mardi 18 mai 2010

L'INNOCENCE D'YVAN COLONNA : FAITS ET ARGUMENTS

suite 3

(errata : bien entendu dans les textes déjà publiés, il fallait lire Sarkosy et non pas Sarkosi, et voyous plutôt que voyoux !)

B – L'INSTRUCTION :
Curieusement, le dossier de l'attaque de la gendarmerie de Pietrosella et celui de l'assassinat du préfet Erignac sont dissociés alors qu'il apparaît très rapidement qu'il s'agit d'une seule et même affaire. Ils sont confiés à deux juges différents : les juges Laurence Le Vert (pour l'assassinat) et Gilbert Thiel (pour Pietrosella). Ils sont chapeautés par Jean-Louis Bruguière. Dans ce club de trois personnes, des sentiments d'inimitié de notoriété publique ne favorisent pas la coopération.

1 – Le juge Jean-Louis BRUGUIERE : ses activités de juge antiterroriste l'ont souvent mis sous le feu des projecteurs. Aujourd'hui, on reparle de lui à propos de l'attentat de Karachi. En 2007, il est candidat à la députation (sous la bannière UMP). Il a donc été contraint de quitter ses fonctions de magistrat. Le juge Marc Trévidic a repris en charge le dossier de cet attentat qui a coûté la vie à onze ingénieurs français de la DCN. Il donne une orientation totalement nouvelle à l'enquête. Des témoignages nouveaux apparaissent, des révélations montreraient que l'attentat de 2002 aurait été le fait non pas d'Al-Qaïda comme on l'a prétendu jusque-là, mais de l'armée pakistanaise. Il s'agirait d'une histoire de rétrocommissions qui compromettrait notamment Edouard Balladur, François Léotard et même Nicolas Sarkozy. Si ces accusations sont fondées, si les journalistes qui ont enquêté ont raison, dès 2002, les responsables politiques auraient su à quoi s'en tenir. Cela n'aurait pas empêché le juge Bruguière pourtant informé de l'existence de cette piste, de continuer à n'enquêter, sérieux comme un pape, que sur la seule piste Al-Qaïda.
De la même façon, le même juge Bruguière est soupçonné d'avoir enquêté uniquement sur la piste islamiste dans l'affaire de l'assassinat des moines de Tibéhirine. L'avocat des proches des moines (Me Baudoin) l'accuse d'avoir soigneusement écarté les témoignages qui n'allaient pas dans le sens de la « vérité officielle » (par exemple celui du général Buchwalter attaché militaire à l'ambassade de France d'Alger). Il apparaît de plus en plus aujourd'hui que l'armée algérienne serait impliquée dans ce drame.
Il y a donc lieu de s'inquiéter sur la fiabilité du juge Bruguière. Mais il faut ajouter à tout cela que le dossier établi par le même juge sur le génocide du Rwanda s'effondre peu à peu. Une fois encore il s'enfermait dans la ligne officielle du pouvoir politique français soucieux d'escamoter son rôle dans cette tragédie. On finit par se dire que ce sont des soupçons précis, réitérés et concordants qui pèsent sur le même juge. Si ces soupçons étaient fondés, Jean-Louis Bruguière serait le juge de la complaisance à l'égard de la raison d'Etat. Un juge qui accepterait de s'enfermer pendant des années dans des pistes dont il saurait pourtant depuis le départ qu'elles sont des impasses.
Cela jette une ombre certaine sur sa crédibilité en ce qui concerne son attitude dans l'affaire Colonna.
Pour ajouter à cette suspicion de manquements à la déontologie du magistrat, rappelons deux points qui ont marqué son passage à la barre au cours du procès en première instance :
- J.L.Bruguière est interrogé par Me Sollacaro et Me Simeoni au sujet de l'absence de reconstitution. Il rappelle à juste titre qu'une reconstitution a eu lieu sur les lieux du crime quelques semaines après celui-ci avec les témoins volontaires mais en l'absence des criminels qui ne seront connus que plus d'un an plus tard. Une seconde reconstitution est prévue après l'arrestation du commando Erignac (mai 99). Celle-ci est annulée parce que les accusés ont refusé d'y participer.
Question de Me Sollacaro : Pourquoi ne pas avoir fait jouer leur rôle par des figurants ?
Réponse du juge Bruguière : Parce que nous avons été pris de court.
Il ne dit pas pourquoi ils ne l'ont pas fait par la suite. Ils en auraient eu largement le temps, le procès du commando n'ayant eu lieu qu'en 2003.
- Il évoque l'audition de Jeanne Ferrandi le 24 mai 1999. A cette date, elle a parlé et accusé notamment Yvan Colonna. Elle n'est donc plus en garde à vue. Le juge la reçoit dans son bureau de la galerie Saint-Eloi. Il se dit touché par l'émotion de cette femme dont la vie vient de basculer... Très bien.
Mais on remarque alors que ce 24 mai 99 où il reçoit Jeanne Ferrandi, libre, est le lundi de Pentecôte. On se dit que l'audition ne risque pas d'être dérangée par des témoins. Me Simeoni demande à J.L.Bruguière si Jeanne Ferrandi était accompagnée de son avocat. Bien sûr, répond le juge. Et c'était, insiste l'avocat ?... C'était Maître..., commence le juge. Mais il est bien incapable de donner un nom.
Donc, un lundi de Pentecôte, à un moment où il n'y a personne dans la galerie Saint-Eloi, le juge Bruguière s'entretient apparemment en tête à tête avec un témoin important de l'accusation après qu'il a parlé et qu'il a été relâché. Pourquoi ?

