vendredi 20 mai 2011

AFFAIRE DSK : LE POIDS DES MOTS

En préalable : je n'ai pas d'intérêts dans la maison Strauss-Kahn et je n'aurais vraisemblablement pas voté pour lui au premier tour de la présidentielles.

Le problème avec la presse, c'est qu'elle n'est jamais échaudée. Elle retombe toujours dans les mêmes bouilloires. Tout en jurant ses grands dieux qu'on ne l'y reprendra plus. Et si elle rappelle l'affaire Baudis, c'est pour n'en tirer aucun enseignement.
Dans l'affaire DSK, hormis les premiers intéressés, personne ne sait ce qui s'est réellement passé ni même s'il s'est passé quelque chose. La simple prudence, la déontologie, le respect humain voudraient donc qu'on ne tire aucune conclusion, aucun enseignement tant que des faits patents ne sont pas avérés. Or, la quantité des commentaires est inversement proportionnelle à la somme des certitudes.
Le comble, c'est qu'on voit monter au créneau de l'indignation des groupes et des gens qui protestent contre le fait que la "victime" et sa "souffrance" seraient oubliées. Elles le seraient parce que dans une société machiste on préférerait plaindre le satyre plutôt que la bergère. L'accusation est grave et mérite d'être examinée.

Nous avons d'un côté un homme riche, célèbre, qui occupe une position éminente dans le monde et à qui l'avenir promet des lendemains encore plus brillants. Cet homme perd tout en quelques heures, sa position sociale, sa carrière politique et son honneur. Il était au Capitole. Le voilà précipité dans la boue depuis la roche tarpéïenne. Ou sur le fumier de Job, comme on voudra selon la mythologie à laquelle on préfèrera se référer. Il est juste de dire qu'avant d'avoir été reconnu coupable par un tribunal, cet homme-là a déjà été très durement sanctionné. Et si, au bout du compte, il était reconnu innocent, comment la société lui rendrait-elle ce qu'elle lui aurait injustement pris ? Deuxième point. On ne s'intéresserait qu'au violeur et pas à sa victime. Mais d'une part, pour l'instant, la "victime" n'est qu'une bouche anonyme dont on ne sait rien sinon ce qu'en disent unilatéralement ses défenseurs. Elle est loin d'avoir démontré que son accusation est fondée. Si elle y réussit un jour, c'est elle que nous plaindrons et son bourreau que nous vomirons. A ce moment-là et à ce moment-là seulement, nous pourrons le faire l'âme en paix et la conscience tranquille. Toute prise de position, aujourd'hui, en sa faveur relèverait du préjugé ou de la voyance extralucide. D'autre part, l'immense majorité des commentaires, n'est qu'un glose jusqu'à la nausée sur l'addiction de DSK envers les femmes et le sexe. Ce qui revient à établir implicitement la déduction suivante : DSK aime trop les femmes donc il est un violeur. Donc il est coupable.
Deux faits découlent de ce qui précède. L'un touche au vocabulaire employé. L'autre à un silence béant.
Les mots d'abord. Si on parle de la femme de chambre du Sofitel, Nifissatou Diallo, on la désigne presque systématiquement par un mot : "La victime". Qui ne comprend que ce mot contient déjà la condamnation de l'accusé ? Oh, certes, au détour d'une phrase, on se donnera les gants de l'impartialité en invoquant la présomption d'innocence. Mais ce n'est manifestement qu'une clause de style, une formule vide de sens et de portée. Le seul mot neutre qu'on devrait utiliser, pour l'instant, c'est "La plaignante". La jeune guinéenne est une plaignante qui accuse l'ancien directeur du F.M.I. de l'avoir violentée dans la chambre d'un hôtel de luxe. On est certain que la plainte existe. Mais, on a deux versions de deux personnes. La première accuse. La deuxième affirme son innocence. Forcément, l'une ment, l'autre dit vrai. Aucun des commentateurs ne peut affirmer à coup sûr, ici est la vérité, là est le mensonge sans tomber dans l'insignifiance des cafés du commerce.
Mais si on admet que les deux plaideurs sont encore, dans l'état actuel de l'information, à égalité devant le tribunal de l'opinion, puisque c'est parole contre parole, on est bien obligé d'admettre qu'il faut envisager, tour à tour les DEUX cas de figure selon lesquels chacun dirait la vérité.

