dire si le rapport de M.Schlinger était attendu. Que dit ce rapport (on peut le lire dans son intégralité sur le site des comités de soutien d'Yvan Colonna)? Que les angles des trois tirs qui ont atteint Claude Erignac et dont chacun était mortel, dépendent de trois paramètres : la taille du tireur et la déclivité du terrain, la position de la victime, la distance de tir. Trois balles (A, B et C) traversent le crâne du préfet. On ne peut rien affirmer quant à leur ordre chronologique mais l'expert estime que la balle A est vraisemblablement la dernière. Cette balle peut avoir été tirée par un homme de 1 m 70 et plus. Pour les deux autres ( B et C), la probabilité milite en faveur d'un homme mesurant au moins 1 m 80. Et plus la distance de tir est grande, plus le tireur doit être grand. C'est d'autant plus vrai si cette distance est de 70 cm au moins.
L'accusation, lundi soir, exultait. Elle pensait que la question de la taille du tueur avait fait long feu puisque l'expert commis par la défense n'excluait pas totalement une taille de 1 m 70. Yvan Colonna redevenait un assassin possible : il était donc le tueur ! 
 
Hélas pour l'accusation, un dossier comme celui-ci est un véritable puzzle. Aucune pièce ne se suffit à elle-même. Mais c'est leur assemblage dans le bon ordre qui donne le sens et la solution.
La pièce du puzzle qu'il faut accoler au rapport d'expertise balistique est précisément le témoignage de Joseph Colombani. (On verra d'ailleurs que celui de Marie-Ange Contart est un autre élément complémentaire sur la question de la distance de tir et celle du nombre des assassins auprès du préfet). Le déroulement de la scène de meurtre que décrit l'ami du préfet confirme d'abord que l'expert ne se trompe pas quand il estime que le tir A est le troisième ( à bout touchant). Il indique ensuite que les tirs A et B  ont été effectués à une distance qu'on peut évaluer à au moins 70 cm. Et voilà comment la taille du tueur que l'accusation et les parties civiles croyaient évacuées revient au premier plan. Si on ajoute les témoins qui ont vu un tueur de grande taille, tout cela fait un tout très cohérent : la taille d'Yvan Colonna exclut qu'il soit l'assassin.
J'utilise ici une formule catégorique. Je le fais d'autant plus volontiers que chaque fois qu'on a évoqué la taille du tueur, devant moi, au cours de l'une des conférences-débats que j'ai animées, j'ai refusé d'accorder une trop grande importance à cet argument. Je savais en effet que Joseph Colombani décrivait une victime cassée vers l'avant au moment où elle est atteinte par le premier tir. Sa position me faisait penser que, dans ce cas,  le paramètre de la taille du tireur avait peu d'importance. J'avais tort. Le rapport de M.Schlinger montre avec quelle méticulosité tous les éléments ont été pris en compte.  Même si le préfet était penché en avant, l'angle de tir et la distance (indiquées par les témoignages oculaires) impliquent un tireur plus grand qu'Yvan Colonna.
J'ai rappelé au début de ce billet que les témoins les plus imprécis ne parlent que de DEUX hommes sur les lieux. L'accusation et les parties civiles se sont évertuées à leur faire dire qu'ils ne pouvaient pas exlure que le troisième pouvait être caché dans une partie invisible. Certes, qui pourrait affirmer que Ben Laden n'était pas caché dans une cave à proximité puisque nul ne l'a vu ? Cet argument est un peu surprenant. Car si le troisième homme était opérationnel, il était forcément sur place et quelqu'un l'aurait aperçu. Alors, on dit, il était derrière l'angle du restaurant qui donne sur l'impasse et Joseph Colombani ne pouvait pas l'apercevoir. Sans doute. Mais si on tient compte du fait que si Colombani prenait la rue en enfilade et ne pouvait pas voir le début de l'impasse, Marie-Ange Contart, elle, voyait parfaitement ce début d'impasse. On ne voit donc pas où se trouvait ce troisième homme. 
Un puzzle, on vous dit... Et la figure qui se dessine peu à peu sous nos yeux est bien celle de l'innocence.
Roland LAURETTE
"Yvan Colonna, l'innocence qui dérange" l'Harmattan, fin avril 2011.