2 – Le juge Gilbert THIEL : Il passe pour l'esprit indocile de la section antiterroriste du parquet. C'est tout à son honneur. Et il est vrai qu'il a fait preuve d'une belle ténacité dans un certain nombre d'affaires. Mais il est arrivé aussi que cette ténacité le conduise à des dérapages. Il lui aura fallu trois ans pour s'apercevoir qu'il s'était fait manipuler par deux de ses collègues italiens. Il a ainsi déployé des moyens d'enquête considérables contre trois militants du nouveau PCI vivant en France. Le député PS André Vallini, qui a présidé la commission d'enquête parlementaire à propos de l'affaire d'Outreau a dit du juge Thiel qu'il a couru après « l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'ours ».
Il arrive donc au juge Thiel de se faire « instrumentaliser » selon l'expression du Syndicat de la Magistrature. Cela ne lui enlève en rien ses certitudes et la passion de les faire prévaloir. Un témoin décisif ( Paul Donzella) vient-il affirmer qu'Yvan Colonna ne pouvait pas participer à l'attaque de la gendarmerie de Pietrosella, le 6 septembre 97, puisqu'il mangeait une pizza avec son fils ce soir-là dans son restaurant, aussitôt le juge l'accuse de faux-témoignage obtenu par une concertation téléphonique avec les avocats (Me Sollacaro) par l'intermédiaire de la famille (Stéphane Colonna). Cette concertation a bien eu lieu. Mais après la déposition de Donzella. Les accusations du juge vont d'ailleurs amener les avocats à porter plainte pour diffamation. Pourquoi le juge ne publie-t-il pas les dates exactes des entretiens téléphoniques incriminés ? Et leur contenu puisque le téléphone de Stéphane Colonna était sur écoutes ? Et pourquoi ne poursuit-il pas Donzella pour faux-témoignage ?
J'ai déjà évoqué les raisons qui lui ont fait retirer l'enquête à la gendarmerie. Le moins qu'on puisse en conclure, c'est une susceptibilité étonnante.
Cette susceptibilité, on la retrouve dans la façon dont il a traité Patrizia Gattaceca. La chanteuse qui mène une carrière internationale a admis avoir hébergé Yvan Colonna pendant sa cavale. Elle est mise en examen. Admettons. Elle est assignée à résidence. Que craint-on ? Qu'elle se réfugie au Pakistan ? Elle fait valoir que son métier d'artiste la conduit à se produire à l'étranger er que son métier d'universitaire demande qu'elle puisse participer à des conférences ailleurs qu'en Corse. Le juge l'assure qu'il examinera avec bienveillance (il y aurait beaucoup à dire sur le rôle que s'attribue celui qui peut décider avec bienveillance) les demandes de sortie de l'île. Mais voilà que, dans la presse, elle explique en vertu de quelles lois de l'hospitalité elle a hébergé Yvan et pourquoi elle le referait si c'était à refaire. Aussitôt le juge prend la mouche. ( Il se veut l'esprit indépendant mais il n'aime pas l'indépendance des autres : on lui conseillera de relire Antigone) Il assigne donc l'effrontée à résidence en Corse sans exception. Et, pour faire bonne mesure, le fils de Patrizia, lui, est assigné à résidence sur le continent. Sans commentaire.