Premier cas, la plaignante dit la vérité. DSK est alors un criminel, sorte de docteur Jekyll et Mister Hide, grand économiste le jour et satyre psychopathe la nuit. A l'appui de cette hypothèse : tout ce qui traîne contre lui sur son addiction aux femmes et quelques affaires suspectes. Il aurait donc franchi la frontière entre sexualité galopante et crime sexuel. Plus le temps passe et moins il maîtriserait ses pulsions. A quelques jours de déclarer sa candidature pour la présidentielle française, et malgré sa crainte d'être victime de ce qu'il sait être l'un de ses talons d'Achille, il aurait couru le risque du déshonneur ne résistant pas à la présence d'une femme de chambre qu'il aurait contrainte à une fellation en l'enfermant dans une salle de bains. Mais après l'avoir satisfait, elle lui aurait échappé et se serait enfuie. Elle se serait plainte auprès de ses collègues qui auraient appelé la police. Si ce scénario est avéré, DSK mérite ce qui lui arrive et Nafissatou Diallo que son patron couvre d'éloges a droit à toute notre compassion.
Deuxième cas. DSK est de bonne foi quand il affirme son innocence. Dans ce cas, il a subi un préjudice incommensurable. Et celle qui l'accuse est une criminelle. Mais dans ce cas de figure, on ne peut pas se contenter de formuler une hypothèse. Si DSK est calomnié, pourquoi ? A qui profiterait le crime ? Il faudrait imaginer ici plusieurs scénarios plus ou moins complexes. Le plus simple impliquera une jeune et jolie -nous dit-on -femme de milieu modeste qui aura vu là l'occasion de faire chanter un pigeon de haut vol et d'en tirer des sommes substantielles. Elle pourrait avoir été aidée dans la conception d'un piège tendu à un client habituel, archicélèbre et connu pour sa vie sexuelle débridée, par cet homme qui s'est présenté un temps comme son "frère" et qui s'est révélé ne pas l'être. Cette explication est peu vraisemblable mais pas impossible. On peut imaginer aussi que DSK est tombé, victime de gens qui n'avaient pas envie de le retrouver comme candidat en France et ont utilisé le décor de cet hôtel appartenant à une chaîne française pour faire tomber dans le traquenard de ses pulsions cet homme vulnérable. On aurait ainsi déclenché contre lui le feu nucléaire annoncé. Mais on peut imaginer tout aussi bien qu'il est tombé sous les coups de gens que sa politique ou sa présence à la tête du FMI dérangeait considérablement. Il y aurait donc bien complot.
Complot ? La mode médiatique, aujourd'hui, est à considérer que les complots n'existent que dans les têtes fumeuses. L'affaire Baudis ou l'affaire Boulin et tant d'autres encore, sont là pour montrer le contraire, mais rien n'y fait.
Et pourtant, il y a dans cette affaire DSK un certain nombre d'indices, matériels ou non qui ne permettent pas d'évacuer l'hypothèse d'un revers de main. Ainsi, par exemple : il est peu vraisemblable qu'un homme dans la position de DSK et au moment où il est, et qui plus est, un homme qui s'attend à un coup monté utilisant sa faiblesse à l'égard des femmes, se laisse aller à ce type d'agissements criminel. On n'a publié jusqu'ici que des rumeurs qui ne peuvent venir que des milieux de l'enquête, du Sofitel ou de l'entourage de la plaignante. Voyons-en quelques unes. On nous a dit que la suite du Sofitel coûtait la bagatelle de 3000 $ puis la somme s'est dégonflée pour retomber aux alentours de 500$. La différence est notable. On nous a donné un certains nombre de faits qui laissaient imaginer la fuite précipitée d'un coupable qui court se réfugier dans les bras de la mère-patrie : il oublie son téléphone portable et des effets personnels dans sa chambre d'hôtel ; on le retrouve dans un avion en partance pour la France et on l'arrête dix minutes avant son départ. Mais on découvre, au bout du compte que, loin de partir dans l'affolement du forfait accompli, DSK est sorti de sa chambre avec ses bagages, il est allé à la réception payer sa chambre, une française qui le rencontre (la malheureuse