lundi 13 septembre 2010

Et Yvan Colonna, Monsieur le Président de la CNCDH ?

Fin juillet, le Président de la Commission Nationale Consultative aux Droits d l'Homme publiait dans le Figaro une lettre qui s'indignait des atteintes aux droits de l'homme dont auraient été victimes Madame Bettencourt et Monsieur Woerth. J'ai cru devoir attirer son attention sur le cas d'Yvan Colonna. A ce jour, je n'ai pas eu de réponse à ma lettre. En voici donc le texte.


Roland LAURETTE
Ecrivain
21 avenue Julien 06100 NICE


à Monsieur Yves REPIQUET
Président de la Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme


Objet : « Le respect sur notre propre sol de principes dont nous défendons (...) l'universalité ».


Monsieur le Président,

Je découvre un article que vous avez publié, il y a un mois, dans le Figaro. Votre nomination par le premier ministre à la tête de la CNCDH donne un poids incontestable à votre prise de position. Vous y attirez l'attention de tous sur les graves dangers qui pèsent en ce moment sur « les droits qui garantissent la dignité humaine ».
L'affaire qui vous émeut et vous meut a effectivement défrayé la chronique « sur la place du village global (où) trône le cyberpilori ». On l'a appelée l'affaire Woerth-Bettencourt. Elle vous donne l'occasion de rappeler quelques principes essentiels :
il ne faut pas se satisfaire d'une « intime conviction » ni « condamner sans preuve » ;
chaque accusé a droit « à la loyauté des preuves et surtout à la présomption d'innocence ».
Et en effet, est-ce parce que Madame Bettencourt dispose, pour se défendre, de moyens sans commune mesure avec ceux des justiciables ordinaires qu'il faudrait céder aux préjugés de La Fontaine ?

Vous rappelez donc, opportunément, la nécessité de défendre les droits fondamentaux faute de quoi nous pourrions être atteints par « les premiers marqueurs des sociétés totalitaires ». Et vous le dites dans l'angoisse que la France ne soit plus «l'exemple » qu'elle était. Il semble en effet qu'il y ait urgence de ce point de vue si l'on en juge par les récentes réactions indignées venues de tous les horizons (ONU, Europe, Eglise catholique...) et qui condamnent la politique actuelle.

Si je vous écris aujourd'hui, c'est pour attirer votre attention sur une affaire qui vous aura manifestement échappé et qui aurait dû pourtant susciter votre émotion tout autant que la défense des droits de Madame Bettencourt. Je veux parler de l'affaire Colonna, du nom de ce berger corse accusé d'avoir assassiné le préfet Erignac le 6 février 1998.
Comme Liliane Bettencourt ou comme Eric Woerth, Yvan Colonna a droit à la « Présomption d'innocence ». C'est pourquoi la déclaration du ministre de l'Intérieur au soir du 4 juillet 2003 était scandaleuse. Comme était scandaleuse la prise de position de l'actuelle garde des sceaux après la décision de la Cour de Cassation d'invalider la condamnation d'Yvan Colonna. Par ailleurs, vous rappelez fort à propos que les juges « portent les droits de l'homme ». Comment comprendre alors leur arrêt dans le procès consécutif à la plainte d'Yvan Colonna contre Nicolas Sarkozy pour atteinte à la présomption d'innocence ? Dans une sentence amphigourique, ils affirment que les propos incriminés (« la police française vient d'arrêter l'assassin du préfet Erignac, Yvan Colonna ») « suscitaient une impression certaine de culpabilité »mais ne le présentaient pas comme l'auteur du crime. Comprenne qui pourra.
Yvan Colonna a droit tout autant que « cette dame célèbre à la fortune mythique » à la loyauté des preuves. C'est pourquoi le rapport des R.G., rédigé après plusieurs mois de filatures d'Yvan Colonna et d'écoutes téléphoniques, aurait dû être versé à son dossier et communiqué à ses avocats. On saisit mal les raisons qui ont conduit la juge d'instruction Laurence Le Vert puis le président de la Chambre d'Instruction à le refuser et à prétendre que ce rapport avait disparu. Il a cependant miraculeusement été retrouvé à la fin du procès en appel quand Yvan Colonna suivi de ses avocats a eu quitté le prétoire parce qu'il ne se sentait pas jugé selon les règles de l'équité.
On s'étonne aussi qu'au cours du procès intenté aux cinq personnes accusées d'avoir aidé Yvan Colonna pendant sa cavale, l'une d'entre elles -Marc Simeoni- qui niait avoir hébergé son compatriote, se soit vu opposer une « preuve »1 bien suspecte.
Vous auriez pu rappeler aussi deux autres grands principes. Le premier stipule que c'est à l'accusation de fournir la preuve de la culpabilité et non à l'accusé de fournir celle de son innocence. Pourtant, au cours des deux procès, les deux présidents de Cour ont sans cesse demandé à l'accusé de prouver qu'il était innocent. Ce qui constituait du même coup l'aveu de la vacuité du dossier. Le deuxième prévoit que le doute bénéficie à l'accusé. Or, les accusations portées contre Yvan Colonna par certains membres du commando Erignac sont si gravement contradictoires qu'elles s'effondrent d'elles mêmes. Vous dites avec force que Madame Bettencourt a droit à ne pas être « condamnée sans preuves » et sur la seule base de « l'intime conviction ». L'intime conviction, c'est pourtant la pièce maîtresse avancée contre Yvan Colonna par Roger Marion qui dirigeait la DNAT pendant l'enquête et par les avocats généraux. C'est aussi ce à quoi se réfère le président Coujard une dizaine de jours avant la fin du procès en première instance.

En résumé. Yvan Colonna a été condamné à la peine la plus lourde prévue par le code pénal sans preuve aucune, sur la base de la seule intime conviction et alors même que TOUS les témoignages lui sont favorables2. Mais pour « la part la plus cynique d'entre nous », il est corse et je ne puis que paraphraser la formule que vous réservez aux milliardaires : « ces gens-là sont si différents, si éloignés de nous »...
Tout cela est si grave qu'on peut parler d'affaire d'Etat. Madame Bettencourt, elle, jouit de toutes ses libertés. Monsieur Woerth est toujours ministre. Yvan Colonna a qui on vient de refuser la mise en liberté conditionnelle (même avec un bracelet électronique) est, lui, en prison depuis sept ans. Il détient le record européen de la détention préventive. Sous le couvert d'organismes traités cyniquement comme des alibis, ne met-on pas en oeuvre, jour après jour, une politique si attentatoire à nos libertés fondamentales que la France n'est déjà plus un modèle ni même un exemple ? Si c'est le cas, l'affaire Colonna en aura été à la fois la prémisse et le ballon d'essai.

Avec mes sentiments les meilleurs.

Roland LAURETTE

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