3 – La juge Laurence LE VERT : Elle non plus n'est pas très regardante sur les moyens : elle n'hésitera pas à faire mettre sur écoutes un journaliste de l'Est Républicain trop bien informé du déroulement de l'instruction.
On verra un peu plus loin la façon dont Yvan Colonna a été traité par les deux juges d'instruction.
Ce qui est particulièrement grave, c'est le refus réitéré de la juge de verser au dossier les rapports d'écoutes téléphoniques et de filatures favorables à l'accusé. Constatons que le Président de la Chambre d'instruction saisi par les avocats a, lui aussi, refusé de transmettre la demande à l'instance qu'il préside.
Tout aussi scandaleux est le refus, pendant deux ans, de confronter l'accusé à ses accusateurs. La confrontation est un droit que la juge viole donc allègrement.
Notons toujours qu'elle ne reçoit le père de l'accusé que deux ans après l'arrestation. Et n'allons pas imaginer que ce soit pour l'interroger sur l'emploi du temps d'Yvan au soir du 6 février 98. Elle cherche à le prendre en défaut sur la question de savoir s'il a eu ou non des nouvelles de son fils pendant sa cavale. Pour cela, elle cite le beau-frère d'Yvan et elle tronque la citation pour lui faire dire autre chose que ce qu'elle dit. Cet épisode peu glorieux pour la juge est évoqué de façon détaillée dans LE ROMAN DE Ghjuvanni STEPHAGESE.
En conclusion, elle s'efforce tout au long de l'instruction, d'escamoter tout ce qui pourrait plaider en faveur de l'accusé. Ce n'est pas une attitude dictée par une grande rectitude intellectuelle. Tant de partialité ne prouve pas non plus une grande confiance dans le dosier d'accusation.

Des méthodes inacceptables en démocratie: On peut admettre que les affaires de terrorisme appellent une lutte déterminée.
Cela ne fera pas admettre pour autant ce qui semble se dégager du comportement des juges dans cette affaire.
L'instruction a été anormalement coercitive. Tout se passe comme si la détention provisoire était un commencement d'application de la peine avant même tout procès.
Qu'on en juge. Arrêté le 4 juillet 2003, Yvan Colonna est mis à l'isolement total pendant plus d'un an. Cela signifie qu'il ne voit personne même pas les autres détenus, qu'il reste enfermé dans sa cellule 23 heures sur 24, que pendant une heure il peut marcher dans un couloir de béton de huit mètres de long et recouvert d'un grillage.
Il faudra plus d'un an pour qu'il puisse voir ses parents. Les lettres qui lui sont envoyées mettent entre plusieurs semaines et plusieurs mois pour lui parvenir.
Le 10 mars 2005 il est sorti de sa prison pour « bénéficier » de la première confrontation qui lui soit accordée. Elle concerne l'affaire de Pietrosella. Tout le temps (plusieurs heures) qui va du moment où il quitte sa cellule à celui où il entre dans le bureau du juge Thiel, il est menotté dans le dos, il porte un gilet pare-balles et une gagoule, on lui a mis des lunettes opaques qui l'aveuglent. Peut-on s'interroger sur les motivations et les buts de ceux qui ont recours à de pareilles méthodes ? Dans le cas d'espèce, il s'agit à l'évidence de « punir » celui qui s'est entêté à demander ce qu'on lui refusait. Et surtout de l'affaiblir nerveusement et psychologiquement avant une audition importante pour sa défense.
Le devoir du juge est d'instruire à charge et à décharge. Dans l'affaire Colonna, le postulat de la culpabilité éclaire tous les actes de la procédure. On a systématiquement écarté ce qui pouvait lui être favorable et jeter le doute sur sa culpabilité. On a fait disparaître des pièces. On a systématiquement interprété les faits (parce que c'est très souvent une question d'interprétation) dans le sens de la culpabilité ; on a ignoré de nombreux témoignages et des pièces à conviction (j'y reviendrai). Cette instruction n'a pas été équitable.

Comment comprendre cela ?
Si on est optimiste, on s'en tiendra à la formulation de la commission d'enquête parlementaire de 99. Elle parle, au sujet des juges en question d' « egos surdimensionnés ». C'est une vision des choses. Elle a le mérite d'expliquer les luttes d'influences, les combats pour des préséances dérisoires, des haines farouches. Elle explique aussi un goût du pouvoir qui conduit à vouloir briser celui qui est à votre merci, à considérer toute réaction de dignité comme un crime de lèse-majesté là où la déontologie demanderait beaucoup d'humilité, d'humanité, de sang-froid et d'impartialité.

Si on est pessimiste, on s'interrogera sur les perversions psychologiques auxquelles le hasard des carrières aura donné l'occasion de s'épanouir, et/ou on s'inquiétera des dérives serviles à l'égard des puissants...
Version optimiste et version pessimiste ne sont d'ailleurs pas forcément exclusives l'une de l'autre...

à suivre... Demain : « C – LES PROCES »

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