ne sait pas quel risque elle a couru !) parle d'un homme qui quitte tranquillement son hôtel ; ensuite il va au restaurant déjeuner avec sa fille ; il rejoint l'aéroport pour prendre un avion dans lequel une place est réservée depuis longtemps. Entre temps, il s'est aperçu qu'il a égaré l'un de ses téléphones portables et il téléphone à l'hôtel afin qu'on vérifie s'il n'est pas resté dans sa chambre ; il dit qu'il va à l'aéroport pour qu'on puisse le lui apporter là-bas. Voilà donc un fuyard bien peu inquiet des traces qu'il laisse derrière lui. Quant au téléphone, il me semble avoir lu qu'il n'était pas à l'hôtel. On nous a dit aussi que sur le chemin de l'aéroport, DSK aurait téléphoné à son épouse pour lui dire que « quelque chose de grave venait de se passer ». Comment le sait-on ? Imagine-t-on Anne Sinclair livrant à la presse ce type d'information ? Quelque temps plus tard cette rumeur se dégonfle à son tour. On notera toutefois la similitude de l'expression prêtée à DSK censé appeler sa femme au secours et celle que rapporte le "frère" de la plaignante évoquant l'appel de sa "soeur". Voilà donc des détails livrés au public qui ont deux caractéristiques communes : ils se révèlent erronés et ils visent tous à donner une image négative de DSK. Parallèlement, on nous donne de la plaignante une image la plus positive possible. C'est une belle jeune femme de 32 ans, grande (1 m 80), courageuse, travailleuse, elle élève sa fille de 15 ans. La direction de l'hôtel, manifestement très attachée à ses employés, fussent-ils les plus modestes, la défend contre l'un de ses clients habituels, un homme puissant et riche. C'est tout à son honneur. Son "frère" à qui elle téléphone en plein désarroi et en larmes la dépeint comme une bonne musulmane bien incapable de mentir et de participer à un complot. C'est même lui qui est censé lui apprendre - le lendemain - qui était son agresseur. Et la preuve qu'elle dit vrai est suggérée par les caméras de surveillance qui la montrent sortant, affolée de la chambre occupée par DSK. Et puis, on apprend qu'il n'y a pas de caméras de surveillance dans les couloirs de l'hôtel. Sans commentaire ! On constate donc que beaucoup de ces rumeurs qui ont filtré se dégonflent les unes après les autres ou sont invraisemblables : la scène de violence sexuelle qui nous est décrite est-elle vraisemblable dans les détails qui sont donnés ? Cette grande femme de trente ans a-t-elle pu se laisser contraindre par ce sexagénaire quelque peu bedonnant et désarmé ?
Bref, la matérialité des faits connus à ce jour n'accable pas DSK autant qu'on le dit (au prix d'un véritable terrorisme intellectuel). Ils ne le disculpent pas pour autant. Il est donc bien urgent d'attendre que les choses se clarifient. Et si on veut explorer la piste de la sexualité de DSK, il serait juste d'explorer aussi celle d'une machination dont les motivations sont multiples et bien possibles.
Il serait donc juste aussi d'utiliser les mots neutres qui conviennent - la plaignante, l'accusé - et non des mots - la victime, le coupable - qui contiennent implicitement les réponses aux questions qu'on a fait mine de ne pas poser.

Un dernier mot. On profite de ce scandale pour faire amende honorable devant la tradition journalistique anglo-saxonne qui aurait le courage d'entrer dans les chambres à coucher. Beau courage,en effet ! Le puritanisme a bon dos. Je renvoie aux Sorcières de Salem. tout y est dit. Un ouvrage récent évoque le retour de la pudibonderie. Notre monde, sous ses airs délurés a la haine du corps. Il est en cela l'héritier de ces sociétés monothéistes qui ont fait du sexe - pour des raisons qui n'ont rien à voir avec la morale - le péché majeur. Cela permet de faire oublier, grâce aux émois de Tartuffe ("cachez ce sein que je ne saurais voir"), des crapuleries autrement conséquentes que l'adultère ou la grivoiserie s'ils sont pratiqués entre adultes consentants.

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